La thèse de doctorat d’Axelle Fariat porte sur le renouveau de l’enseignement artistique dans le domaine de la peinture et l’émergence de jeunes talents en Allemagne de 1945 à la construction du Mur en 1961, tout d’abord dans les quatre zones d’occupation, puis après la fondation des deux Allemagne. Pour ce faire, elle a travaillé dans de nombreuses archives, aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est. La liste des sources est très impressionnante, même si les documents n’ont pu être exploités en totalité, certains n’étant pas encore accessibles, en cours de classement ou protégés par la législation des dossiers personnels.

Cette importante documentation est complétée par des ouvrages qui retracent l’histoire des instituts de formation des élèves avec la liste de leurs enseignants et les maquettes des cursus proposés. À tout cela s’ajoutent encore les témoignages recueillis par Axelle Fariat auprès d’anciens étudiants, des journalistes, galeristes, héritiers d’artistes, dont beaucoup sont entre temps décédés: elle cite 165 personnes sur les 300 qu’elle a pu interviewer, mais prend en compte également les interviews réalisées par des responsables d’archives et des historiens et historiennes de l’art (en tout 1100 personnes).

Axelle Fariat divise son étude en trois parties qui suivent de près la chronologie. Après un rapide tour d’horizon sur l’art à l’époque de la république de Weimar puis sous le Troisième Reich, la première partie évoque la politique culturelle des Alliés dans leur zone d’occupation, puis les dispositions mises en place après la création de la RFA et de la RDA en 1949 dans un contexte de guerre froide. Dans les différentes académies, la dénazification du corps enseignant ne semble pas plus qu’ailleurs avoir été poursuivie avec zèle: ainsi, l’Académie des beaux-arts de Munich fait parvenir au gouvernement militaire un rapport soulignant que les deux tiers des enseignants auraient été »des opposants au nazisme« (p. 74), ce qui rendrait inutile toute évolution dans les enseignements. Les individus compromis avec les nazis sont rarement inquiétés et retrouvent vite leur poste puisque, dans les zones occidentales, la lutte contre le communisme prend le pas sur l’élimination des nazis de la vie publique.

Rares sont les passages d’enseignants de l’Ouest à l’Est, seuls deux étant comptabilisés dans le cadre de ces recherches. Rares sont aussi les artistes reconnus comme Willi Baumeister (1889–1955), formé dans la classe de composition d’Adolf Hölzel, proche d’Oskar Schlemmer, de Franz Marc, d’Oskar Kokoschka, dont plusieurs œuvres sont stigmatisées à l’époque nazie lors de l’exposition sur »L’Art dégénéré« et qui se voit en 1946 nommé professeur à Stuttgart dans une classe d’art décoratif (Klasse für dekorative Kunst) par le futur premier président de la République fédérale Theodor Heuss.

Dans la deuxième partie, Axelle Fariat s’intéresse aux débats artistiques caractéristiques de l’époque, celui sur le formalisme en RDA, celui sur l’enseignement de l’art non figuratif à l’Ouest comme à l’Est. Ce sont des choses bien connues, tout comme la haine de l’art moderne, attisée à l’Ouest par les enseignements de Hans Sedlmayr, professeur d’histoire de l’art à l’université de Munich, et les accusations d’athéisme qu’il lance contre les peintres d’avant-garde, exclus en Bavière de tout poste officiel pendant les années 1950. Fasciné par l’œuvre de Wassily Kandinsky et de László Moholy-Nagy, Karl Otto Götz (1914–2017), membre du groupe CoBrA, participe à la reprise artistique à Düsseldorf en prônant un nouveau langage. À Dresde, la situation est plus compliquée pour Herbert Kunze (1913–1981), considéré comme trop sceptique par rapport à l’idéologie de la RDA et écarté de la troisième exposition de Dresde en 1958 pour son anticonformisme pictural.

Trois anciens élèves du Bauhaus de Dessau ont un devenir différent. Gustav Hassenpflug (1907–1977) ne reste pas à l’Est, mais s’installe à Hambourg où il invite des créateurs à faire des conférences sur les arts plastiques devant ses étudiants. La ville de Hambourg devient un centre de formation très actif autour de lui et de sa politique de réforme. L’école supérieure de design (Hochschule für Gestaltung) permet à Max Bill (1908–1994) de concevoir à Ulm un véritable campus, lieu d’enseignement et de vie, pour y »lutter contre le laid à l’aide du beau, du bon et du pratique« (p. 210). Quant à Walter Funkat (1906–2006), il fonde en 1946 une classe de graphisme publicitaire à l’école Burg Giebichenstein de Halle et persuade ses élèves de s’inscrire tous au SED pour éviter la fermeture de l’école. Il s’inspire cependant des idées de l’école d’Ulm et parvient à soutenir la formation en design industriel jusque dans les années 1970.

Dans la troisième partie, c’est l’heure du bilan de la fin des années 1950 à l’Est comme à l’Ouest à partir de quelques exemples significatifs. À Leipzig, l’école supérieure du graphisme et des arts du livre (Hochschule für Grafik und Buchkunst) permet de recruter des typographes et des photographes. Bernhard Heisig (1925–2011) y est chargé d’une classe de premier cycle à partir de 1956. À Dresde, Gottfried Bammes (1920–2007), peintre autodidacte depuis 1946, ne se pose pas en tenant de la rébellion artistique, mais réorganise efficacement le cours d’anatomie artistique, ses ouvrages servant aujourd’hui encore de référence. L’art réaliste a du mal à se faire une place à l’Ouest tant sa promotion par la propagande de la RDA le discrédite. Pourtant Konrad Klapheck (né en 1935) instaure à Düsseldorf une nouvelle forme de figuration avec un monde imagé très serein, proche du surréalisme. Avec Joseph Beuys (1921–1986), on trouve un artiste d’une toute autre dimension qui instaure une véritable rupture dans l’art de l’académie de Düsseldorf où il est nommé professeur de sculpture monumentale en 1961, ce qui augure de bien des expérimentations.

Le dernier chapitre sur les études et l’obtention d’un diplôme est très succinct et peu réussi, car il semble se limiter à la traduction de la présentation de maquettes d’études. On aurait pu facilement s’en passer. Dans l’ensemble, le style gagnerait à être travaillé davantage, en particulier pour les traductions de l’allemand qui sont parfois incompréhensibles car proches du charabia même si ces approches théoriques sont difficiles à rendre en français. Quant aux rares reproductions de tableaux en noir et blanc, en particulier »Density« de Karl Otto Götz, on ne peut que déplorer que le coût de la couleur soit si élevé!

En dépit de ces quelques réticences, c’est dans l’ensemble un ouvrage dont on peut recommander la lecture.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Anne-Marie Corbin, Rezension von/compte rendu de: Axelle Fariat, La vie artistique en Allemagne après 1945. Analyses et réflexions sur l’enseignement et ses répercussions dans l’art, Bruxelles, Berne, Berlin et al. (Peter Lang) 2018, 386 p., 8 n/b ill. (L’Allemagne dans les relations internationales/Deutschland in den internationalen Beziehungen, 13), ISBN 978-2-8076-0441-4, EUR 50,00, in: Francia-Recensio 2019/2, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62889