On est tout de suite séduit par la forme et la présentation de cette monographie: les nombreuses reproductions de documents d’archives alternent avec une riche iconographie d’époque. Attrayant, l’ensemble soutient et éclaire la rigueur de la réflexion.

La dichotomie, induite par un titre bien choisi, introduit immédiatement le lecteur dans la problématique retenue. Doit-on continuer à considérer le prince-évêque de Wurtzbourg, Julius Echter von Mespelbrunn, comme l’un des principaux persécuteurs et brûleurs de sorcières de Franconie ou peut-on le qualifier de sauveur d’âmes? Pour y répondre, Andreas Flurschütz a entrepris un examen minutieux des archives des procès de sorcellerie de la principauté épiscopale, durant le long règne de Julius Echter. Il a accordé une attention particulière à deux sources clés, jusque-là insuffisamment exploitées: Le »Zwo Hexenzeitung« de 1616 et le »Schreibkalender« de Jacob Roeder en 1617. Sa volonté de mener une recherche exhaustive est un des grands mérites de ce travail qui révèle le prince-évêque comme un personnage atypique pour son époque.

Le règne de Julius Echter est inhabituel à bien des égards. Sa durée d’abord: le prélat, mort à soixante-douze ans, a exercé le pouvoir pendant quarante-quatre ans (1573–1617). Son évolution ensuite: durant les deux dernières décennies de son règne, la justice a instruit plusieurs centaines de procès de sorcellerie. Le nombre est important, d’autant plus que les sources ne prouvent pas que le pouvoir ait prôné une extermination systématique des sorcières. Bien au contraire, Echter s’est comporté en observateur méticuleux des procédures, attentif à leur déroulement et aux possibles préjudices, comme le montrent ses recommandations à Valentin Pfaff en 1595 (p. 90). Tout en restant un souverain et un pasteur stricts, le prince s’est soucié à la fois de l’angoisse des victimes des maléfices et de la souffrance des présumés coupables, sorcières et sorciers.

Les archives ne confirment pas non plus la mise en œuvre d’une ligne directrice ferme et consensuelle, qui aurait orienté les persécutions comme cela se voit ailleurs. D’une affaire à l’autre, le prince et ses représentants adoptent des positions différentes voire contraires. Celles-ci conduisent à une importante disparité dans l’issue des procès de sorcellerie. Par ailleurs, la personnalité et la pensée de Julius Echter sont loin d’être monolithiques. Il est impossible d’opposer un prince jeune, qui aurait exercé un pouvoir rationnel et modéré durant les vingt premières années de son règne, à un prince vieillissant devenant de plus en plus radical. Il n’est pas d’avantage possible de mettre en cause sa misogynie ou un manque de pitié, comme on l’avait cru auparavant.

L’exposé adopte une construction rigoureuse et cohérente en cinq grandes articulations: une présentation introductive (p. 9), une analyse des différents courants (p. 53), l’examen de la personnalité de Julius Echter par les sources et la bibliographie (p. 174), une synthèse conclusive (p. 204) qui ouvre sur un élargissement prenant en compte les procès des années 1617–1631 (p. 212). L’ensemble s’appuie sur un appareil scientifique rigoureux. Les sources manuscrites et imprimées sont clairement répertoriées et on note la présence d’index de noms de personnes, de lieux et d’occurrences. L’aperçu bibliographique aurait cependant pu être élargi. Il accorde beaucoup de place aux ouvrages traitant de la sorcellerie locale et omet des études marquantes, comme les travaux de Carlo Ginzburg par exemple. L’analyse en aurait été enrichie.

Le mérite de cet ouvrage tient surtout au travail minutieux d’Andreas Flurschütz. Sa volonté de ne rien négliger apparaît dans la présentation des multiples facteurs qui ont pu influencer le concept de sorcellerie de l’époque. On comprend le souci explicatif qui a poussé l’auteur à ne pas limiter sa réflexion à la seule principauté de Wurtzbourg et à évaluer le poids des autres princes et territoires de la région. L’étude de l’influence des principautés voisines, dont certaines composaient le cercle de Franconie, est complétée par celle des deux grands archevêchés de Mayence et de Trèves. Le donné archivistique est évalué à la lumière des courants littéraires et religieux, en particulier de la dévotion mariale. En effet, considérée comme la protectrice du diocèse de Wurtzbourg, la mère de Dieu porte le titre de »Patrona Herbipolensis« (p. 146–151).

L’ensemble des résultats est présenté en fonction de neuf items numérotés, qui offrent une vision pointilliste du phénomène. Ce choix nuit à l’exposé car il s’oppose à la nécessité d’une synthèse élargie. La conclusion intermédiaire annonce pourtant que »les procès de sorcellerie se sont influencés mutuellement; ils ne connaissaient pas de frontières territoriales« (p. 126). Il est clair qu’il aurait été intéressant que le donné local soit également comparé à celui d’autres régions européennes. Cela d’autant plus que le Bade-Wurtemberg et la Bavière sont proches d’autres grands foyers de répression de la sorcellerie à la même époque. Ainsi les débats et les très nombreux procès, qui ont impacté les temporels des grandes abbayes, vosgiennes notamment, auraient sans doute permis d’apporter un éclairage complémentaire sur le comportement de Julius Echter.

Cet élargissement spatial aurait sans doute pu être complété par une approche problématique plus récente. La tendance actuelle est d’éclairer le concept de sorcellerie par une réflexion sur l’imaginaire des gens de l’époque. Cela oblige à une autre lecture des archives mais permet de comprendre que les principaux responsables de la persécution aient d’abord été les populations locales des villes et des villages, alors que leur évêque agissait beaucoup plus prudemment vis à vis des accusateurs et des accusés de sorcellerie.

Le travail d’Andreas Flurschütz lève bien le flou qui occultait le rôle réel joué par le souverain de Wurtzbourg dans la répression de la sorcellerie. Il fournit un cadre complet permettant de saisir à la fois la personnalité de Julius Echter et son époque. En ce sens, on peut le considérer comme un excellent instrument de comparaison à mettre au service d’une réflexion globale sur la sorcellerie européenne, même s’il offre peu de perspectives novatrices.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jean-Claude Diedler, Rezension von/compte rendu de: Andreas Flurschütz da Cruz, Hexenbrenner, Seelenretter. Fürstbischof Julius Echter von Mespelbrunn (1573–1617) und die Hexenverfolgung im Hochstift Würzburg, Bielefeld (Verlag für Regionalgeschichte) 2018, 252 S. (Hexenforschung, 16), ISBN 978-3-7395-1086-6, EUR 24,00., in: Francia-Recensio 2019/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62941