L’ouvrage reprend le texte d’une thèse soutenue à l’université de Mayence en 2016. Il est consacré à l’étude de la médialité des guerres de Religion en France et dans le Saint-Empire (incluant la Confédération helvétique, ce qui peut prêter à discussion) pendant une période relativement brève allant de l’assassinat d’Henri de Guise en décembre 1588 à l’assassinat d’Henri III en août 1589. La médialité est définie, en référence à un ouvrage de Lothar Schilling et Gabriele Haug-Moritz, comme la constellation médiatique spécifique d’une époque. Le cadre chronologique choisi constitue la période la plus dramatique de l’affrontement religieux en France, marquée par des événements tragiques, susceptibles de susciter un large intérêt auprès du public et de trouver un écho majeur dans le domaine médiatique.
Les guerres de Religion françaises sont appréhendées dans le contexte de l’histoire européenne et dans une perspective comparatiste: les données historiques et les conditions de la diffusion de l’information par l’imprimé en France sont examinées de manière systématique et analytique et comparées avec les conditions propres au Saint-Empire, de manière à mettre en évidence les particularités de chaque domaine, mais également les similitudes. Les sources prises en considération sont constituées par des documents correspondant à ce que l’allemand désigne comme Flugblätter (des feuilles volantes généralement illustrées) et des Flugschriften (des livrets ou des brochures ne dépassant en règle générale pas une vingtaine de pages).
La démarche suivie amène à prendre en considération, dans les deux domaines étudiés, les conditions générales du fonctionnement des médias, les canaux d’accès à l’information, les relations entre différents médias, les acteurs du monde médiatique, les pratiques de la production de l’imprimé, les spécificités des textes considérés et les modes de circulation de ceux-ci. Deux parties composées selon un plan identique examinent ces données dans chacune des deux aires, et la comparaison proprement dite s’effectue dans une troisième partie qui reprend l’essentiel des constatations faites précédemment. Cette organisation débouche parfois sur des redites, mais celles-ci étaient sans doute difficiles à éviter.
Certaines différences s’expliquent par la situation propre à chacun des deux pays. En France, les guerres de Religion causaient des ravages depuis plusieurs décennies, les nouvelles renvoyaient donc à donc une réalité vécue, alors qu’en Allemagne, il s’agissait d’informations concernant un pays étranger, confronté à une situation dont il fallait empêcher l’extension; l’Allemagne était néanmoins impliquée dans le conflit qui se déroulait en France, dans la mesure où certains états de l’Empire (princes et villes) entretenaient des relations avec le camp protestant qu’ils soutenaient financièrement; par ailleurs, tous les partis impliqués levaient des mercenaires sur le territoire allemand, ce qui impliquait l’accord des autorités politiques. Il n’est pas surprenant que les textes les plus nombreux aient été produits dans la zone occidentale de l’Empire, proche des opérations militaires, dans des villes où les réfugiés huguenots étaient nombreux: ils étaient intéressés au premier chef par les événements se déroulant dans leur patrie et étaient susceptibles de posséder des compétences linguistiques leur permettant d’assurer la traduction des textes.
La place occupée par l’information sur les guerres de religion est – cela ne saurait surprendre – différente dans les deux pays. Alors qu’en France, les événements liés au conflit tenaient une place presque exclusive dans l’information imprimée, dans l’Empire, la proportion tombe à 5% (avec pourtant des écarts importants en fonction des villes considérées).
En Allemagne, des villes d’Empire comme Strasbourg et Nuremberg furent particulièrement actives, tout comme Bâle dans la Confédération helvétique (entre 15 et 20% de la production d’imprimés concernent les guerres de Religion en France). Il s’agissait de villes protestantes, ce qui correspond à la domination générale du protestantisme dans le domaine de l’édition allemande. Parmi les villes catholiques, seule Cologne (où trois Flugschriften furent publiées) tenait une place importante dans le domaine de l’édition.
En France, deux partis s’affrontaient (si on fait abstraction des protestants, peu actifs dans sur le plan éditorial avant l’assassinat du roi): Henri III et ses partisans, et la Ligue, fanatiquement catholique. La Ligue, qui occupait Paris (centre de l’édition française) et qui contrôlait largement les canaux de collecte de l’information et de diffusion des imprimés menait à l’encontre du roi une propagande agressive, tendant à délégitimer celui-ci pour des motifs politiques, moraux et religieux et à justifier ainsi le refus de soumission à son autorité. La propagande imprimée de la Ligue, qui se conjuguait à d’autres manifestations médiatiques comme la prédication, la procession ou des actes symboliques, voulait mobiliser une population très large, partiellement analphabète, et recourait à des procédés d’écriture et de composition des textes adaptés aux fins poursuivies. Henri III procéda différemment: il adressa principalement aux détenteurs de l’autorité des édits, des proclamations, des manifestes et des lettres patentes. On a justement souligné que le roi ne sut pas tirer pleinement parti des possibilités d’une propagande à large échelle. Les chiffres éclairent cette donnée : la Ligue produisit env. 80% des imprimés, le camp royal env. 10% et les protestants env. 1,5%.
La réception des publications françaises dans le Saint-Empire se fit sur la base d’une sélection (toutes les publications sont marquées par une forte intertextualité): les positions de la Ligue (largement diffusées en France) ne trouvèrent pour ainsi dire aucun écho, et la quasi-totalité des publications reprend des textes émanant du parti royal: la justesse de l’action d’Henri III et ses qualités de monarque étaient soulignées, et la revendication d’un droit de résistance catholique (posé par la Ligue) était rejetée: le roi n’a de comptes à rendre qu’à Dieu; les ligueurs sont des rebelles, utilisant le masque de la religion à des fins politiques. Ces positions s’accordaient pleinement avec les intérêts des princes allemands. Après l’assassinat d’Henri III, la propagande d’Henri IV connut une large réception dans l’Empire.
Dans l’ensemble, les publications allemandes étaient caractérisées par un ton modéré, mais les attaques contre le catholicisme n’y étaient pas moins présentes: les guerres de Religion françaises apparaissaient comme un volet d’une conspiration catholique visant à éradiquer le protestantisme, et le geste de Jacques Clément venait confirmer les stéréotypes anticléricaux largement diffusés dans les milieux protestants allemands. Un cas particulier est évoqué à plusieurs reprises: l’imprimeur Bernard Jobin, réfugié suisse, avait ouvert une officine à Strasbourg, qui publia de nombreux textes très polémiques traduits, amplifiés et commentés par son beau-frère, l’écrivain Johann Fischart.
Cette monographie, très minutieuse, pourvue d’une importante bibliographie recensant et décrivant avec précision des textes publiés en France et dans l’Empire, offre, à partir du cas particulier de la diffusion de l’information sur les guerres de Religion françaises dans une période brève, un tableau comparatif très précis du fonctionnement des différents niveaux de la sphère médiatique en France et en Allemagne, et constitue également un apport à l’étude des conditions et des formes du transfert culturel à la fin du XVIe siècle.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jean Schillinger, Rezension von/compte rendu de: Alexandra Schäfer-Griebel, Die Medialität der Französischen Religionskriege. Frankreich und das Heilige Römische Reich 1589, Stuttgart (Franz Steiner Verlag) 2018, 556 S., 9 Abb. (Beiträge zur Kommunikationsgeschichte, 30), ISBN 978-3-515-12014-2, EUR 84,00., in: Francia-Recensio 2019/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62949