Codirigés par Julia Ellermann, Dennis Hormuth et Volker Seresse, ces mélanges offerts à Olaf Mörke pour son 65e anniversaire s’intitulent »Culture politique dans l’Europe moderne«. Publié en 2017, cet ouvrage constitue donc un hommage aux travaux et à l’influence d’Olaf Mörke, professeur à l’université de Kiel, dont les travaux ont été fondateurs dans plusieurs domaines; on peut citer ici, sans être exhaustif, ses analyses sociales de la Réformation, son apport à notre connaissance de la Maison d’Orange-Nassau et des villes d’Europe du Nord.

L’attention portée par Olaf Mörke aux différentes formes de républicanisme dans l’Europe moderne justifie tout à fait le choix de lui dédier un ouvrage posant la question des spécificités d’une »culture politique européenne« à l’époque moderne. Bien que l’espace géographique envisagé accorde une part substantielle à l’Europe du Nord, et à l’Europe des villes, certaines contributions témoignent du désir d’élargir la perspective, un article consacré à l’Estado da Índia portugais offrant à la fois un contrepoint impérial à l’histoire urbaine et un prolongement ultramarin stimulant au questionnement sur les spécificités européennes de cette culture politique. Dans le même ordre d’idées, un article porte sur les villes de Haute-Allemagne, tandis qu’un dernier se penche sur celles de la côte dalmate. En outre, quelques entorses sont faites à la chronologie, puisque le titre annonce une étude portant sur l’Europe moderne tandis que des incursions dans la période contemporaines sont opérées à travers une interrogation sur les communes allemandes à la veille de la Première Guerre mondiale et une analyse des résultats du référendum sur l’indépendance de l’Écosse de 2014. Néanmoins, ces excursus ne nuisent pas à la cohérence de l’ouvrage, dont la structure en trois parties permet d’interroger, sinon de définir ce qui constituait la culture politique européenne de l’époque moderne.

Le livre rassemblant vingt-trois contributions, il est impossible de toutes les évoquer de façon approfondie dans le cadre de ce compte rendu. Les articles se répartissent en trois ensembles dont les titres permettent de suivre la démarche des auteurs.

Dans un premier temps, ce sont les valeurs et les normes centrales de la culture politique européenne qui sont analysées. Les éléments de tension face à la norme tiennent dans cette première partie une place importante: le problème de la pacification des petites villes allemandes du sud au Moyen Âge, les revendications liées au principe d’intégrité de territoires divisés au cours de l’histoire, ou encore les dissensions qui apparaissent entre intérêt dynastique et choix confessionnels y sont évoqués. Néanmoins, on constate que les principes fédérateurs ne sont pas négligeables: le rôle du droit ou encore de la formalisation des finances publiques dans la construction d’identités urbaines, par exemple, sont analysés. Pour clore cette première partie, le terme »républicanisme« cher à Olaf Mörke est soumis à une analyse historiographique critique et l’enquête sur les normes et valeurs de cette culture politique se prolonge jusqu’au XXIe siècle, incluant l’apport des villes à la modernisation de l’Empire allemand avant 1914 et récapitulant les enseignements du référendum sur l’indépendance de l’Écosse en 2014.

La deuxième partie interroge les voies et les modalités de réception de cette culture européenne, de l’Antiquité à nos jours, puisque les commémorations en l’honneur du 500e anniversaire de la Réformation sont analysées à l’aune de l’héritage civique du »républicanisme luthérien«. La figure du fondateur de l’empire perse Cyrus le Grand est analysée comme objet de discours sur le pouvoir et les souverains de l’Antiquité à l’époque moderne. Les sources littéraires complètent l’analyse à travers un article sur le positionnement de Johann Elias Schlegel au sujet du théâtre danois, et un autre sur les rapports entre le théâtre shakespearien (»Macbeth« et »Hamlet«) et l’histoire contemporaine dano-écossaise. Le cas d’un procès intenté à des pirates dans le fort anglais de Cape Coast Castle, dans l’actuel Ghana, en 1722, montre comme la justice anglaise a contribué à asseoir le pouvoir de l’État dans la métropole comme dans les colonies. La perspective transnationale met en lumière la circulation des techniques du recensement et de la statistique à l’époque du voyageur Sir John Sinclair, auteur d’un »Statistical Account of Scotland« à la fin du XVIIIe siècle. L’échelle de la maison permet de se pencher sur l’importance des »micro-pratiques« dans l’apparition d’une culture politique spécifiquement européenne.

La troisième et dernière partie est consacrée aux formes de conflits et aux stratégies de résolution de ceux-ci propres à la culture politique de l’Europe, le XVIIe siècle offrant le cadre temporel privilégié de l’analyse. Là encore, l’analyse des circulations et l’histoire des représentations constituent des axes privilégiés de l’analyse. Le concept de tyrannie est interrogé à l’aune de l’argumentation développée par Guillaume d’Orange dans son »Apologie«, tandis que la tension entre prise en main de l’Église par le pouvoir royal et liberté religieuse apparaissent à travers les discussions autour de la constitution ecclésiastique dans la politique anglaise du XVIIe siècle. La place et le rôle de l’art dans les républiques sont analysés au prisme du marché de l’art à Venise et dans les Provinces-Unies au moment de l’indépendance de celles-ci.

À la même époque, c’est une autre figure tutélaire, celle du »père aimant« face à ses enfants rebelles, qui est imposée par les autorités urbaines de Schwerin comme grille de lecture des conflits entre conseil de ville et bourgeoisie. La question de la pacification à l’échelle urbaine est présentée de façon stimulante à travers le cas de la ville de Warendorf, en Westphalie, dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Les acteurs individuels ne sont pas oubliés, une contribution étant consacrée au rôle des poètes devenus officiers dans la formation d’une culture politique néerlandaise après l’indépendance.

Enfin, la reconnaissance définitive de l’immédiateté d’Empire de Hambourg par le roi de Danemark en 1768 permet de rappeler les enchevêtrements extrêmes dans une Europe où la diversité politique était la règle, et dans un Saint-Empire traversé par de multiples frontières et construit sur des superpositions de statuts multiples dont jouaient les acteurs avec pragmatisme.

Les éditeurs rappellent en introduction que »la culture politique constitua et constitue, dans la pensée et l’œuvre d’Olaf Mörke, autant un instrument précis permettant d’analyser des pratiques politiques et des identités qu’un appel à la synthèse«. Ces mélanges prouvent la force heuristique de l’expression »culture politique«, tout en suscitant chez le lecteur une certaine attente: la dimension spécifiquement européenne de cette culture, mise en avant dans certaines contributions, ne gagnerait-elle pas à être éprouvée à la faveur d’une confrontation avec d’autres cultures politiques, sans oublier ses connexions et ses références extra-européennes à l’époque de la première mondialisation?

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Indravati Félicité, Rezension von/compte rendu de: Julia Ellermann, Dennis Hormuth, Volker Seresse (Hg.), Politische Kultur im frühneuzeitlichen Europa. Festschrift für Olaf Mörke zum 65. Geburtstag, Kiel (Verlag Ludwig) 2017, 421 S., 8 s/w Abb. (Geist und Wissen, 26), ISBN 978-3-86935-295-4, EUR 56,80., in: Francia-Recensio 2019/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62997