C’est en 1516 que Christoph Scheurl introduit le terme antique de patricien pour qualifier les Geschlechter, ces lignées des élites nurembergeoises. Les actes du colloque organisé cinq siècles plus tard rassemblent treize articles, une trentaine d’illustrations et un index. Le préfacier s’auto-congratule du succès rencontré par le compte-rendu sur le portail H-Soz-Kult certes, mais ce dernier, reproduit et amendé dans le volume, indique que cinq exposés n’ont pas donné lieu à publication – fait regrettable qui rend peu pertinent la dimension de l’élévation vers la noblesse rurale évoquée dans le titre. Plus préoccupant: le lecteur attentif s’aperçoit que les deux contributions dues à des autrices sont des compléments au colloque – où les seules femmes étaient modératrices – et que le caractère international revendiqué est dû là encore à la présence tardive d’une contribution polonaise (à laquelle le lecteur ou la lectrice de »Francia« pardonnera l’identification de Philippe Dollinger comme historien allemand).

On retrouve les défauts agaçants d’une Landesgeschichte excessivement frileuse et le lecteur ne s’explique guère l’absence de références aux travaux d’Ingrid Bátori sur le patriciat de Nördlingen et Kitzingen, de Sonja Dünnebeil sur Lübeck, tandis que maintes villes de Bade-Wurtemberg sont ignorées. Ce constat se prolonge avec une bibliographie qui tendrait à faire croire que les contributions en anglais ou en français des spécialistes de l’histoire urbaine médiévale et moderne du Saint-Empire sont absentes des bibliothèques bavaroises – ou inaccessibles à leurs lecteurs et lectrices.

La première partie est consacrée à Nuremberg, eldorado des patriciens: Wolfgang Wüst propose un tour d’horizon sur les stratégies de représentation, notamment généalogique. Werner W. Schnabel produit un beau développement sur la coexistence avec la noblesse protestante autrichienne exilée au XVIIe siècle, examinant en particulier l’indifférence mutuelle ou les interactions à travers les album amicorum ou la littérature de circonstance. Katja Putzer jette les premières bases d’un projet comparatif sur la mémoire des lignages avec l’objet spectaculaire des Totenschilder (représentation héraldique funéraire) des XIVe et XVe siècles. Ce projet de recherche du Germanisches Nationalmuseum est complété par Matthias Nuding, qui présente les rapports entretenus par cette institution muséale hors norme avec les grandes familles nurembergeoises. Bien que le musée soit incontournable en tant que dépôt favori des archives patriciennes, ces dernières sont également dispersées.

Place ensuite à un tour d’horizon examinant Rothenburg ob der Tauber (Karl Borchardt), Kempten (Franz-Rasso Böck), Francfort/M. (Andreas Hansert), Ulm (Stefan Lang), Munich (Michael Stephan) et Constance (Christoph Heiermann). Ces contributions (parfois trop synthétiques) témoignent de la difficile application du terme de patricien – selon les critères nurembergeois de continuité de l’exercice du pouvoir et d’endogamie – en particulier pour des villes de moindre envergure où les familles échouent à se maintenir durablement.

Plusieurs auteurs préfèrent le concept d’»Ehrbarkeit« ou de »ratsfähig«, tandis que le terme de »Müßiggänger« (oisifs) s’impose dans la région du lac de Constance. Néanmoins, les auteurs observent l’émergence de familles en nombre limité, les mécanismes de fermeture, les stratégies d’élévation à la noblesse ou de monopolisation des offices municipaux. Le maintien d’activités financières comme les carrières universitaires ou militaires ou encore l’établissement de lignées mineures dans d’autres villes sont évoqués, même si la propriété foncière rurale est insuffisamment traitée. L’analyse concerne les villes libres et d’Empire mais aussi territoriales (Munich), et tant des villes sans corporation que d’autres aux mains des métiers.

Dans ces configurations – qui évoluent entre le XIIIe et le XVIe siècle selon les rapports de forces internes ou l’intervention du pouvoir impérial, on observe aussi l’outil associatif constitué par les poêles et sociétés patriciennes qui verrouillent le conseil municipal ou tentent de constituer une force d’opposition. Mentionnons enfin trois contributions à part – l’exotisme prussien avec la participation aux diètes urbaines de l’ordre Teutonique (Renata Skowrońska), un développement un peu frustrant sur la littérature patricienne (Klaus Wolf), tandis que Manfred Wegele propose une expérience généalogique, montrant comment la découverte d’un ancêtre patricien constitue une entrée soudaine dans la reconstitution des migrations et intermariages des lignages souabes.

Au-delà des terrains bien défrichés nurembergeois ou augsbourgeois (même si la rivale souabe de Nuremberg est extrêmement peu mise en valeur dans ce volume), un constat s’impose : depuis les grandes heures de l’histoire sociale il y a près d’un demi-siècle, les villes moyennes ont été négligées; plusieurs auteurs offrent d’ailleurs au public de 2019 des synthèses de travaux déjà anciens. Malgré ces critiques sur un volume maniable mais qui embrasse trop large à nos yeux, il faut néanmoins saluer le souci de témoigner de l’hétérogénéité des terrains et de l’historiographie en Allemagne: publications et bases de données abondantes pour les villes universitaires, pauvreté des sources selon les périodes ou les lieux, tandis que certaines villes recèlent une documentation seulement effleurée jusqu’ici et qui n’attend que de nouveaux chercheurs soucieux de renouveler le terrain de l’histoire urbaine comparée, y compris hors des frontières de l’État libre de Bavière.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jean-Dominique Delle Luche, Rezension von/compte rendu de: Wolfgang Wüst (Hg.), Patrizier – Wege zur städtischen Oligarchie und zum Landadel. Süddeutschland im Städtevergleich. Referate der internationalen und interdisziplinären Tagung, Egloffstein’sches Palais zu Erlangen, 7.–8. Oktober 2016. Unter Mitarbeit von Marc Holländer, Berlin (Peter Lang) 2018, 315 S., 38 Abb., ISBN 978-3-631-74325-6, EUR 49,95., in: Francia-Recensio 2019/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.63008