Bien que Maurice Keen ait affirmé qu’il était impossible de définir la chevalerie, Miguel Aguiar en fait l’approche comme un système idéologique, la forme de la chevalerie créant des valeurs, une vision du monde aristocratique fondée sur l’honneur et la guerre. Au XIVe–XVe siècle, ce système idéologique est la marque identitaire de l’aristocratie, avec son vocabulaire propre. La chevalerie est aussi un segment de la société avec une fonction spécifique et un certain mode d’être sur terre. Après avoir dressé l’état de la question, l’auteur présente la structure de son livre.

Dans »Les textes« (chap. 1, p. 27–68), il veut se fonder sur des sources surtout prescriptives et retient quatre témoins: les œuvres du roi D. Duarte (né en 1391, associé au gouvernement du royaume en 1412, roi en 1433, mort en 1438), »Leal Conselheiro, Livro da Ensinança de Bem Cavalgar Toda a Sela, et la compilation Livro dos Conselhos«; le titre concernant les chevaliers dans les »Ordonnances alphonsines« de 1446–1447 (D. Afonso V, fils de D. Duarte, né en 1431, met fin à la régence de son oncle D. Pedro en 1448, mort en 1481); l’avis de l’infant D. João (1400–1442, frère de D. Duarte) sur une nouvelle expédition en Afrique du Nord au début des années 1430; les chroniques de Gomes Eanes de Zurara (v. 1410–v. 1474), sur la guerre au Maroc, »Crónica da Tomada da Ceuta, Crónica do Conde D. Pedro de Menses«, »Crónica do Conde D. Duarte de Meneses« et sur la conquête de l’Afrique« (»Crónica do Descobrimento e Conquista da Guiné«).

À partir de leur analyse, l’auteur met en exergue la défense du royaume, puis se pose la question d’un corps social bien défini, en partant de la caractérisation des chevaliers, dans les »Ordonnances alphonsines«, en tant que »compagnie de nobles hommes ordonnés à la défense du royaume«, compagnie aussi appelée milícia. Surtout, dans la tentative de définition, il insiste sur les pratiques, les rituels, les valeurs de la chevalerie, telles celles mises en avant par Zurara, la force ou hardiesse, la prudence, la loyauté, l’obéissance (où l’on retrouve deux des vertus cardinales). À partir de ces textes, la chevalerie apparaît comme ordre, honneur ou état.

Le corps du livre est composé de deux longs chapitres. Le premier (chap. 2, p. 69–155) est consacré aux relations entre chevalerie et aristocratie, et royauté. À l’origine de l’aristocratie portugaise se trouvent les vilãos (vilains) et les fidalgos (fils de quelque chose). Apparurent aux XIIe et XIIIe siècles les cavaleiros de linhagem (chevaliers de lignage) au statut social éminent; au XIVe siècle, les »Livros de linhagem« indiquent le passage de la chevalerie à une catégorie aristocratique, la basse noblesse, très hétérogène (chevaliers à éperons dorés héréditaires, chevaliers de contia qui doivent le service militaire, chevaliers de la maison du roi, chevaliers résidant en ville …). Pourtant la cohésion de l’aristocratie se montrait à travers les joutes et les tournois, l’itinérance et la mobilité (l’internationale chevaleresque), l’adoubement, l’image qu’elle donnait d’elle-même (avec l’exemple des tombeaux et de l’héraldique). Elle se trouvait cependant minée par les rivalités et les défis. L’originalité ibérique, et portugaise, était la survivance des ordres religieux militaires du Moyen Âge central, en dehors de celui des Hospitaliers. En ce qui concerne les liens entre l’aristocratie et la royauté, au XVe siècle, les »Ordonnances alphonsines« instituaient le roi et son fils héritier comme chefs de la chevalerie du royaume. Cela impliquait que le roi se devait d’agir en chevalier et d’être représenté en chevalier (sur les sceaux, les tombeaux, les tapisseries – celles de Pastrana). Comme chef de la chevalerie, il avait commencé, à la fin du XIVe siècle, à armer des chevaliers.

Le second grand chapitre (chap. 3, p. 157–234) est une étude des rituels et des pratiques de la chevalerie, en premier lieu le rituel d’investiture. Celui-ci est connu par le »Livre de l’ordre de chevalerie« de Raymond Lulle et la »Segunda Partida« du roi Alphonse X de Castille, œuvres largement diffusées au XVe siècle, et aussi par le »Livre de chevalerie« de Geoffroy de Charny. Cependant les rois armaient leurs hommes chevaliers surtout sur le champ de bataille, particulièrement à Ceuta. Les grands événements chevaleresques étaient constitués par les joutes, tournois et faits d’armes. Pour le Portugal, les sources sont le »Livro da Ensinança de Bem Cavalgar Toda a Sela« du roi D. Duarte et les chroniques de la fin du Moyen Âge. À l’aide de celles-ci, l’auteur donne le détail de l’organisation et du déroulement de ces manifestations.

La croisade est le troisième aspect des rites et pratiques de la chevalerie au Portugal. Sa forme fut la »guerre des Maures«, encore dans le théâtre de la péninsule Ibérique au XIVe siècle, aux côtés de la Castille à la bataille de Salado en 1340 – où, ainsi que le rapporte le »Livre des lignages du come D. Pedro«, la chevalerie, inspirée par la faveur divine et par la Vraie Croix, s’est distinguée – et, au XVe siècle, sous la nouvelle dynastie, »au-delà de la mer«, au Maroc. Une originalité portugaise est la conservation des conseils donnés au roi en vue d’une campagne contre les Maures (notamment ceux précédant l’expédition de Tanger en 1437, conservés dans le »Livro dos Conselhos«), qui nous permettent de connaître les différents points de vue en compétition.

Enfin, l’auteur se pose la question de la spécificité, pour la chevalerie, du terrain de guerre contre les Maures. Dans un court épilogue (p. 237–240), il rappelle la polysémie des termes »chevalerie«, »chevalier«, avec le poids de la tradition littéraire aux XIVe et XVe siècles, période durant laquelle la chevalerie exprime les transformations des relations entre groupes dominants. Suivent une bibliographie, mais pas d’index.

Miguel Aguiar nous offre un livre ambitieux et bienvenu sur la chevalerie et les chevaliers au Portugal à la fin du Moyen Âge, qui s’inscrit dans la lignée des études britanniques et françaises. Au-delà de son périmètre, il est intéressant de relever qu’il n’y a pas eu au Portugal de débat sur la chevalerie et la noblesse au contraire de ce qui s’est produit en Italie, dans les autres royaumes ibériques et en Bourgogne au XVe siècle, ce qui montre la force sociale de son modèle de chevalerie.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Miguel Aguiar, Cavaleiros e Cavalaria. Ideologia, práticas e rituais aristocráticos em Portugal nos Séculos XIV e XV, Lissabon (Teodolito) 2018, 264 p., ISBN 978-989-8580-57-3, EUR 22,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66307