Ce volume réunit les actes d’un colloque organisé à l’université de Poitiers en octobre 2016. Il concerne un thème souvent étudié mais qui n’a pas encore livré tous ses secrets, celui du serment. Jaume Aurell expose en introduction (p. 7–14) comment les participants à ce colloque ont examiné tant la théorie que la pratique du serment qui implique, on le sait, tout à la fois des paroles et des gestes. Il s’agit d’une institution souvent centrale pour la constitution d’une société politique et particulièrement utilisée au cours de l’époque médiévale; comme dans bien d’autres domaines, le chercheur se doit d’être particulièrement attentif à la terminologie. Outre l’introduction, le livre compte onze articles, rédigés le plus souvent en français mais également en anglais pour quelques-uns. Index des noms de personnes et de lieux et surtout précieux résumés de chaque contribution guident le lecteur.
Dans une première partie, les auteurs envisagent le serment comme modalité de règlement des conflits au haut Moyen Âge. Le monde romain connaissait le jusjurandum, notamment celui que tout citoyen devait prêter à l’empereur; on sait que le refus manifesté par les chrétiens de prêter ce serment était considéré comme constituant une traitrise à l’égard de l’empire et justifiait la condamnation à mort du récalcitrant; le serment public, serment sur les lois, a toujours sa place dans la société chrétienne des mérovingiens – en particulier sous Dagobert – et ses caractères demeurent très comparables à ceux qu’il possédait dans la société romaine païenne; la continuité est indéniable (Christophe Camby, p. 17–32). Toujours en ce qui concerne le serment public, les doctrines relatives aux serments de fidélité tendent à s’affiner de l’époque mérovingienne à la fin des carolingiens; Charlemagne exige cette prestation à la veille de son couronnement et diverses théories, jusqu’à Hincmar insistent de plus en plus sur sa valeur, dans l’organisation du pouvoir royal carolingien comme l’attestent un certain nombre de textes ici reproduits (Janet Nelson, p. 33–55). Conventiculum, conspiratio, coniuratio, l’étude du vocabulaire s’impose et la communication du roi avec une conjuratio prend, au Moyen Âge, le caractère de négociation (Gerd Althoff, p. 57–66).
La seconde partie est relative aux serments prêtés dans le cadre des communes et à celui des chevaliers; trois articles donnent trois exemples concrets intéressants. En Castille, au XIIe siècle, l’histoire du monastère de Sahagun est étroitement liée aux prestations de serments qui ponctuent les relations souvent tumultueuses entre les paysans et l’abbé; l’adhésion à un serment fortifie l’opposition que les habitants peuvent manifester à l’égard de l’abbé (Charles Garcia, p. 69–92). À Brescia, au tournant du XIIIe et du XIVe siècle, l’iconographie, pour partie reproduite dans ce volume, illustre la portée politique du serment de paix prêté par les habitants, sous le contrôle de l’évêque; ce serment public est codifié, mais il n’est pas figé et peut évoluer (Matteo Ferrari, p. 93–130). L’iconographie atteste de la diversité des formes, du vocabulaire et des gestes des serments à la Cour du roi Arthur, lors de l’adoubement des chevaliers, ou à l’occasion des mariages, là encore, selon un rituel précis (Juliette Thibault, p. 131–166).
Le serment, le sacré et la royauté font l’objet de la troisième partie. Les chansons lyriques de croisade vantent la gloire du chrétien qui accomplit sans hésitation son devoir, mais cette dévotion au Christ par la croisade n’est que rarement marquée par un serment; par ailleurs, dans les chansons de gestes, les engagements pris devant Dieu ne s’accompagnent pas forcément d’un geste ou d’un rite spécifique et ne sont que rarement qualifiés de serment; dans ces textes lyriques, s’engager c’est d’abord se convertir (Marjolaine Raguin-Barthelmebs, p. 169–191). À propos de la Magna Carta de 1215, les barons de Jean sans Terre ont tenté de soumettre le roi aux obligations que lui-même avait prises par le serment prêté lors de son couronnement, mais ils œuvraient alors comme membre d’une conjuratio et agissaient contrairement aux prescriptions du droit canonique (Nicholas Vincent, p. 193–226). L’étude de quatre serments spécifiques de rois et reines de Navarre, du XIIe au XIVe siècle, atteste de ce que profane et sacré peuvent être étroitement mêlés dans l’ensemble du rituel (Jaume Aurell, p. 227–249).
La quatrième partie nous conduit à l’aube de la modernité. Dans la procédure criminelle du bas Moyen Âge, les promesses orales sont prises en compte pour favoriser le bon déroulé de l’enquête; les coutumiers en traitent et les sources de la pratique attestent de la fréquence de l’usage; on le constate tout particulièrement dans de nombreuses affaires d’injures faites aux femmes, injures mettant en cause leur pureté sexuelle (Charlotte Pichot, p. 253–266). Pour Machiavel, réussir une congiura politique implique prestation de serment de la part des conspirateurs qui s’engagent en outre au secret, conception qui marque une évolution de la notion même de serment (António Bento, p. 267–324).
Martin Aurell conclut l’ouvrage en insistant sur la fonction de stabilisateur social du serment dans la société médiévale, mais en constatant aussi que ces pactes, s’ils deviennent conjurations, peuvent en venir à remettre en cause l’ordre établi et les prérogatives des autorités en place. Les travaux des historiens relatifs au serment sont nombreux, et tout spécialement des dernières décennies. Il est utile qu’une institution aussi centrale de l’époque médiévale fasse l’objet d’approches multiples. Les actes de ce colloque se placent en bonne position dans l’ensemble de ces publications. L’un de leur apport majeur réside dans les nombreuses citations et transcriptions d’actes. De fait, la réalité des serments ne s’appréhende qu’au travers de la multiplicité des exemples pratiques.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Brigitte Basdevant-Gaudemet, Rezension von/compte rendu de: Jaume Aurell, Martin Aurell, Montserrat Herrero (éd.), Le Sacré et la parole. Le serment au Moyen Âge, Paris (Classiques Garnier) 2018, 327 p., 12 ill. (Rencontres, 378. Civilisation médiévale, 34), ISBN 978-2-406-08034-3, EUR 32,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66313