La commémoration du huitième centenaire du IVe concile du Latran a donné lieu à l’organisation d’un colloque international qui s’est tenu à Rome en 2015, et dont les actes font l’objet de la publication du présent volume.

À l’appel du pape Innocent III, auteur de l’encyclique »Vineam Domini« (19 novembre 1213), plus de 400 évêques et près de 800 abbés et prieurs se sont réunis à Rome du 11 au 30 novembre 1215 pour examiner avec le pape les principaux problèmes de l’Église et organiser la nouvelle croisade que le souverain pontife appelait de ses vœux. La constitution »Ad liberandam« publiée à la fin de la session conciliaire synthétisa l’ensemble des décisions prises par les participants. Dans une large introduction, les deux éditeurs du volume ont rappelé les deux objectifs principaux d’Innocent III – recouvrer la Terre sainte et réformer l’Église – ainsi que le déroulement des événements depuis novembre 1213 jusqu’à la conclusion du concile.

Les communications ici présentées s’ordonnent en quatre thèmes successifs: liturgie, indulgences et élections ecclésiastiques, d’abord; la croisade contre les Albigeois, en second lieu; les croisades nordiques et hispaniques, en troisième partie; enfin l’examen du texte »Ad liberandam« et de son impact.

Richard Allington étudie la piété de croisade stimulée par le concile. Dans son sermon d’ouverture, Innocent III promeut la dévotion à la croix du Christ, une plus grande participation à la vie liturgique et sacramentelle de l’Église, tout en liant la réforme de celle-ci au soutien de la croisade. Il appelle les chrétiens à organiser des processions d’intercession, précédées de la croix, grâce auxquelles les laïcs renouvelleront leur vie spirituelle en partageant les souffrances du Christ. Le pape utilise d’ailleurs une relique de la Vraie Croix, apportée de Constantinople en 1204, pour bénir les participants au concile.

Le problème des indulgences de croisade a donné lieu à de longs débats, résumés par Ane Bysted: s’agit-il de rémission des péchés ou de rémission des peines encourues par les pécheurs? Examinant les canons 62 et 71 de Latran IV, l’auteur conclut que seuls les évêques peuvent accorder des indulgences pour une durée limitée et pour la rémission des péchés, en proportion des efforts effectués par les croisés.

Thomas Madden s’intéresse à l’histoire tumultueuse du patriarcat latin de Constantinople. Élu en 1204, selon les termes du pacte de la »Partitio Romanie«, le Vénitien Tommaso Morosini encourt l’hostilité de son clergé franc pour avoir été contraint de prêter un serment selon lequel seuls des Vénitiens pourront être choisis comme chanoines de Sainte-Sophie. Sont également en cause les revenus des églises latines de l’empire byzantin, attribués dès 1107 au patriarche du Grado, mais revendiqués après la IVe Croisade par le patriarche latin de Constantinople.

Le concile s’est aussi préoccupé de la croisade contre les Albigeois. Innocent III avait accordé les indulgences de croisade en Terre sainte à tous ceux qui iraient combattre les hérétiques toulousains. Martin Alvira montre qu’il importait au pape d’empêcher le roi d’Aragon d’intervenir contre Simon de Montfort; la défaite et la mort de Pierre II à Muret résolvent définitivement le problème. Marjolaine Raguin-Barthelmebs analyse de son côté la »Chanson de la Croisade albigeoise«, dont la seconde partie est un discours légitimant l’entreprise de reconquête contre Simon de Montfort et dénonçant la spoliation des seigneurs méridionaux par les chevaliers du Nord. Quant à Marco Meschini, il examine la stratégie de Simon de Montfort et du comte de Toulouse Raymond VI, défendant leur position devant les pères conciliaires et face à un pape tourmenté et hésitant. Guillem Ramon de Montcada, assassin de l’archevêque de Tarragone, vient plaider sa cause au concile qui lui assigne une lourde pénitence. Mais, comme le rappelle Damian Smith, il reprend les armes contre Simon de Montfort et est excommunié.

Passant dans les pays baltes, Alan Murray souligne l’importance de la conversio gentium à la périphérie de la chrétienté, telle que la décrit la chronique d’Henry de Livonie, qui met en valeur les succès de l’évêque de Riga, Albert von Buxhövden, et de la mission allemande dans la conversion des peuples païens de la Baltique. Torben Nielsen montre les efforts de l’évêque de Riga auprès du concile pour faire de la Vierge la mère de la Livonie, la protectrice des jeunes communautés baltiques et de nombreuses institutions ecclésiastiques dans les pays du Nord.

Dans la péninsule Ibérique, l’archevêque Rodrigo Jimenez de Rada, nommé légat pontifical, est chargé par Honorius III de promouvoir la guerre contre les musulmans, ce qui implique, selon Miguel Gomez, d’établir la paix entre les rois de la péninsule. Le succès de cette politique est limité.

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à l’étude de la constitution »Ad liberandam«. Innocent III aurait-il proposé au concile un texte préparé à l’avance, ou consenti à des aménagements par les pères conciliaires? Thomas Smith penche pour cette seconde hypothèse, en démontrant que les participants au concile ont discuté et amélioré les plans de croisade du pape. La constitution renforce aussi l’interdit pontifical du commerce avec les Sarrasins (article 71), mais influence le commerce en Méditerranée dans un sens non prévu par les pères conciliaires. En effet, comme le démontre James Todesca, les marchands occidentaux ont fait frapper des dirhams contrefaits pour commercer en Afrique du Nord et y acquérir l’or venu du Ghana, de telle sorte que l’embargo pontifical a de fait favorisé le retour de l’Occident à la monnaie d’or.

Prenant l’exemple des croisés de Frise, de Cologne et de Hollande, Jessalynn Bird montre que les prédicateurs envoyés dans ces régions ont eu le souci de préserver les droits des croisés et de rétablir la paix entre les grands seigneurs locaux, afin qu’ils accomplissent leur vœu de croisade. L’ouvrage se termine par une étude de Jan Vanderburie sur l’impact de l’œuvre de Jacques de Vitry, l’»Historia orientalis«, et du »Liber tertius«, qui ont pu fournir des informations sur l’Orient et sur l’Islam tant à Innocent III qu’à son successeur, Honorius III.

La réunion du IVe concile du Latran a donné lieu à un riche dialogue entre le pape, désireux de susciter à tout prix une nouvelle croisade, et les pères conciliaires qui ont amendé le texte de la constitution »Ad liberandam« pour y renforcer les droits et privilèges des croisés, comme l’indiquent, non sans quelque répétition, les auteurs de plusieurs communications. La politique pontificale en ressort plus nuancée qu’on ne le croyait, en particulier à propos de la croisade contre les Albigeois, ou des expéditions contre les musulmans d’Espagne. Bien présenté, sauf dans le chapitre V qui aurait dû être relu pour éviter trop de fautes de français, l’ouvrage dirigé par Jessalynn Bird et Damian Smith apporte un nouvel éclairage sur l’un des conciles les plus importants du Moyen Âge.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Michel Balard, Rezension von/compte rendu de: Jessalynn L. Bird, Damian J. Smith (ed.), The Fourth Lateran Council and the Crusade Movement. The Impact of the Council of 1215 on Latin Christendom and the East, Turnhout (Brepols) 2018, XII–340 p., 5 b/w ill. (Outremer. Studies in the Crusades and the Latin East, 7), ISBN 978-2-503-58088-3, EUR 89,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66315