L’ouvrage Paris, ville de cour est issu d’un colloque international, organisé par les trois directeurs de publication, Boris Bove, Murielle Gaude-Ferragu et Cédric Michon, les 5 et 6 juin 2014 au Petit Palais. En plus de l’introduction des directeurs et de la conclusion écrite par Werner Paravicini et Jean-Marie Le Gall, ces actes rassemblent dix-sept contributions, ainsi que trois riches index (des noms de personnes, des toponymes urbains et des villes). L’on regrettera seulement l’absence de bibliographie générale.

La réflexion porte sur une question peu abordée dans l’historiographie française: celle des relations entretenues entre la cour de France et la ville de Paris, jusqu’alors souvent cantonnée à l’histoire cérémonielle et à l’histoire de l’art. L’enjeu dépasse ici ces deux approches sans pour autant les exclure: il s’agit, d’une part, d’observer les incidences de la cour sur la ville et, inversement, de déterminer ce qu’apporte la ville à la cour – entendue comme un ensemble de personnes évoluant dans la proximité du souverain (princes, aristocrates, officiers). En choisissant d’adopter une méthode comparative, croisant les périodes et les espaces, l’ouvrage vise à mesurer toute l’étendue de ces interactions et permet d’en donner une vision panoramique. Histoire sociale, histoire économique, histoire culturelle, histoire littéraire et histoire religieuse sont ainsi mobilisées sur une chronologie longue, s’étendant du XIIIe au XVIIIe siècle.

L’organisation de l’ouvrage se décline autour de cinq axes. Est d’abord interrogée la présence physique du roi et de sa cour à Paris, avec trois articles couvrant toute la période proposée à l’étude. Boris Bove réalise une synthèse sur les itinéraires des rois médiévaux, entre 1180 et 1483. Caroline zum Kolk poursuit la réflexion pour le XVIe siècle et montre qu’une sédentarisation temporaire s’opère sous la régence de Catherine de Médicis. Laurent Lemarchand étudie quant à lui une autre période de régence, celle qui suit le décès de Louis XIV.

La deuxième partie de l’ouvrage articule cette question de la présence de la cour dans la ville à celle du logement, pour le roi mais aussi pour ses gens. La contribution de Guillaume Fonkenell permet de saisir les interactions entre le palais du Louvre et son cadre urbain, soulignant que l’autorité royale doit faire face à de nombreuses contraintes et accepter des négociations. Les articles de José Martínez Millán, sur la cour de Madrid (XVIe–XVIIIe siècles), et de Rita Costa-Gomes, sur la cour de Lisbonne (XIVe–XVe siècles), apportent de riches points de comparaison entre Moyen Âge et époque moderne, renvoyant aussi à la spécificité du cas parisien.

Sont ensuite étudiés, dans une troisième partie, les effets socio-économiques qu’a pu avoir la société curiale sur la ville, malgré son poids démographique relativement faible. C’est moins la consommation du roi et de sa famille que celle de princes accompagnant la cour qui est ici examinée, dans la seconde moitié du XIVe siècle: Florence Berland propose une synthèse sur le mode de vie princier à travers le cas des ducs Valois de Bourgogne, tandis qu’Arnaud Alexandre détaille les commandes d’orfèvrerie réalisées par Louis d’Orléans et son épouse. L’article de John McEwan sur les fournisseurs londoniens de la cour anglaise permet à nouveau d’ouvrir une réflexion plus globale sur les relations entretenues par le roi avec les marchands et les artisans.

Une fois étudiés dans leur réalité, ces rapports sont observés à l’aune des représentations que les acteurs pouvaient en avoir, dans une quatrième partie. Michelle Szkilnik adopte une approche littéraire, avec l’analyse de cinq romans du XVe siècle. L’imaginaire des relations entre la cour et la ville y apparaît comme détaché de la réalité vécue. De même, à l’occasion des cérémonies tenues à Paris, gens de cour et habitants de la ville s’éloignent à mesure qu’avance le XVIe siècle: à l’exception des entrées et des funérailles, les Parisiens sont rarement amenés à participer aux fêtes, comme l’indique Monique Chatenet.

Cette réflexion sur les échanges culturels se poursuit dans la cinquième partie, davantage focalisée sur les arts du spectacle. L’analyse de la culture théâtrale, à travers l’exemple de la farce aux XVe et XVIe siècles, par Marie Bouhaïk-Gironès, puis l’étude de l’administration des Menus Plaisirs au XVIIIe siècle, par Pauline Lemaigre-Gaffier, montrent la perméabilité et la variété des interactions entre la cour et la ville. Avec sa contribution consacrée au cercle parisien de Marguerite de Valois, Bruno Petey-Girard invite même à interroger la définition de la cour, lorsqu’elle s’organise dans la ville mais pas autour du couple royal.

La sixième et dernière partie propose enfin d’observer comment les gens de cour ont pu modeler la ville. Élodie Ozenne en donne un premier aperçu avec l’étude de trois couvents abritant les épitaphes de membres de la famille royale, mais aussi d’aristocrates et d’officiers. Au mécénat religieux s’ajoutent d’autres formes d’investissement de la cour dans la ville, comme en témoignent les deux dernières contributions d’Étienne Hamon et de Mathieu Deldicque. Même dans un contexte peu favorable – celui du règne de Charles VIII marqué par une préférence pour les châteaux de la Loire –, il apparaît que le roi autant que les grands encouragent le développement de certains quartiers et institutions religieuses.

La variété aussi bien que la qualité des contributions permettent à cet ouvrage d’apporter des réponses claires à la question initiale: Paris fut-elle une ville de cour? Non, ou du moins partiellement seulement: la cour n’a été qu’un facteur, certes fondamental, ayant participé à stimuler l’économie et à façonner l’espace urbain. Mais la cour n’était pas indispensable à la ville, comme la ville n’était pas indispensable à la cour – l’itinérance puis l’installation dans une ville périphérique, Versailles, le montrent. Cette mise à distance, qui va de pair avec la sacralisation du souverain, n’a cependant pas empêché Paris de rester le premier marché économique et financier de France, ni même d’exercer une suprématie culturelle indépendante, entre autres grâce à son université. Finalement, à l’issue de cette lecture, restent deux interrogations: celle de la »pesée économétrique« (p. 351) plus globale de la cour par rapport à la ville, malheureusement entravée par les déficits documentaires, et celle des évolutions faisant suite à la Révolution. Peut-être à l’occasion d’un autre colloque, la réflexion pourrait en effet s’étendre au Paris du XIXe siècle, à l’heure où s’opère un retour des souverains dans la capitale.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Flavie Leroux, Rezension von/compte rendu de: Boris Bove, Murielle Gaude-Ferragu, Cédric Michon (dir.), Paris, ville de cour. XIIIe–XVIIIe siècle, Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2017, 384 p., ill. en coul. et n/b (Histoire), ISBN 978-2-7535-5910-3, EUR 24,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66317