Rendre à Charles d’Albret »la place qu’il mérite dans le tableau de son époque«, telle est la tâche que s’est assignée l’auteur de cette biographie du connétable Charles Ier d’Albret, une figure politique connue mais qui n’avait encore jamais fait l’objet d’une véritable étude scientifique. Pierre Courroux a pour ce faire réuni une documentation importante, en bonne partie inédite et très dispersée.

Les destinées de Charles d’Albret ont été largement déterminées par le retournement politique de son père Arnaud-Amanieu d’Albret en 1368–1369. Alors que les importants seigneurs en Gascogne, Guyenne et Agenais qu’étaient les Albret s’étaient rangés en bloc derrière le roi d’Angleterre et duc de Guyenne presque dès le début de la guerre de Cent Ans, Arnaud-Amanieu, chef de la branche principale, se rallie à Charles V en épousant le 4 mai 1368, dans la chapelle de l’hôtel Saint-Pol à Paris, Marguerite de Bourbon, sœur de la reine de France, un mariage prestigieux assorti d’une dot constituée par une rente de 4000 livres (échangée en 1382 contre le comté de Dreux) versée par le roi. Dans le sillage de son parent et traditionnel allié, le comte d’Armagnac, il rejoint ensuite les »appelants« au roi de France contre le fouage décrété par le Prince Noir.

Son ralliement, grassement récompensé par Charles V qui fait bien plus que compenser la perte des territoires restés sous contrôle anglais, joue un rôle décisif dans la reconquête française en Aquitaine. Son fils aîné Charles, le futur connétable, né en 1368 quasiment en même temps que le fils aîné de Charles V, sera de plus élevé à Paris avec le futur Charles VI et il sera toute sa vie un grand seigneur beaucoup plus français que gascon. Resté largement dans l’ombre de son père jusqu’à la trentaine passée – ce qui explique la rareté des documents le concernant pour cette période de sa vie –, il s’affirme à partir de 1401. Avant de disparaître, son père avait encore arrangé son mariage avec Marie de Sully, une riche héritière veuve d’un La Tremoille.

Devenu le chef du puissant groupe familial des Albret, il obtient dès 1401 l’office de président général des aides puis, après la mort de Louis de Sancerre, celui de connétable le 6 février 1403; sa proximité avec le roi avait permis cette promotion mais il faut aussi penser que ce choix convenait à tous les princes de sang. Pierre Courroux donne alors une étude des biens et revenus du nouveau connétable et il analyse le mode de gouvernement mis en œuvre pour les administrer; Charles est à la tête d’un complexe de seigneuries important mais assez fragmenté: aux terres ancestrales des Albret dans le Sud-Ouest, elles-mêmes assez morcelées, se sont ajoutés le comté de Dreux autrefois attribué à son père – il devra lutter pour le récupérer – et les biens obtenus par le biais de Marie de Sully, notamment les baronnies de Craon (que les Albret devront restituer aux La Tremoille héritiers du premier mariage de Marie), Sully et Orval. Plus de la moitié de ses revenus vient néanmoins des versements du roi en gages, rentes et dons exceptionnels; ils représentaient en 1404–1405 – année pour laquelle des épaves des anciens comptes généraux de Charles d’Albret ont été conservées – 45 364 livres tournois sur les 73 464 livres tournois que le trésorier de Charles gère cette année.

Charles d’Albret avait mis en place une administration et un gouvernement largement calqués sur ceux des princes et du roi. Il est clair néanmoins qu’il ne possédait pas une véritable principauté et ne pouvait rivaliser avec les princes territoriaux du royaume. Son office de grand officier de la couronne, sa proximité avec le roi et ses revenus très dépendants de la faveur royale le conduisent en fait à suivre, avec ses collègues grands officiers dont il est proche – il marie sa fille au fils du grand maître de l’hôtel royal Jean de Montaigu – et d’autres princes de moindre rang, une voie politique de soutien à un pouvoir royal qui aurait été capable de résister aux tentatives de contrôle de l’État par les trop puissants ducs de Bourgogne et d’Orléans.

L’assassinat de Louis d’Orléans le 23 novembre 1407 condamnait à terme cette voie et Charles dut, non sans quelque retard et hésitation – il ne s’associe pas à la ligue de Gien des princes armagnacs le 15 avril 1410 –, se rallier au parti d’Orléans dans lequel son parent et traditionnel allié des Albret, le comte d’Armagnac, commençait à jouer un rôle décisif. Il est déchu de son office de connétable et apparaît pour la première fois, le 3 octobre 1411, dans la liste des princes armagnacs déclarés rebelles par le conseil du roi dominé par le duc de Bourgogne. Il devient désormais un des chefs militaires du parti d’Orléans-Armagnac.

Il ne s’associe pas au traité de Bourges que les princes de Berry, Orléans, Bourbon et Alençon concluent le 8 mai 1412 avec le roi d’Angleterre car ce traité menaçait de le ravaler au rang de simple vassal du roi anglais et risquait de trancher le lien vital des Albret avec le pouvoir royal; mais il défend Bourges contre l’armée bourguignonne et royale. Il ne scelle pas pour autant la paix d’Auxerre, car elle ne lui rendait pas son titre de connétable, et il préfère, comme le comte d’Armagnac, traiter avec les Anglais à ses propres conditions. Le 5 septembre 1413, après la chute des cabochiens, il retrouve enfin l’épée de connétable et codirige au printemps 1414 avec le duc de Bourbon la campagne militaire contre Jean sans Peur. Chef à Azincourt avec Boucicaut de l’armée française, il meurt dans une bataille qu’il aurait voulu éviter mais que les princes de sang lui ont imposée.

Comme l’écrit Pierre Courroux, »raconter la vie de Charles d’Albret revient bien souvent à conter l’histoire de France« (p. 209) et oblige par conséquent à revenir sur des faits déjà connus; il reste que cette étude solide et bien menée, fondée sur une importante documentation en bonne partie inédite, va constituer pour longtemps la biographie de référence de l’acteur de premier plan de l’histoire du royaume au début du XVe siècle que fut le connétable Charles Ier d’Albret.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jean-Marie Moeglin, Rezension von/compte rendu de: Pierre Courroux, Charles d’Albret. Le connétable d’Azincourt, Pessac (Ausonius Éditions) 2019, 341 p. (Scripta Mediaevalia, 36), ISBN 978-2-35613-250-5, EUR 25,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66320