Issu du colloque international intitulé »Les représentations du livre aux époques carolingienne et ottonienne« qui s’est tenu à l’INHA et à la Sorbonne entre le 15 et le 17 octobre 2015, cet ouvrage collectif paru en 2018 sous la direction de Charlotte Denoël, Anne-Orange Poilpré et Sumi Shimahara rassemble 19 contributions écrites en français et en anglais. Provenant de différents horizons universitaires et disciplinaires, les auteurs apportent une réflexion inédite et transversale sur la question complexe du livre, de son rôle et surtout de sa présentation et ses représentations, littéraires et figurées, dans la société carolingienne étroitement liée aux manuscrits.

La formule »Imago libri«1 ouvrant le titre a ainsi été choisie pour rendre compte des différentes facettes du livre manuscrit, un objet essentiel entre le VIIIe et le Xe siècle qui a laissé son empreinte dans les textes et l’iconographie carolingienne et ottonienne. Le procédé de mise en abyme suggéré par le titre »Imago libri« et mis à contribution par Cécile Voyer, invite le lecteur ou la lectrice à entrer dans le riche univers du livre carolingien et de ses imagines dans les textes et les images inscrits dans les manuscrits, instruments à la fois idéologiques et liturgiques de l’auctoritas temporelle et spirituelle. D’ailleurs, 25 illustrations en noir et blanc dans le corps du texte (p. 41–70) et 96 illustrations en couleurs à la fin de l’ouvrage (p. 267–335) viennent étayer les contributions.

Les cinq sections thématiques de l’ouvrage offrent une vision du livre selon différents angles. La première section intitulée »Dire et figurer le livre« rassemble quatre contributions portant sur plusieurs manières d’inscrire le livre dans le livre, par exemple en tant que »motif-livre«2 à travers les Évangéliaires figurés dans les portraits des Évangélistes par Charlotte Denoël, ou en tant que substantif – Liber et ses cooccurrents – dans le corpus carolingien de la »Patrologie latine« par Bruno Bon et Krzysztof Nowak.

La deuxième section est consacrée au livre comme instrument de loi et d’autorité notamment à partir de manuscrits de droit destinés à l’administration du royaume d’Italie étudiés par Stefan Esders. La question est aussi posée par Anne-Orange Poilpré sous l’angle de l’auctoritas spirituelle véhiculée par la Bible – le Livre par excellence – ainsi que par les figures de David et de Jérôme perçus comme des modèles de conduite pour les souverains et les exégètes carolingiens, mais aussi par Helmut Reimitz sous l’angle de la légitimation d’une autorité temporelle avec des livres d’histoire carolingiens, témoignant dès lors de la malléabilité de la matière textuelle.

Dans la troisième section, quatre contributions portent sur le support d’écriture et sur les enjeux de sa présentation et de ses représentations dans l’exégèse et les enluminures. La sacralité du manuscrit, la valeur du contenu et la préciosité du contenant sont interrogées à travers différents exemples comme autant d’instruments de spiritualité, de media entre l’homme et Dieu. Yves Christe revient sur le thème de la transmission de la Loi (Traditio Legis) et sur le glissement de l’Ancienne à la Nouvelle Loi dans cette scène figurée sur plusieurs types de supports entre le IVe et le IXe siècle. L’auteur étudie en particulier le processus de substitution entre Moïse, Pierre et Paul dans une scène au cœur de laquelle se trouve le livre figuré sous la forme d’un codex, d’un rotulus ou des tables de pierre à partir du XIe siècle. Sumi Shimahara examine, quant à elle, plusieurs occurrences des termes liber et volumen dans l’exégèse et réfléchit sur les différentes formes du liber pouvant être voilé, écrit des deux côtés, scellé, … Le Livre accompagne les exégètes dans leur rapprochement avec Dieu, »expérience d’une relation aussi bien sensorielle qu’intellectuelle avec ce dernier« (Sumi Shimahara, »Le livre dans le Livre: parcours exégétiques«, p. 149).

Dans la quatrième section intitulée »Livre et liturgie«, il s’agit d’analyser la dimension rituelle du manuscrit, en se concentrant sur la portée des textes et des images. Adam S. Cohen étudie plusieurs représentations de livres dans des manuscrits datés autour de l’an mil en replaçant ces images dans le contexte de la réforme monastique. Le »motif-livre« réifie la règle bénédictine, il la représente – c’est-à-dire la rend présente – dans l’image et réaffirme son autorité au cœur de la vie monastique (Adam S. Cohen, »The Book and Monastic Reform«, p. 181). Cécile Voyer examine, quant à elle, les différentes représentations de codices dans le sacramentaire de Marmoutier (845–850). Le codex ouvert signifie notamment l’efficacité du rituel et incarne l’autorité des Écritures dont l’évêque semble être le plus proche. Des liens étroits sont tissés entre le Verbe de Dieu immuable et universel et la figure de l’évêque, officiant exemplaire et garant de l’ordre de l’Église. L’organisation de l’image traduit l’ordonnancement de l’Église terrestre et reflète plus généralement la mise en ordre de la société chrétienne qui, elle-même, tend à restaurer l’harmonie du cosmos.

Dans la dernière section, »Livre, signes, images littéraires«, Francesco Stella s’interroge sur les différentes représentations du livre dans la poésie carolingienne et ottonienne afin d’en isoler la fonction sociale sous-jacente. La »poésie de l’écriture et du ›livre‹« profite à la classe sociale élevée des lettrés participant pleinement au phénomène de »mythisation de l’écriture« et renforce la fonction médiatrice du livre comme vecteur du rapprochement de l’homme avec Dieu (Francesco Stella, »Les représentations du livre dans les textes poétiques carolingiens et ottoniens. Naissance de la poésie paratextuelle«, p. 236). Écrire, copier, lire, méditer à partir du Verbe et prier accompagnent l’élévation spirituelle et guident le fidèle sur la voie du salut.

Enfin, Fabrizio Crivello pose les jalons d’une enquête qui reste encore à mener, sur les origines, sur l’emplacement et le rôle du livre ouvert intégré dans les tables de canons des Évangiles carolingiens. En outre, dans une conclusion intitulée »le livre dans tous ses états«, François Bougard revient sur la polymorphie du livre représenté et sur la place prédominante du manuscrit dans la pensée, la culture et la société carolingienne.

Ainsi, cet ouvrage apporte une réflexion originale sur les modalités multiples et les enjeux de l’inscription du livre dans le livre à l’époque carolingienne. Les contributions mettent en lumière trois principales facettes des empreintes textuelles ou figurées du livre dans les manuscrits. Les représentations du livre sont l’instrument d’un discours fondé sur une auctoritas intellectuelle, spirituelle ou temporelle rendu présente, voire réifiée par le livre. Elles reflètent également l’organisation du texte, de l’image et du manuscrit qui, lui-même, évoque l’harmonie du monde vers laquelle se dirige l’organisation de la société chrétienne dans l’Empire carolingien. Enfin, les empreintes du livre dans le livre révèlent la préciosité du contenant et de son contenu qui doit être transmis. Le Verbe de Dieu immuable et universel et les précieuses imagines constituent un medium privilégié entre le fidèle et Dieu.

1 Le titre des actes est une référence à l’introduction de l’ouvrage: François Dupuigrenet Desroussilles, La symbolique du livre dans l’art occidental du haut Moyen Âge à Rembrandt, Bordeaux, Paris 1995, p. 9–14.
2 Ibid., p. 12.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Raphaël Demès, Rezension von/compte rendu de: Charlotte Denoël, Anne-Orange Poilpré, Sumi Shimahara (dir.), Imago libri. Représentations carolingiennes du livre, Turnhout (Brepols) 2018, 335 p., 26 ill. en n/b, 96 en coul. (Bibliologia. Elementa ad librorum studia pertinentia, 47), ISBN 978-2-503-56767-9, EUR 85,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66321