On connaît l’important colloque réuni en 1990, entre autres par Olivier Guyotjeannin (avec Michel Parisse et Laurent Morelle), sur les cartulaires, qui a constitué un tournant majeur dans l’étude de ce type de manuscrit. Même s’il se garde bien de revendiquer un tel patronage, le volume recensé en constitue une sorte de pendant consacré aux registres. Avec une différence majeure cependant: là où »Les cartulaires« cherchaient à donner une représentation la plus large possible de leur objet, »L’art médiéval du registre« se concentre sur les chancelleries royales (française surtout, mais sans négliger les Plantagenêt ou Frédéric II) et princières, avec un regard sur la chancellerie pontificale, sur les seigneurs d’Apremont et sur les évêques de Wurtzbourg (mais en tant que seigneurs féodaux). Non par dédain, on s’en doute, pour les autres institutions: registres municipaux et ecclésiastiques feront l’objet, promet O. G., d’une autre publication, qu’on attend avec impatience. Du point de vue chronologique, ce sont surtout les XIIIe–XVe siècles qui sont concernés, avec une poussée au XIIe siècle pour l’Angleterre et une prise en compte de l’évolution de la chancellerie royale française jusqu’à la Révolution.

Le grand mérite des contributions de ce volume est que, au-delà des inévitables et indispensables descriptions et analyses, elles ne cherchent pas tant à créer des catégories post factum qu’à comprendre les choix et les décisions des archivistes: pourquoi constituer un registre, pour quel document, dans quelle organisation, selon quelle sélection …?

Au hasard de la lecture, très riche, de ce volume, on notera différents éléments. Les »registres« sont parfois plus que de simples registres, comme en France sous le règne de Philippe Auguste, quand sont constitués les premiers d’entre eux, qui sont plutôt des recueils composites et partiellement rétrospectifs de documents jugés utiles pour l’administration du royaume, en réalité des »cartulaires-registres«; ou comme à la chancellerie de Grégoire VII et d’Innocent III, qui copie dans ses registres des textes jugés importants pour la papauté, comme les célèbres »Dictatus papae«; les registres de Frédéric II comme roi de Sicile contiennent aussi bien des actes que l’»Ordinatio novorum portuum« ou des listes de prisonniers et d’otages. La terminologie est d’ailleurs imparfaite, comme à la chancellerie d’Alphonse de Poitiers, qui semble utiliser liber pour désigner un contenu, registrum pour le contenant. En Hainaut, les registres hétérogènes ont reçu, tardivement, le nom de »journaux«.

Les registres ne reçoivent souvent, surtout au début de la période considérée, la copie que d’une partie des lettres émises (ou reçues): c’est le cas à la chancellerie pontificale, même si on a du mal à expliquer les choix posés; en France aussi, mais à partir des années 1260 on voit fleurir des registres spécialisés, qui ont une plus grande prétention à l’exhaustivité; en Flandre, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, 10% des actes comtaux seulement étaient sans doute enregistrés. En Angleterre au contraire, dès le départ, et on sait qu’il fut précoce (vers 1120?), l’enregistrement dans les pipe rolls était systématique, et chaque série avait sa spécificité. Le registre au sens strict se caractérise d’ailleurs bien par l’ordre chronologique des actes, comme on le voit dans les registres pontificaux, ou en France à partir du milieu du XIIIe siècle; ce qui n’empêche pas de perturber cet ordre par la constitution de dossiers, comme le montre le »Livre Rouge« de la Chambre des comptes en 1297.

La comparaison des copies des registres avec le texte des originaux n’est pas toujours possible. Quand elle l’est, comme pour le registre de la comtesse de Flandre Marguerite (1244–1278/1280), elle permet de voir que la source n’était pas l’original lui-même, mais une version préparatoire, dont la date était antérieure de quelques jours à celle de l’original; dans les registres féodaux de l’évêque de Wurtzbourg en revanche les copies sont très fidèles.

Très vite les administrations royales, qui se fragmentaient et se spécialisaient, ont commencé à tenir des registres thématiques, comme les Olim du parlement de Paris, qui commencèrent en 1254, ou les coronation rolls anglais (depuis 1308).

Les registres étaient-ils utilisés? Certainement à la chancellerie pontificale, puisqu’ils ont dès l’origine transmis de nombreuses décrétales; dans la France des derniers Capétiens, ce sont les nombreuses marques de lecture dans les manuscrits qui en témoignent, mais aussi le fait des actes enregistrés étaient vidimés; dans la Flandre de Marguerite c’est à l’usage des clercs des finances que les registres sont élaborés; les registres aux chartes de la Chambre des comptes de Lille aux XIVe et XVe siècles abondent en notes marginales, comme c’est le cas par exemple pour le texte du traité d’Arras.

Pour faciliter leur consultation, les registres pouvaient être accompagnés de tables ou de regestes. Mais si cela se faisait à la chancellerie d’Alphonse de Poitiers, cela vint plus tard à la chancellerie royale.

Enfin, alors qu’on associe ces registres au Moyen Âge, il ne faut pas perdre de vue que certains ont été tenus en France jusqu’à la Révolution, et qu’en Grande-Bretagne certains le sont même encore!

Ce volume est d’une très grande richesse, et tient largement ses promesses. Il intéressera les diplomatistes bien sûr, mais aussi les historiens des institutions, du pouvoir, de l’écrit et par là de la culture. Un seul petit regret: l’index final ne porte que sur les noms propres, alors qu’un index rerum et une liste des manuscrits cités eussent été très utiles.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Olivier Guyotjeannin (éd.), L’art médiéval du registre. Chancelleries royales et princières, Paris (École nationale des chartes) 2018, 552 p., 69 ill. (Études et rencontres de l’École des chartes, 51), ISBN 978-2-35723-142-9, EUR 51,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66331