Au tournant des années 1358–1359, le jeune duc d’Autriche Rudolf IV mène une politique agressive à l’encontre de son beau-père, l’empereur Charles IV, et tente par tous les moyens d’assurer une place de choix à la dynastie Habsbourg dans le paysage des principautés d’Empire, en profond remodelage. Iconographie, symbolique, libelles, tout est bon, jusqu’à un dossier de falsifications d’État, qui tourne, sans se limiter à lui, autour du Privilegium maius (ainsi nommé par opposition au Privilegium minus, authentique mais moins avantageux), un acte que Frédéric Barberousse aurait délivré en 1156. Titre à part, les éditeurs préfèrent considérer le dossier, le »Komplex« d’actes, qui associe dans la même coulée, avec des privilèges politiques et fiscaux élargis de l’un à l’autre et en des cascades de vidimus confirmatifs, un acte de l’empereur Henri IV (1058), qui prend la peine de vidimer un acte de César et un autre de Néron (Henricianum), une confirmation du roi Henri (VII) prétendue de 1228, un vidimus confirmatif de Frédéric II (Maius-Transumpt, 1245), une confirmation du roi Rudolf prétendue de 1283; dossier livré aussitôt et pour un bon siècle et demi à un torrent d’autres vidimus, impériaux-royaux ou ecclésiastiques.

Après la diatribe de Pétrarque, assurant à Charles IV que César et Néron ne s’intitulaient pas, ne dataient pas, n’écrivaient pas comme ils le font dans l’Henricianum, le dossier devient rapidement une autorité, que l’on montre plus ou moins volontiers, et que l’on va, aux temps romantiques, commencer à démembrer, non sans regrets. Ce lent mouvement aboutit à la critique raisonnée produite en 1957 par Alphons Lhotsky, autour du Maius (avec le beau sous-titre »Die Geschichte einer Urkunde«).

Depuis lors, plusieurs savants ont apporté d’utiles compléments, mais le progrès des études et des éditions, l’élargissement des curiosités sur les faux et les faussaires, laissent une belle place à de nouvelles perspectives. Les éditeurs du volume sous recension s’en sont emparés avec bonheur, en ouvrant le questionnaire à une série de points de vue aussi divers que la réception des faux et leur traitement aux archives, les analyses croisées de la forme (stylistiques, paléographiques, physico-chimiques), les mises en contexte des forgeries (aspects politiques, culturels, diplomatiques).

Disons-le d’emblée: les 15 communications proposées après avoir été présentées dans une réunion tenue en avril 2017 aux archives d’État à Vienne, forment un ensemble du plus haut intérêt, par la qualité scientifique comme par la diversité des thèmes abordés, qui donnent toujours à réfléchir. Les éditeurs ont eu la bonne idée d’ouvrir le volume avec les textes et les photographies des cinq pièces de l’»Urkundenkomplex« (outre la reproduction d’un vidimus de 1360), qui permettent à la lectrice et au lecteur de se repérer. Il aurait sans doute fallu aller plus loin encore, et présenter en quelques pages la composition et l’histoire même du dossier à l’attention des lecteurs qui ne connaissent pas forcément tous ses détails ni ses tenants et aboutissants. Faute de quoi, le sel de certaines remarques risque de se perdre.

La variété, on l’a dit, est égale au sérieux des approches et, par comparaison, donne à penser: ainsi du recours aux méthodes physico-chimiques, appliquées aux pièces du dossier, clairement exposées et dont les résultats montrent bien et l’intérêt et la ductilité, puisque de fortes ressemblances, guère concevables entre des pièces couvrant un espace de trois siècles, sont tempérées par quelques dissemblances (en particulier dans certains composants des encres) qui suggèrent une production par à-coups – il y a là assurément un appel à la multiplication des enquêtes; plus traditionnelle, la magistrale analyse paléographique de Walter Koch souligne la qualité de l’information du faussaire, qui tire peut-être parti de diplômes précis trouvés dans les archives dynastiques, même s’il commet des bévues.

La culture du faussaire est aussi illustrée par les actes de César et Néron, qui prêtent à sourire, mais qui s’insèrent dans un courant humaniste vivace, non seulement à la cour de Charles IV mais aussi à celle de Rudolf IV, comme en témoignent des épigraphes (Elisabeth Klecker), et encore dans l’air du temps, qui voit l’ancien et l’antique volontiers conviés dans les forgeries, du Charlemagne des libertés frisonnes au Théodose de la fondation de l’université de Bologne (Bernd Schneidmüller). Et il faudrait encore citer l’analyse approfondie des décorations d’un vidimus de 1512 en forme de livret (Andreas Zajic), du contexte politique, de la destinée des faux …

L’apport, en bref, est multiple, trop important même pour ne pas faire regretter l’absence d’un index et, avant tout, d’une conclusion qui eût fait le point sur les brillantes avancées offertes comme sur les secteurs encore mal éclairés (le lexique politique et fiscal, l’œil du ou des faussaires, l’utilisation faite des faux …).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Olivier Guyotjeannin, Rezension von/compte rendu de: Thomas Just, Kathrin Kininger, Andrea Sommerlechner, Herwig Weigl (Hg.), Privilegium maius. Autopsie, Kontext und Karriere der Fälschungen Rudolfs IV. von Österreich, Wien (Böhlau) 2018, 388 S. (Veröffentlichungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung, 69. Mitteilungen des Österreichischen Staatsarchivs. Sonderband, 15), ISBN 978-3-205-20049-9, EUR 70,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66336