Soazick Kerneis, professeur d’histoire du droit à l’université de Nanterre, a dirigé un ouvrage sur le droit altimédiéval dont le champ chronologique retenu s’étend de la fin du IVe au IXe siècle. L’objectif poursuivi est, en remontant au début de l’histoire des nations européennes, de comprendre la construction du système normatif et de restituer la variété de ses représentations. Le phénomène, le sens et la place de la norme sont au cœur de ce travail collectif.

L’ouvrage se compose de huit chapitres.

Le premier est dû à Aude Laquerrière-Lacroix. Elle dresse un tableau des institutions de l’Empire romain dans l’Antiquité tardive et de la construction d’un droit étatique différent de celui de la période précédente. Une étude poussée de l’emphytéose, du dominium, et de la prescription est donnée afin de démontrer ce que Aude Laquerrière-Lacroix nomme »les ajustements du ius«.

Le deuxième chapitre, dû à Aram Mardirossian, porte sur le droit canonique, entendu dans un cadre chronologique très large. Tandis que l’Orient privilégie la production de canons, l’Occident préfère les collections canoniques. L’analyse, par l’auteur, de différents modèles met en exergue les relations entre l’Église et les rois barbares.

Dans un troisième chapitre, Soazick Kerneis s’intéresse à la pluralité des droits. Elle revient tout d’abord sur les positions trop tranchées que la recherche a parfois pu adopter, soit en surévaluant l’intérêt d’un droit altimédiéval, soit au contraire en en niant la réalité. Ce chapitre présente un droit vivant, dans tous ses mouvements. À travers l’exemple du statut juridique des peuples, l’autrice explique la nature du pluralisme juridique et montre avec une grande clarté le processus de formation de la coutume.

Jean-Pierre Poly, dans un quatrième chapitre, dresse une riche synthèse sur la nature des lois barbares. Rappelant qu’elles viennent des populations migrantes (et non conquérantes), l’auteur en dépeint les particularités (ordalies, système vindicatoires …) qui les détachent du droit romain.

Alexandre Jeannin, au chapitre cinq de l’ouvrage, s’intéresse à la pratique notariale. Les formulaires des VIe–IXe siècles sont des collections de modèles d’actes notariaux que les praticiens utilisaient pour rédiger leurs actes. L’auteur nous plonge au cœur de la pratique quotidienne du droit. Il démontre, avec une grande habileté, la survivance du droit romain, malgré une perte certaine de sa technicité et met en lumière des traces d’innovation juridique, notamment pour adapter le droit aux situations nouvelles.

Christophe Archan guide ensuite le lecteur vers les îles Britanniques où semble exister un fort décalage entre l’Angleterre qui produit des textes épars et l’Irlande où le droit connaît un net essor, notamment à travers les collections canoniques. L’auteur met en exergue l’émergence du droit anglo-saxon à travers ses règles produites au VIIe siècle, comme à travers la pratique, connue grâce aux chartes conservées.

Soazick Kerneis et Jean-Pierre Poly abordent ensuite, dans un septième chapitre, la question de la définition de la coutume, en effectuant une distinction entre la coutume romaine et la coutume germanique, lesquelles diffèrent par leurs catégories.

Ces mêmes auteurs reviennent au chapitre huit, sur l’encadrement par le droit des divisions sociales (servitude, maîtres, etc).

Un tel foisonnement d’études fait toute la qualité de l’ouvrage. Il permet d’approcher le droit et plus largement le processus normatif altimédiéval, dans tous ses mouvements, dans toute sa complexité. Ce travail rappelle ô combien l’anthropologie juridique est une grille de lecture essentielle pour comprendre le fonctionnement de ces sociétés anciennes. Le Moyen Âge se regarde et se comprend en le regardant de l’intérieur, et non l’extérieur. Il fait nul doute qu’un tel ouvrage permettra aux juristes comme aux historiens de comprendre les ressorts d’un droit très ancien.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laura Viaut, Rezension von/compte rendu de: Soazick Kerneis (dir.), Une histoire juridique de l’Occident (IIIe–IXe siècle). Le droit et la coutume, Paris (Presses universitaires de France) 2018, 478 p. (Nouvelle Clio), ISBN 978-2-13-058782-8, EUR 33,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66337