Le recrutement des croisés repose en grande partie sur le succès de la prédication en faveur des expéditions vers l’Orient. Aussi, dès le début du XIIIe siècle, se sont diffusés dans la société occidentale des modèles de sermons pour la croisade, ainsi que des manuels de prédication pouvant aider les clercs à motiver leurs auditeurs à prendre la croix. Ce sont ces textes qu’examine dans son ouvrage Miikka Tamminen. Il retient 36 modèles de sermons de croisade et deux manuels de prédication, dus à huit auteurs, français, anglais et italiens, qui cherchent à définir ce que doit être le »vrai« croisé et les moyens d’atteindre cet idéal. Quel message devait-on transmettre, quels concepts devait-on utiliser pour valoriser la prise de croix et présenter celle-ci comme le moyen suprême de réaliser son salut?

L’auteur divise son étude en quatre chapitres. Il rappelle d’abord les principales études sur les croisades, réparties entre auteurs »traditionalistes« pour qui Jérusalem est le but unique des expéditions, »pluralistes« qui insistent sur les aspects spirituels et psychologiques des croisades, quel qu’en soit le but ultime, et »généralistes« pour qui la croisade est une guerre sainte autorisée par Dieu et par son représentant sur terre, le pape. Puis il présente les principaux travaux sur la prédication de croisade, leurs auteurs, pour la plupart formés à l’université de Paris, les textes enfin, en cherchant à préciser les circonstances dans lesquelles ils ont été écrits et/ou prononcés, tout en rappelant que certains sont destinés à des catégories spécifiques d’auditeurs et ont pu être réécrits plusieurs années après leur présentation. Au total, vingt-deux modèles de sermons de croisade concernent la Terre sainte, sept les hérétiques, en particulier les Albigeois du Languedoc, trois les Musulmans déportés de Sicile à Lucera par Frédéric II, et deux enfin les Mongols.

Les prédicateurs du XIIIe siècle étaient à la recherche de modèles et d’exempla à proposer aux candidats à la croisade. Ils les trouvent surtout dans la Bible. Ainsi, Humbert de Romans fait référence à 103 thèmes de l’Ancien Testament et seulement à 39 de l’Évangile. Joshua, Judas Macchabée, Moïse, David et Aaron sont constamment cités comme modèles par les prédicateurs qui préfèrent de loin mettre en avant les personnages bibliques plutôt que les héros des trois premières croisades. L’ange de la révélation est tantôt identifié comme étant le Christ, tantôt comme étant saint François, tandis que l’Antéchrist porte le nom de Frédéric II. Surtout, les prophéties bibliques sont constamment rapprochées des événements contemporains.

Le troisième chapitre, le plus consistant, examine les rapports du croisé avec Dieu: un échange de dons, de soi-même pour le croisé, de la vie éternelle offerte par Dieu, dont la volonté, exprimée par les prédicateurs et légitimée par le pape, est que tous les chrétiens soient à son service dans la croisade, comme les vassaux le sont envers leur seigneur. Qu’implique ce service? D’abord l’imitatio Christi, important idéal dans l’idéologie de la croisade. Le Christ est le modèle par excellence pour le croisé qui doit mettre ses pas dans ceux du Christ, participer à ses souffrances en surmontant les obstacles sur le chemin de Jérusalem, en lui vouant un amour brûlant et en acceptant de mourir pour Lui. Le »vrai« croisé se doit d’imiter les cinq qualités du Christ: humilité, pauvreté, amour, patience et obéissance. La croix qu’il porte sur son épaule symbolise les stigmates du Christ et la plus extrême imitation du Sauveur dans la croisade est l’acceptation du martyre, sans l’avoir recherché. Le contre-don est constitué par l’indulgence de croisade, la pleine rémission de tous les péchés, mais subordonnée au sacrement de pénitence, à la contrition sincère du croisé et à l’accomplissement du voyage de Terre sainte, du début (le vœu de croisade) jusqu’à la fin de l’expédition. Le renoncement au vœu entraîne l’excommunication, sauf en cas de rachat par le défaillant.

Deux questions sont abondamment discutées par les prédicateurs: les indulgences partielles et le martyre. Les premières peuvent être accordées à ceux qui soutiennent la croisade par des dons ou même qui viennent écouter les sermons de croisade. Elles peuvent être obtenues par le croisé en faveur de parents décédés pour abréger leur séjour au Purgatoire. Quant au martyre, dont le modèle est celui de saint Georges, c’est l’acte d’amour suprême pour le Christ, mais Jacques de Vitry dénonce la recherche du martyre comme un acte suicidaire en tout point condamnable. En obtenir la palme dépend du mode de disparition du croisé. Ainsi saint Louis, mort de dysenterie à Tunis, n’a pu être considéré comme martyr, malgré une opinion largement favorable, mais a été canonisé en 1297 comme confesseur.

C’est aux affaires du monde que l’auteur consacre son quatrième chapitre. Les prédicateurs insistent sur le détachement nécessaire du croisé vis-à-vis des affaires terrestres. Avant son départ, il doit refuser d’entendre les conseils de sa femme et de ses proches, opposants à la croisade, se réconcilier avec ses ennemis, faire son testament et disposer de ses biens. Peu importe le coût du voyage, généralement estimé à deux ou quatre fois le revenu annuel du participant: les riches sont censés aider les pauvres dans la croisade où la coexistence des uns et des autres doit réaliser une communitas, une société harmonieuse et égalitaire, où même femmes, enfants et vieillards ont leur place, malgré les réticences de la papauté et des grands. Peregrinatio pour le service de Dieu, la croisade implique la conversion et la marginalité permanente de ses participants qui, tel Abraham, ont accepté de quitter le monde pour trouver la joie d’une vie en Dieu.

Telles sont les idées-forces que les prédicateurs développent dans leurs sermons, soit qu’ils les destinent au recrutement des croisés, soit à l’explication de leurs échecs en Orient. L’analyse précise qu’en fait Miikka Tamminen ne peut éviter nombre de répétitions, dans la mesure où les ressemblances entre les textes sont beaucoup plus nombreuses que leurs divergences. L’auteur ajoute à son étude les références aux modèles de sermon et une large bibliographie, où l’on regrettera que mainte chronique (»Gesta Francorum«, Raymond d’Aguilers, Robert de Clari, Villani, etc.) soit citée dans des éditions anciennes heureusement remplacées par de plus récentes.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Michel Balard, Rezension von/compte rendu de: Miikka Tamminen, Crusade Preaching and the Ideal Crusader, Turnhout (Brepols) 2018, X–332 p. (Sermo: Studies on Patristic, Medieval, and Reformation Sermons and Preaching, 14), ISBN 978-2-503-57725-8, EUR 95,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66352