Cet ouvrage est non seulement un minutieux examen des relations de Goethe avec la France, mais aussi de celles de la France avec le poète. Jamais ce sujet n’avait été exploré avec autant de soin et de précision. Ce travail se divise en trois parties. La première examine les relations de Goethe avec la France au cours de sa vie. Après avoir montré que Goethe maîtrisait le français dès la période de Francfort, l’auteur le suit dans chaque étape de sa vie et constate que, même là où il semble se détourner de la France (Sturm und Drang, Italie), il n’en reste pas moins fidèle à ses modèles. L’hostilité à la Révolution et l’admiration pour Napoléon ainsi que le refus de tout nationalisme sont analysés avec finesse.
À partir de 1815, Goethe se détourne de la politique, mais reste attentif à ce qui se passe en France. Lecteur assidu du »Globe«, il suit avec quelque ironie le développement du romantisme français et s’intéresse aussi bien aux mouvements des idées qu’à l’évolution des sciences. Cette constante ouverture sur l’étranger lui vaudra d’ailleurs dans ses derniers jours l’hostilité des milieux nationalistes allemands. La deuxième partie est consacrée à l’influence de la culture française sur son œuvre. Celle des grands modèles, Molière, Voltaire, Rousseau, Diderot est analysée en détail. Même s’il n’a guère apprécié »De l’Allemagne« de Mme de Staël, ce livre va pourtant attirer l’attention des Français sur son œuvre. Son amitié pour le diplomate franco-allemand Reinhard est également évoquée ainsi que le bénéfice qu’il tire de sa lecture du »Globe« telle sa découverte du saint-simonisme. À lire ces deux premières parties, on constate à quel point la France a joué un rôle capital dans la vie intellectuelle de Goethe.
La troisième partie analyse l’influence Goethe en France. »Werther«, traduit depuis 1776, connaît un succès durable et sera une source d’inspiration pour les écrivains et les musiciens. À partir de 1820, son théâtre et ses œuvres biographiques sont traduites et appréciées. Ampère du »Globe«, les Suisses (Albert Stapfer, Germaine de Staël, Benjamin Constant), mais aussi Victor Cousin, Jules Michelet, Edgar Quinet contribuent à sa célébrité. Heinrich Heine tente de donner une image plus réaliste du poète et de l’Allemagne. La guerre de 1870 y met un coup d’arrêt. Puis, Buck examine les réactions des écrivains français, d’abord au XIXe siècle de Chateaubriand à Barbey d’Aurévilly qui ne l’appréciaient guère, puis au XXe siècle avec Paul Claudel qui traite Goethe de saucisse, mais aussi avec ses grands admirateurs, André Gide et Paul Valéry.
Après 1945, ce sont Charles du Bos et Marcel Brion. L’auteur déteste »Le Roi des aulnes« de Michel Tournier qui utilise »Erlkönig« pour des mythes de pacotille. Viennent ensuite les germanistes qui ont étudié Goethe et contribué à le faire mieux connaître. Il évoque d’abord les grands pionniers, Henri Lichtenberger, Fernand Baldensperger, Geneviève Bianquis et Albert Fuchs. Puis, il examine les autres jusqu’á nos jours par ordre alphabétique. Cet immense travail où le culte du détail n’étouffe jamais les lignes directrices est un véritable monument de recherche et d’intelligence. Goethe attentif à tout ce qui se produit au-delà des frontières dans les arts comme dans les sciences, ce génie nourri de nos deux cultures reste un exemple vivifiant pour une Europe dont les nationalismes tentent de freiner la construction. Ce bel ouvrage est là pour nous le rappeler.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jean Delinière, Rezension von/compte rendu de: Theo Buck, Goethe und Frankreich, Köln, Weimar, Wien (Böhlau) 2018, 415 S., ISBN 978-3-412-50078-8, EUR 50,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66363