Les commémorations de la publication des thèses de Martin Luther, en 2017, ont souvent été l’occasion d’une réflexion historiographique. Elle est au cœur de cet ouvrage collectif. L’»archéologie du fait confessionnel« a ici deux particularités. Confrontant mémoires, récits et traces, elle a pour objectif d’étudier »le lien inséparable qui existe entre écriture de l’histoire et silences de l’histoire«. Cinq contributions sont ainsi consacrées à »la pluralité passée sous silence«, quatre à »la pluralité recouvrée«. L’intérêt d’une approche »archéologique« est plus particulièrement mise en évidence dans quatre autres articles dédiés aux »fouilles« entreprises sur quatre »sites d’histoire religieuse«. Prenant acte de la précocité de l’historiographie de la Réformation allemande, entreprise dès la mort de Luther et d’emblée tributaire des multiples mises en scène dues au réformateur lui-même, elle s’étend du XVIe siècle à nos jours.

Dans son introduction, Carina L. Johnson en esquisse les trois moments majeurs: celui de la genèse et de l’affermissement des confessions, caractérisé par la production de »mythes des origines« et de »récits identitaires«; celui du XVIIIe siècle marqué par le développement des méthodes et des outils historiographiques, utilisés pour »clarifier les divisions et les liens entre confessions ou communautés religieuses«; celui du XIXe siècle placé sous le signe de l’affirmation nationale et de la place tenue par les identités confessionnelles dans la construction d’un État-nation allemand peu ou prou confondu avec le protestantisme. L’historiographie du temps présent est caractérisée par l’effacement du concept de »confessionnalisation« et par l’attention portée aux liens entre histoire et mémoire, dont témoignent les recherches consacrées aux »lieux de mémoire«. En conclusion, Thomas A. Brady en propose un élégant et solide survol.

Le caractère exemplaire des »fouilles archéologiques« incite à commencer la lecture par elles. Avec Natalie Krenz et l’incinération de la bulle pontificale à Wittenberg, le 10 décembre 1520, on remonte à la strate la plus ancienne. Elle exhume le rôle des étudiants, met en évidence la manière dont Luther a valorisé son rôle a posteriori et montre comment cette focalisation sur le réformateur a rapidement entraîné l’»oubli« des différents acteurs au bénéfice du seul protagoniste, sans interdire des interprétations différentes de l’événement. Elle rappelle que dès 1522 l’emplacement du bûcher était devenu un lieu de mémoire.

Robert Chrisman revient sur l’exécution, à Bruxelles, le 1er juillet 1523, de deux Augustins. Il évoque la pluralité des témoignages et des réactions (à commencer par celles de Luther et d’Érasme) et retrace la construction d’une mémoire confessionnelle dans la deuxième moitié du XVIe et au XVIIe siècle. Marjorie Elizabeth Plummer évoque Stephan Castenbauer (alias Agricola) , emprisonné entre 1522 et 1524, la biographie quelque peu légendaire écrite par Spangenberg en 1562, et la lecture critique qu’en font les historiens, tant catholiques que protestants, au XIXe siècle.

Jesse Spohnholz revient sur la »convention de Wesel« et les origines de l’Église réformée aux Pays-Bas, (novembre 1568). Il démontre que l’événement n’a en réalité jamais eu lieu et retrace l’»invention d’une tradition« qui remonte à Simeon Ruytinck en 1618. L’historien doit donc identifier »les relations de pouvoir à l’œuvre dans la survie des documents, leur organisation, et les catégories utilisées pour les décrire, sous peine de donner une fausse image de la complexité du passé«.

Le premier exemple de »la pluralité passée sous silence« est celui du »simultaneum« pratiqué dans la paroisse de Goldenstedt, en Basse-Saxe. David M. Luebke retrace sa mise en place au XVIIe siècle, rappelle qu’il ne s’agit nullement d’un cas extraordinaire et montre que l’histoire qui en est présentée diffère entre Aufklärung et Kulturkampf. Stan M. Landry revient sur l’irénisme qui préside aux commémorations de 1817 et sur l’union entre réformés et luthériens réalisée en Prusse au même moment, à l’initiative de Frédéric-Guillaume III.

À Strasbourg, Wilhelm Horning, le très orthodoxe pasteur de Saint-Pierre-le-Jeune, ne cesse de combattre le pluralisme confessionnel – aussi bien avec les catholiques (avec lesquels il doit partager son église) qu’avec les luthériens libéraux et les piétistes unionistes, trop prussiens à son goût. La spécificité alsacienne est évidente. Comme pasteur, elle l’incite à promouvoir l’ordonnance ecclésiastique de 1598; comme historien, elle le pousse à défendre la mémoire de Bucer, de Marbach, ou encore de Sebastian Schmidt. Merry Wiesner-Hanks retrace clairement l’histoire de la Réformation au féminin: présentes au XVIIIe siècle, les femmes disparaissent lorsque l’historiographie se professionnalise. Elles ne trouvent grâce, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, que chez les historiens amateurs.

Les histoires confessionnelles de la Réformation ne les considèrent que comme épouses. À partir des années 1970, l’essor de la gender history renouvelle profondément l’approche. Ralf-Peter Fuchs prend l’exemple du comté de Mark, un territoire protestant, pour étudier l’évolution du regard porté sur la présence des catholiques, »as foreign bodies«, au cours des deux derniers siècles. Longtemps considérée comme un obstacle à l’unité nationale et à la modernité (Gustav Natorp, Max Lehmann), elle apparaît aujourd’hui comme le reflet de la diversité territoriale.

Reprenant les quatre moments distingués par Heinrich Lutz dans la vision que les catholiques allemands ont eue de Luther, Richard Schaefer esquisse une »généalogie de la raison protestante«, de Franz Baader à Joseph Görres, en passant par Carl J. H. Windischmann et Johann Adam Möhler. Il souligne la difficulté qu’ont les catholiques à apparaître comme de vrais patriotes et leur tendance à faire du protestantisme un bloc monolithe. Luthérien orthodoxe, conseiller ecclésiastique du duc Frédéric II de Saxe-Gotha, Ernst Salomon Cyprian (1673–1745) est un adversaire farouche du catholicisme, du piétisme et de l’irénisme protestant.

Alexander Schunka montre cependant que, comme historien, il est le mémorialiste et le narrateur loyal d’une pluralité qui est celle de l’Empire de Charles Quint et de ses successeurs et même de la dynastie saxonne, après la conversion au catholicisme d’Auguste Ier (1697). Écrivant l’histoire de Michel Servet, Johann Lorenz von Mosheim renvoie dos à dos Servet et Calvin. Tous deux font preuve d’intolérance et d’entêtement. Tous deux néanmoins sont d’authentiques chrétiens à en juger par leur capacité à pardonner. Pour Mosheim, selon Michael Printy, la narration fidèle des faits est préférable au silence et n’est pas incompatible avec une appréciation confessionnelle. Dean Phillip Bell étudie les rapports entre juifs et chrétiens à l’occasion du grand incendie du ghetto de Francfort (1711). Face au désastre, les solidarités de voisinage et le sentiment d’appartenance à une même communauté urbaine prévalent sur les différences confessionnelles, même si l’archevêque de Mayence et un certain nombre de bourgeois y trouvent l’occasion de manifester leur hostilité. La pluralité est alors recouvrée.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Gérald Chaix, Rezension von/compte rendu de: Carina L. Johnson, David M. Luebke, Marjorie E. Plummer, Jesse Spohnholz (ed.), Archeologies of Confession. Writing the German Reformation, 1517‑2017, New York, Oxford (Berghahn) 2017, VI–345 p. (Spektrum. Publications of the German Studies Association, 16), ISBN 978-1-78533-540-2, USD 130,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66377