Cet ouvrage, édité par Édith Karagiannis-Mazeaud, rassemble 14 communications effectuées lors du colloque organisé à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNU) par la Faculté des lettres de l’université de Strasbourg les 23 et 24 mars 2012, en relation avec le Master des métiers de l’édition dirigé par Maud Pfaff. On constate un léger décalage entre le titre et le contenu réel des communications, qui dépasse le cadre du contexte historique de cette ville et des collections strasbourgeoises (à ce sujet, on regrette que les références des exemplaires reproduits ne soient pas toujours précisées). Une note de Max Engammare nous apprend que ce qui devait être une journée d’étude sur l’édition princeps »s’est transformée en un remarquable colloque davantage centré sur Strasbourg« (p. 142, n. 7). On peut donc dire que, bien que la plupart des interventions soient liées à la ville ou aux collections locales, le programme annoncé par le titre ne rend pas justice à la richesse et à la diversité des sujets étudiés.
Suivant une dynamique caractérisant désormais de nombreux échanges scientifiques portant sur le livre imprimé ancien, cette rencontre scientifique s’est inscrite dans une double perspective interdisciplinaire et interprofessionnelle, puisqu’elle a réuni des chercheurs en littérature, histoire, histoire du livre, histoire de l’art, théologie, ainsi que des responsables de fonds anciens.
Les articles ont été distribués suivant quatre axes, selon une triple logique: temporelle (les incunables puis les éditions du XVIe siècle), géographique (en partant de Strasbourg pour s’en éloigner), et disciplinaire (les historiens de l’art sont rassemblés dans le deuxième axe, tandis que trois des quatre intervenants du quatrième axe sont des chercheurs de formation littéraire). Nous proposerons ici un parcours de lecture alternatif complémentaire, fondé sur les questionnements et la démarche des différents contributeurs. On distingue quatre orientations pour ces articles.
La première rassemble les questionnements liés à la définition de ce qu’est – ou peut être – une édition princeps, et aux enjeux liés à sa mise en livre. L’intervention de Thierry Revol au sujet des trois éditions imprimées à Paris entre 1538 et 1541 du »Mystère des Actes des Apôtres« est particulièrement intéressante: il expose, à partir de cette étude de cas et en reprenant les conclusions de Bernard Cerquiglini, les problèmes méthodologiques liés à l’idée d’édition princeps pour la période médiévale. La définition retenue ici pour ce terme est la deuxième donnée par Jean-Dominique Mellot dans le »Dictionnaire encyclopédique du livre«: »première édition d’un ouvrage quel qu’il soit«1. L’article de Max Engammare porte également sur une édition parisienne du XVIe siècle: l’emissio princeps de la Bible latine par Robert Estienne, datée de 1528. Comme Revol, ce chercheur examine en détail le paratexte: la page de titre, le privilège, les index. Engammare s’intéresse en particulier à la stratégie d’Estienne consistant à mentionner, sur la page de titre, un privilège expiré pour protéger son travail éditorial. Une analyse fine des index lui a par ailleurs permis de démontrer que l’éditeur humaniste était sensible aux idées des évangéliques français.
Quittons la France pour Rome: en 1515, Béroalde donne la première édition des »Annales« de Tacite incluant les livres I à VI. Dans un article fondé sur son travail de thèse, Élodie Cuissard propose d’examiner les enjeux de l’édition d’un texte antique manuscrit en vue de son impression. Édition princeps est donc ici entendue dans son sens restreint, le premier donné par Jean-Dominique Mellot et celui rappelé par Édith Karagiannis-Mazeaud dans son avant-propos, à savoir »première édition typographique d’un texte dont l’auteur a vécu avant l’invention de l’imprimerie«2. Les enjeux techniques du passage du manuscrit à l’imprimé sont présentés par Olivier Deloignon à partir de la première édition des Louanges de la sainte croix de Raban Maur à Pforzheim en 1503. Le jeu très complexe d’imbrication des éléments textuels et imagés opéré dans cette œuvre a conduit l’imprimeur à innover.
Un deuxième groupe d’articles s’intéresse aux différents acteurs impliqués dans la réalisation des éditions princeps et à leur collaboration. Dans le cadre de son examen de la mise en livre du »Narrenschiff« (1494–1500), Frédéric Barbier analyse la manière dont Sébastien Brant a pensé la mise en page de son œuvre en fonction du dispositif imprimé. Cet examen est par ailleurs précédé d’une très intéressante recontextualisation économique – présentant quelques grands principes de la dynamique du marché du livre – et suivi d’une brève enquête sur les lecteurs. Étudiant un ouvrage de chirurgie publié à Strasbourg en 1517, le »Feldtbuck der Wundtartzney«, Alice Klein s’est intéressée à la collaboration entre l’auteur, l’illustrateur et l’éditeur. Son propos s’étend aussi aux questions du lectorat et du rapport texte/image, au sujet duquel elle propose des pistes très intéressantes. Dans une très belle communication au sujet de la première édition des »Odes« de Ronsard à Paris en 1550, Daniel Ménager s’est interrogé sur les stratégies adoptées par le poète pour se présenter auprès des lecteurs. Il s’arrête notamment sur le choix de l’imprimeur et examine les pièces liminaires, dont celle rédigée par Jean Martin.
Un troisième groupe d’articles porte sur le contexte de production des éditions. Georges Bischoff expose la manière dont le contexte favorisant du concile de Bâle a contribué à l’émergence de l’imprimerie dans la région rhénane. Raphaëlle Mouren, quant à elle, a étudié trois exemples d’éditions imprimées à Anvers, Florence et Rome au XVIe siècle. Passé l’enthousiasme humaniste caractérisant les premiers temps de l’imprimerie, quels facteurs politico-religieux ont pu conduire des imprimeurs à se lancer dans une entreprise aussi complexe que la production d’un texte grec?
Enfin, un dernier groupe d’articles s’attache à présenter des éditions ou des exemplaires exceptionnels à l’intention des chercheurs. Ainsi, Agathe Bischoff-Moralès et Katarsina Błażejewska font mention de specimens particulièrement remarquables conservés à la Bibliothèque André Malraux de Strasbourg. La communication de Laurent Naas est une bonne introduction à l’œuvre des prototypographes strasbourgeois Jean Mentel, Adolphe Rusch et Martin Schott. Ces communications sont à mettre en lien avec le relevé alphabétique des éditions princeps (au sens large) des XVe et XVIe siècles conservées à la Médiathèque André-Malraux, effectué par Antoine Simonin et Katarsina Błażejewska. Ce relevé figure en annexe du présent ouvrage; il est incomplet et fondé en partie sur l’USTC, qui est lui-même un travail de recension en cours et nécessitant des corrections. Il constitue cependant un bon point de départ pour des recherches sur la question. Il faut ajouter à ces contributions la description, par István Monok, de l’unique édition princeps transylvaine, éditée par Johann Honter. Cette communication est précédée d’une très intéressante mise au point historique concernant l’imprimerie en Hongrie.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Louis-Gabriel Bonicoli, Rezension von/compte rendu de: Édith Karagiannis-Mazeaud (éd.), Strasbourg, ville de l’imprimerie. L’édition princeps aux XVe et XVIe siècles. Textes et images, Turnhout (Brepols) 2017, 200 p., 38 fig., 16 pl. en coul. (Bibliologia, 44), ISBN 978-2-503-57047-1, EUR 70,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66378