Cette volumineuse biographie de Richelieu éclaire les différentes facettes de son action, non seulement en tant qu’homme politique, mais encore en tant que représentant d’un lignage aristocratique. L’ouvrage accorde une grande attention aux intrigues de cour, aux relations de Richelieu avec la famille royale, les Grands et ses proches, à son action diplomatique, à son réseau de patronage, ses activités de »mécène«, ses efforts propagandistes et l’accumulation de richesses et honneurs. Klaus Malettke nous propose un récit savant, informé par une connaissance profonde de la recherche sur Richelieu, proche des sources, prudent dans ses prises de position, et qui n’hésite pas à montrer les limites de la connaissance historique. Il dénonce les anachronismes, comme les idées d’une prétendue tolérance religieuse de Richelieu ou d’une institutionnalisation du ministériat. Prodigue de détails, la biographie nous livre force développements sur l’histoire de France et de l’Europe, souvent plus que nécessaire, ce qui confère à la biographie un caractère d’ouvrage de référence.

Dans son portrait de Richelieu, Malettke prend le contrepied de Johannes Burkhardt et, surtout, d’Uwe Schultz, auteur d’une biographie offrant une vision caricaturale de Richelieu. Prenant appui entre autres sur Sharon Kettering et Joseph Bergin, Malettke dénonce les illusions rétrospectives qui donnent à croire que Richelieu aurait cherché à être ministre dès le début des années 1620, aurait eu un programme de gouvernement dès son entrée au conseil en 1624 ou aurait déjà joué un rôle prédominant à cette date. Malettke insiste sur le fait que Richelieu n’était pas un visionnaire, mais plutôt un pragmatique. D’abord au service de la »rebelle« Marie de Médicis, il prônait encore en 1624 un renforcement du rôle des Grands. Ce n’est que lorsqu’il se mit à servir le roi plus que sa mère qu’il changea de politique, et se plaça dans la lignée de Sully. Cette image d’un Richelieu aux loyautés changeantes contredit partiellement l’idée, défendue par ailleurs par Malettke, que Richelieu aurait été dévoué au roi par principe.

Le biographe insiste également sur le fait que Richelieu n’était pas tout-puissant. Il avait bien conscience de sa totale dépendance envers un roi jaloux de son autorité, bien informé, et prenant toutes les décisions essentielles en dernière instance. Il souligne les capacités réelles du principal ministre sans le glorifier. Les réformes intérieures sont jugées plutôt modestes, et le ministériat de Richelieu apparaît plutôt comme une étape parmi d’autres dans la construction de l’État moderne. Par exemple, le principal ministre de Louis XIII était trop aristocratique pour être un adversaire acharné du duel. Mais le Richelieu de Malettke est avant un homme de principes, »au service du roi et de la France« (comme l’annonce le sous-titre). Il est semblable à celui de Françoise Hildesheimer, mais encore plus de Jörg Wollenberg (plutôt que de William Church). Sincèrement religieux, il place tout de même le service de l’État au dessus de tout. Respectueux du droit et de la morale, il n’est pas un va-t-en-guerre, et désire vraiment la paix générale. Il conçoit un système de sécurité collective. S’il prend le chemin du conflit armé, c’est qu’il craint sincèrement la monarchie universelle habsbourgeoise, et qu’il y est forcé par la politique agressive de l’Espagne. Cette image de Richelieu rend plus justice au personnage que celle d’un ministre machiavélique. Il est très probable que Richelieu tentait de concilier sa politique avec les impératifs religieux et moraux. Cependant, on peut se demander si cette vision n’est pas à la fois trop étatiste (Richelieu sert le roi, pas la France) et trop française (d’un point de vue espagnol, l’agresseur c’est celui qui soutient les rebelles néerlandais).

Malgré plus de mille pages, certains thèmes sont plus effleurés que traités. L’histoire culturelle du politique n’a pas laissé d’empreinte profonde sur cet ouvrage: les logiques sous-tendant aux actions des parlementaires ou des Grands, le conflit cérémoniel du lit de justice de 1610, les mises en scène de la personne de Richelieu, ou encore les imaginaires religieux ne sont pas vraiment expliqués. L’approche de l’histoire politique reste dans la lignée des grandes biographies du XIXe siècle, et Malettke suit l’image assez traditionnelle d’une monarchie absolue qui, petit à petit, construit l’État moderne.

De plus, les relations sentimentales homosexuelles de Louis XIII occupent une place étonnamment limitée dans le récit, alors que les nombreux »favoris de cœur« étaient un facteur essentiel sur lequel Richelieu devait compter. Le problème principal de cette riche biographie est toutefois qu’elle est trop chère (128,00 €!) et trop longue pour pouvoir remplacer celle de Schultz. De plus, elle n’est pas exempte de certaines lourdeurs rhétoriques. Malettke n’a pas peur des répétitions à but didactique. Il cite abondamment d’autres ouvrages d’historiens, et la même citation se retrouve parfois plusieurs fois au fil des pages.

Toutefois, il faut insister sur le fait que Klaus Malettke a fourni un ouvrage qui fera longtemps référence. Il livre à un public germanophone averti de très nombreuses informations qui lui étaient inaccessibles jusqu’alors. Cet ouvrage d’une grande érudition et fort utile, qui comporte par ailleurs de nombreuses et belles cartes, marque une réelle réhabilitation d’un personnage qui, dans l’historiographie germanophone, a souvent fait l’objet de caricatures.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Damien Tricoire, Rezension von/compte rendu de: Klaus Malettke, Richelieu. Ein Leben im Dienste des Königs und Frankreichs, Paderborn (Ferdinand Schöningh) 2018, 1076 S., 10 Abb., 24 s/w Kart., ISBN 978-3-506-77735-5, EUR 128,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66382