Cet ouvrage propose d’un côté une »perspective historique alternative« (p. 13) aux synthèses parues récemment (par Herfried Münkler, Georg Schmidt, Johannes Burkhardt ou Peter H. Wilson) centrée sur une approche micro-historique de la guerre de Trente Ans, de l’autre une »histoire totale« (p. 13) du conflit adressée à un lectorat plus vaste que les seuls spécialistes. Ce paradoxe entre perspective alternative et histoire totale semble d’emblée indiquer que l’approche micro-historique livre aux yeux de l’auteur la »véritable« histoire. Sa thèse est que la guerre se joua autant, voire moins dans les batailles que dans la coexistence violente des soldats et civils dans des situations de campements ou de cantonnements. Il traque ainsi les perceptions de la violence par les contemporains avant tout dans des écrits du for privé. L’ouvrage est structuré en huit chapitres de longueur très inégale et adoptant une logique parfois chronologique, parfois thématique. Il se présente comme une sorte d’anthologie d’extraits de sources brièvement introduits.

Un premier chapitre sur les »débuts« souligne que, contrairement à l’assertion de Johannes Burkhardt d’une entrée fortuite en guerre, les contemporains eurent d’emblée le sentiment de s’engager dans une guerre longue (p. 27). Il minimise aussi à juste titre l’importance de la comète de 1618, interprétée seulement a posteriori comme un signe du début de la guerre.

La question des »religions en guerre« fait l’objet du deuxième chapitre, expédié en une trentaine de pages. Il nuance les fronts confessionnels sans proposer d’alternative, si bien que le chapitre ne convainc guère: la guerre entre la France et l’Espagne est exempte d’enjeux confessionnels (mais fait-elle pleinement partie de la guerre de Trente Ans?), Augsbourg est réputée pour la coexistence pacifique des deux confessions (mais il ne faudrait pas oublier le récent violent conflit sur l’adoption du calendrier grégorien!), le roi Gustave-Adolphe de Suède a été célébré en milieu protestant comme un martyr (p. 87), une Bible à Nürtingen (près de Stuttgart) imbibée du sang de son propriétaire qui la tenait lorsqu’il fut poignardé et fusillé est perçue comme une relique et le pasteur comme un martyr (p. 91) – Hans Medick ne développe pas plus avant ce qu’il met exactement sous ces mots.

Consacré à »la guerre au quotidien«, le troisième chapitre s’appuie sur de nombreux diaires et chroniques, parfois très connus (Peter Hagendorf dont il critique à juste titre la surexploitation médiatique actuelle p. 121–122, mais aussi Hans Heberle, Augustin Güntzer ou Martin Bötzinger), parfois plus originaux, nous renseignant sur la résistance des paysans (ainsi le »Chronicon Thuringiae« de Volkmar Happe dont il a travaillé, avec Norbert Winnige et Andreas Bähr à une édition numérique en 2008, consultable sous le lien hypertexte http://www.mdsz.thulb.uni-jena.de/happe/quelle.php), les viols, supplices et fuites.

Il se penche ensuite sur les »fléaux« de la guerre: la peste, la disette et les quelques rares témoignages d’anthropophagie en situation de famine – déjà bien connus – à Brisach et à Augsbourg et dans les environs proches. Si, malgré des armées démultipliées, les batailles sont rares, elles existent néanmoins et sont doublées de sièges, voire de massacres, présentés dans le chapitre cinq. Hans Medick élargit alors le spectre de ses sources: il considère des feuilles volantes ou des gravures commentées, des données établies par des archéologues lors de la découverte en 2011 d’une fosse commune creusée pour y enfouir les soldats tombés à la bataille de Lützen (16 novembre 1632, p. 228–232), des photos aériennes (ainsi les traces de terre-pleins et remblais d’un campement militaire de 1623 encore visibles en 1971, près de Friedland dans le sud de la Basse-Saxe) et des sermons funéraires pour les soldats morts à la bataille de Lützen.

Le chapitre six sur »les médias et la guerre« se concentre sur la mort de Gustave-Adolphe en 1632 et l’assassinat sur ordre impérial du général Albrecht von Wallenstein en 1634. Il développe la thèse que Wallenstein ne devint une figure médiatique qu’après sa mort – bien qu'intéressante, une telle thèse toutefois ne permet pas de comprendre pourquoi il fut assassiné (une prise en compte de la communication écrite et orale dans la cour impériale et au sein des réseaux de nobles tchèques exilés aurait ouvert des portes et enrichi l’approche purement culturelle de Hans Medick par des enjeux sociaux et politiques).

Le »long chemin vers la paix«, traité dans le chapitre sept, revient sur des témoignages connus, ainsi Diederich von dem Werder et Hans Heberle, complétés par des articles de journaux. Le dernier chapitre présente la fête – elle aussi bien connue – de la conclusion de l’intérim du recès de Nuremberg qui devait régler les modalités de la démobilisation des troupes stationnées, en septembre 1649.

Hans Medick ne recule pas devant la critique d’autres publications. Aussi se permettra-t-on d’esquisser une critique. L’ouvrage se laisse certes très bien lire et est écrit dans un style agréable, mais il s’adresse à un public qui doit déjà avoir connaissance du déroulement de la guerre de Trente Ans. Le récit est en effet fragmenté entre la diachronie et les »gros plans« sur tel sujet ou tel événement, et les extraits de sources sont trop brefs pour être vraiment »parlants«. S’il note souvent la rédaction a posteriori de tels textes, quelques années, voire vingt ans après les événements décrits, ou le seul recours à des publications du XIXe siècle à défaut de source originale, Hans Medick ne s’essaie, de plus, à aucun moment à une critique philologique.

On ne peut manquer de craindre que l’attrait des écrits du for intérieur entraîne le recours à une certaine paraphrase, voire à un certain positivisme. Hans Medick critique à juste titre l’iconographie non réfléchie des synthèses d’Herfried Münkler et de Georg Schmidt, mais il procède de même (p. 102–104) en illustrant son chapitre sur »la guerre au quotidien« de gravures de Jacques Callot et de Hans Ulrich Franck prises pour argent comptant, au rebours de toutes les mises en garde des historiens de l’art. Riche de 291 titres, sa bibliographie ne compte que 10% de titres étrangers à 100% en anglais (29 titres dont quatre publiés par Hans Medick lui-même).

Les articles essentiels de Birgit Emich sur la »co-médialité« des écrits du for intérieur et des feuilles volantes à propos du sac de Magdebourg y sont étrangement absents, de même que ceux de Hans-Martin Kaulbach ou Sabine Ehrmann-Herfort sur la fête de Nuremberg de 1649, que l’excellent catalogue de l’exposition sur la fosse commune de Wittstock1 et la synthèse (certes très récente) de Holger Böning sur la presse des débuts de la guerre notamment, pour ne citer que l’historiographie germanophone – alors que la guerre de Trente Ans fut par ses théâtres d’occupation, par ses acteurs et par l’art de la guerre puis la diplomatie impliqués ou mis en œuvre, une guerre européenne menée avant tout (mais pas uniquement) dans le Saint-Empire. On regrette enfin l’omission de sujets importants – les adaptations des contemporains et la survie, y compris des structures politiques – et une approche assez unilatérale présentant les soldats comme les oppresseurs et les paysans comme des victimes (qui parfois se vengent) sans se pencher sur la vie des armées et le contrôle de la violence.

Les grandes synthèses publiées pour le 400e anniversaire du début de la guerre de Trente Ans ont été rédigées par des historiens mûrs, qui y reprennent leurs idées directrices: Georg Schmidt illustre la nation allemande en guerre, Johannes Burkhardt les formes d’État en construction, Herfried Münkler la thèse d’une ancienne »nouvelle guerre«; dans cette lignée, Hans Medick documente les écrits du for intérieur vus comme les dépositaires des perceptions de la guerre. Le lecteur ou la lectrice de ces ouvrages ne peut manquer de relever une certaine redondance dans ces publications, comme si l’on assistait à un certain épuisement des problématiques. Mis à part ces regrets, l’ouvrage de Hans Medick se laisse très bien lire et livre de temps à autre des renseignements tirés de chroniques inédites.

1 Brandenburgisches Landesamt für Denkmalpflege, Archäologisches Landesmuseum Brandenburg, Sabine Eickhoff, Franz Schopper (Hg.), 1636 – ihre letzte Schlacht, Stuttgart 2012.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Claire Gantet, Rezension von/compte rendu de: Hans Medick, Der Dreißigjährige Krieg. Zeugnisse vom Leben mit Gewalt, Göttingen (Wallstein) 2018, 448 S., ISBN 978-3-8353-3248-5, EUR 29,90., in: Francia-Recensio 2019/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66386