Le recueil de Nicolaas Rupke et Gerhard Lauer est basé sur un colloque de 2015 sur Johann Friedrich Blumenbach (1752–1840) qui a une importance significative dans l’histoire du »racisme scientifique« des XVIIIe et XIXe siècles. Les textes de Blumenbach et son activité de professeur à l’université de Göttingen ont eu un impact durable sur le concept de la »race humaine« et il est par conséquent une figure centrale pour réévaluer l’histoire du racisme scientifique. Rupke et Lauer ont pu rassembler des auteurs, qui dans leurs contributions antérieures ont prouvé qu’ils sont des connaisseurs hors pairs dans ce champ de recherche. Comme le souligne David Livingstone dans sa préface, Blumenbach était un défenseur de l’égalité de tous les êtres humains et un ennemi de l’esclavage. Mais son vocabulaire pour la classification des races ou »variétés« humaines a été reçu comme formant la base pour diverses formes du racisme scientifique au XIXe siècle (p. XII–XIII).
Dans l’introduction, Lauer et Rupke analysent les diverses images de Blumenbach produites par l’historiographie. Ils montrent qu’il était perçu comme »synonyme de la notion libérale de l’»›unité de l’espèce humaine‹ et l’›émancipation des Noirs‹«1 dans la première moitié du XIX« siècle (p. 5). D’un autre coté, aux États-Unis et en Grande Bretagne, Blumenbach fût reconnu comme fondateur de l’anthropologie physique et du racisme scientifique (p. 6). Après la Seconde Guerre mondiale, on a retrouvé Blumenbach dans les expériences de la guerre et de la Shoah, sa collection de crânes étant reprise dans ce contexte (p. 7).
Au cours des décennies suivantes, selon le courant de la »déconstruction«, Blumenbach était plutôt vu comme un précurseur involontaire du racisme (p. 7–9). Dans ce contexte, Gerhard Lauer et Heiko Weber présentent le projet »Blumenbach – Online« un soi-disant »Langzeitvorhaben« (projet à long terme) financé par l’Union des académies des sciences allemandes et qui vise à faciliter une réévaluation de Blumenbach avec des moyens numériques (p. 13–14, 16). En ajoutant des métadonnées et en maintenant des normes de qualité pour les projets numériques, comme les auteurs l’espèrent, de nouvelles approches deviennent possibles (p. 17).
Dans sa contribution, Carl Niekerk aborde le discours sur la discipline »anthropologie« du XVIIIe siècle. Il évoque les positions de Buffon, Blumenbach, Herder et Lichtenberg, la querelle sur le concept de la »race« dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. En tenant compte des positions anti-juives chez Herder et Lichtenberg (p. 43, 45), Niekerk développe les possibilités de la discussion sur l’altérité humaine et le rôle central de Göttingen. Dans sa contribution, Emma Spary souligne l’importance de contextualiser et d’historiciser le concept de la »race«. Même dans les années 1790, comme Spary le montre, le concept de la »race« était instable et se rapportait plutôt à la tradition hippocratique du rapport entre le corps humain et les causes extérieures telles que le climat et le sol. Spary élabore la thèse selon laquelle à partir de 1800 les positions se sont transformées et seraient devenues plus »fixistes« (p. 71).
Dans son article, Wolfgang Böker raconte comment Blumenbach a commencé sa collection de crânes à partir des années 1780 et comment elle a été intégrée dans le musée académique de l’université de Göttingen après sa mort en 1840 (p. 84). Böker montre comment Blumenbach, dans sa description de la variabilité humaine, se concentrait de plus en plus sur la forme du crâne. Alors qu’auparavant il utilisait une plus grande variété de critères. Aussi, Blumenbach a établi une relation génétique entre les différentes formes de crânes et les plaçait dans un spectre de formes continues (p. 86). Par conséquent, sa collection n’explique pas sa théorie plus ancienne des »races humaines«, mais sa modification (p. 88).
Comme l’introduction de Rupke et Lauer le souligne, Blumenbach était perçu comme l’initiateur d’un discours et d’une pratique raciste. Thomas Junker analyse l’interprétation de Blumenbach par Steven J. Gould. En se basant sur un débat scientifique qu’ils avaient eu, il soutient que l’idée d’un racisme chez Blumenbach était basée en partie sur des illustrations postérieures qui suggéraient une hiérarchisation entre les différentes races. Blumenbach lui-même, comme le dit Junker, aurait explicitement exclu cette hiérarchisation (p. 108).
Le sujet des variétés humaines est approfondi par Renato G. Mazzolini, qui aborde la classification des albinos chez Blumenbach et autres auteurs. Linné a classé les albinos dans les troglodytes (une espèce du genre homo qu’il a introduit dans la dixième édition du »Systema naturae«) et Blumenbach a contesté cette thèse déshumanisante (p. 113–114). Dans son approche, Mazzolini montre que l’albinisme est devenu un outil intellectuel pour prouver l’unité de l’espèce humaine (p. 117). Bien au contraire de Spary, qui s’efforce de trouver le sens précis du concept de la »race« dans des microconstellations, Terence Keel vise à tracer une »›vue d'ensemble‹ de la science raciale«2 (p. 124) sur fond de théologie de la substitution de l’antiquité.
L’idée que le christianisme doit suppléer au judaïsme, selon Keel, formait la base pour la hiérarchisation et la sécularisation des idées racistes dans le contexte du nationalisme allemand de la seconde moitié du XVIIIe siècle (p. 139). En opposition aux idées de Keel, Robert Richards aborde les pratiques matérielles de la mensuration des crânes. Il montre que les mêmes pratiques de mesure au XIXe siècle – chez Blumenbach, Carus, Tiedemann et Morton – ont mené à des conclusions contraires: les uns ont construit une hiérarchie esthétisée entre les différents crânes, les autres ont conclu que les différences étaient plutôt arbitraires (p. 143–144). Une critiques des thèses classiques par David Bindman n’est pas citée mais serait pourtant intéressante parce qu’il aborde le rapport entre les normes esthétiques et les pratiques de hiérarchisation des races humaines3. Peter Hanns Reill se concentre sur les intérêts ethnographiques de Blumenbach, qui a élargi la collection du musée académique de l’université de Göttingen, mais sans avoir fait lui-même de voyages ethnographiques. En revanche, un de ses disciples, Maximilan Wied-Neuwied, a fait deux voyages sur les côtes du Brésil (1815–1817) et dans le Missouri (1832), mettant en œuvre les idées ethnographiques de Blumenbach.
Un autre champ de savoir est traité par John H. Zammito dans sa contribution stimulante. Il veut montrer que Blumenbach ne s’est pas seulement intéressé à la paléontologie, mais qu’il a eu une »influence pionnière dans le domaine«4 (p. 199). Zammito affirme que l’historisation de la nature chez Blumenbach était une combinaison d’une historisation des êtres vivants et une temporalisation géologique du monde (p. 218). Une histoire du monde et des organismes aurait pu devenir la matrice d’une possible science du vivant (p. 219).
Nicolaas Rupke reprend le sujet et fait valoir, que le véritable racisme scientifique a commencé quand une théorie sur l’origine de l’humanité intégrât systématiquement une hiérarchisation des types d’hommes (p. 234). Rupke soutient que cette intégration aurait eu lieu pendant la querelle entre Huxley et Owen sur la comparaison entre singes et êtres humains, dans les années 1860. Le commencement du racisme scientifique, comme l’affirme Rupke, était »la règle de Huxley« (»Huxley’s rule«) qui pose, entre autres, que la distance entre l’homme le plus élevé et l’homme le plus bas était plus grande que celle d’entre l’homme le plus bas et le singe le plus élevé (p. 241). Rupke estime que cette conception nécessairement hiérarchisante était le véritable commencement du racisme scientifique, tandis que la conception de Blumenbach et autres chercheurs à Göttingen correspondait à »l’eurocentrisme« (p. 244).
Pour ceux, qui s’occupent du sujet depuis un certain temps, le recueil offre quelques perspectives nouvelles et beaucoup d’anciennes ; pour ceux, qui commencent à s’intéresser à Blumenbach, il est un excellent point de départ. Les contributions focalisent Blumenbach et le concept de la »race«, mais elles sont vaguement liées et, même ensembles, ne permettent pas d’avancer un argument systématique par rapport à Blumenbach et le concept de la »race humaine«. À la lecture du livre les répétitions peuvent paraître ennuyantes. Par exemple, la biographie scientifique de Blumenbach et son attitude à l’égard de la question de l’esclavage et de la hiérarchisation des hommes sont abordées à plusieurs reprises de manière très similaire. Aussi, il aurait été intéressant d’établir des liens plus étroits entre les contributions sur la collection des crânes de Blumenbach (Böker, Richards, Rupke) ou sur le concept de la »race« (Rupke/Lauer, Spary, Keel, Mazzolini, Rupke), comme le fait Rupke dans sa contribution.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Laurens Schlicht, Rezension von/compte rendu de: Nicolaas Rupke, Gerhard Lauer (ed.), Johann Friedrich Blumenbach. Race and natural history, 1750–1850, London, New York (Routledge) 2018, XVI–263 p., 25 fig., 3 tabl. (Routledge Studies in the History of Science, Technology and Medicine, 33), ISBN 978-113-87384-23, GBP 115,00., in: Francia-Recensio 2019/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66390