Publié à l’occasion du centenaire de la naissance de Ernst Walter Zeeden (1916–2011), cet ouvrage expose avec clarté les principaux champs de recherche d’un historien connu avant tout pour avoir – avant le concept de confessionnalisation promu par Heinz Schilling et Wolfgang Reinhard dans les années 1980 – proposé la notion de »formation des confessions« (Konfessionsbildung) dès la fin des années 1950. Longtemps, cette proposition a été considérée avant tout comme un moment précurseur de la »confessionnalisation«, annonçant une volonté nouvelle de considérer le protestantisme et le catholicisme des XVIe et XVIIe siècles comme des déclinaisons différentes d’une même évolution, et dépassant ainsi une histoire des confessions encline à les opposer de manière irréductible – mais n’atteignant pas encore à un degré suffisant d’intégration du social, du politique et du religieux et à une formalisation conceptuelle en partie empruntée à Max Weber et Gerhard Oestreich, deux caractéristiques au contraire reconnues au concept de Schilling et Reinhard.

À mesure que les critiques envers le paradigme de la confessionnalisation ont grandi aussi vite que son succès, cette vision généalogique confinant Zeeden dans le rôle d’ancêtre intellectuel nécessaire mais incomplet peut toutefois être révisée. De ce point de vue, la parution du présent volume n’est pas seulement déterminée par la révérence des éditeurs et des auteurs envers un maître disparu. Elle vient à son heure. En se retirant, la marée »confessionnalisation« ferait-elle à nouveau apparaître, sur l’estran, la »formation des confessions« naguère submergée?

C’est ce que suggère par exemple, dans sa contribution à l’ouvrage, Richard J. Ninness, qui voit dans le concept de Zeeden un instrument plus limité, mais plus maniable, car débarrassé du ballast théorique de la »modernisation« et de la »disciplinarisation sociale«: »it is not as inflexible as confessionalization with its borrowing from social discipline. It is also not overburdened with the grand sweep of modernization. It is a smaller theory, but this makes it more sleek and capable at getting at the complexity of confessional relations in Reformation era« (p. 130).

Comme nous le rappelle Michael Maurer en revenant sur l’œuvre de Zeeden en matière d’histoire culturelle, ce dernier n’était en effet pas un adepte acharné des grandes constructions théoriques; il a été éclipsé par celles-ci. Son souci des sources et de la diversité des situations concrètes a en revanche marqué sa carrière et les travaux collectifs qu’il a initiés (par exemple sur les rapports de visites pastorales), si bien que son travail sur les parallélismes entre les confessions n’a jamais effacé leurs différences et toutes les nuances de leur coexistence (Johannes Burkhardt). Un retour à la »formation des confessions« est une option dont chacun sera juge; l’exigence d’une recherche pragmatique attentive aux circulations et aux frottements entre confessions est en revanche à coup sûr un enseignement toujours actuel du travail d’Ernst Walter Zeeden.

L’intérêt de ce recueil dépasse toutefois la simple mise au point historiographique au sujet de Zeeden, ou même le monument élevé à sa mémoire (voir sa bibliographie complète en fin de volume). Les éditeurs ont en effet mis un soin particulier à mêler témoignages et réflexions – les dix pages qu’ils consacrent à fournir une explication de la gravure placée en couverture, une initiative rare et bienvenue, en sont l’emblème – si bien que ce qui se dégage du volume est aussi un voyage historique dans le monde académique des années 1930 aux années 1970.

La réédition du dernier cours de Zeeden, en forme de retour sur sa vie, en particulier étudiante, contribue puissamment à donner cette dimension au volume (tous liront avec intérêt la description de la manière dont Heidegger faisait cours). Au fil des contributions, on voit se dessiner un monde académique encore numériquement limité, un monde presque exclusivement masculin, parcouru de liens familiaux réels (Zeeden était petit-neveu de Max Weber) ou symboliques (il est ainsi question p. 17 des »Schüler« et »Enkelschüler«!), de liens puissants, faisant école, entre les enseignants d’une même université, ainsi que de répartitions confessionnelles longtemps restées impérieuses.

Si les propositions de Zeeden n’ont pas été unanimement acceptées, si son travail portant sur l’image de Luther, pour précurseur qu’il soit aujourd’hui jugé, a reçu un accueil très mitigé – c’est aussi parce que ce luthérien d’origine s’est converti dans sa jeunesse au catholicisme, se condamnant ainsi à susciter un perpétuel soupçon dans une discipline alors encore dominée par le protestantisme, en dépit même de son statut d’élève de Gerhard Ritter. Quant à son travail dans le domaine de l’histoire culturelle, il ne peut également être compris sans »interroger le rapport intime entre catholicisme et histoire culturelle« à l’époque de Zeeden (Michael Maurer, p. 92).

Le livre peut donc être lu à deux niveaux. Le premier apporte aux historiens modernistes des confessions dans le Saint-Empire d’utiles perspectives historiographiques. Le second, qui ouvre des aperçus intéressants sur le monde vécu des historiens allemands au XXe siècle, saura trouver un public plus large.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Christophe Duhamelle, Rezension von/compte rendu de: Markus Gerstmeier, Anton Schindling (Hg.), Ernst Walter Zeeden (1916–2011) als Historiker der Reformation, Konfessionsbildung und »deutschen Kultur«. Relektüren eines geschichtswissenschaftlichen Vordenkers, Münster (Aschendorff) 2016, 250 S., 15 Abb. (Katholisches Leben und Kirchenreform im Zeitalter der Glaubensspaltung, 76), ISBN 978-3-402-11095-9, EUR 24,80., in: Francia-Recensio 2019/3, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66584