Ce livre, dirigé par Karl-Joseph Hummel et Michael Kißener, a été publié initialement en 1980 et actualisé plusieurs fois. La traduction anglaise, proposée ici et publiée en 2018, est le fait de l’éditeur allemand (Ferdinand Schöningh) à partir de l’édition de 2009, dédiée au professeur Konrad Repgen pour son 85e anniversaire. Il est organisé de manière thématique: une présentation générale de la problématique avec deux chapitres (Michael Kißener, »Catholics in the Third Reich: A Historical Introduction«, p. 13–36; Christoph Kösters, »Catholics In the Third Reich: An Introduction to the Scholarship and Research History«, p. 37–60); une deuxième partie, la plus importante de l’ouvrage, sur les controverses et les débats historiographiques (Wolgang Altgeld, »Racist Ideology and Völkisch Religiosity«, p. 63–83; Matthias Stickler, »Collaboration or Ideological Distance? Catholic Church and Nazi State«, p. 85–101; Karl-Joseph Hummel, »The German Bishops: Pastoral Care and Politics«, p. 103–126; Thomas Brechenmacher, »The Church and the Jews«, p. 127–145; Christoph Kösters, »Catholic Milieu and National Socialism«, p. 147–168; Michael Kißener, »Is ›Resistance‹ not ›the Right Word‹? », p. 169–180; Thomas Brechenmacher, »The Pope and the Second World War«, p. 181–197; Annette Mertens, »German Catholics and World War II«, p. 199–217; Karl-Joseph Hummel, »Dealing with the Past: The Debate about Guilt«, p. 219–237); et une dernière, sur les utilisations des photos mettant en scène des prélats catholiques, composée d’un seul article (Karl-Joseph Hummel, »The Church in Pictures: Historical Photos as a Means of Deception«, p. 241–258).
L’ouvrage est accompagné en outre de deux préfaces (celle de l’édition allemande de 2009, p. 8–9, et celle de cette version anglaise, p. 10), d’une bibliographie, p. 259–292, d’une présentation des participants à l’ouvrage, p. 293–294, d’un index, p. 295–308, et de plusieurs cartes, p. 309–315.
Cet ouvrage est capital dans la compréhension des rapports, complexes et très controversés, entre le catholicisme allemand et le national-socialisme: les positions des universitaires divergent sur l’attitude du national-socialisme vis-à-vis du catholicisme. Selon les uns, il se serait agi d’un régime favorable à cette religion, du fait de la signature, dès le 20 juillet 1933, d’un concordat entre le Troisième Reich et l’Église catholique; selon les autres, il se serait agi au contraire d’un régime foncièrement anticatholique, en particulier à compter de 1935 et du début du Kirchenkampf. Les différents chapitres de ce livre montrent au contraire toute la complexité d’être catholique, une religion minoritaire, il ne faut pas l’oublier en Allemagne dans les années 1930. Les catholiques ne représentaient qu’environ un tiers de la population. Ils voyaient dans la signature d’un concordat un moyen de protéger leur foi des persécutions, ayant en mémoire le conflit (le Kulturkampf) opposant d’un côté Bismarck et l’Église catholique de l’autre.
L’idée d’une proximité entre le Troisième Reich et le catholicisme vient du positionnement politique de certains prélats, qui furent d’anciens combattants durant la Première Guerre mondiale et qui de ce fait sont plus sensibles aux sirènes de l’ultranationalisme, plus que la masse des catholiques (Stickler, »Collaboration or Ideological Distance? Catholocism Church and Nazi State«; Hummel, »The German Bishops: Pastoral Care and Politics«). D’ailleurs, les cartes en fin d’ouvrage montrent très bien le lien entre forte présence catholique et faiblesse du vote pour le parti nazi. Ce qui est paradoxal d’une certaine façon, le nazisme étant né en terre catholique, en Bavière. Pourtant, les catholiques et les nazis avaient des thématiques proches: conservatisme, antimodernité et rejet de la sécularisation de la société, l’anticommunisme, et dans une moindre mesure, l’antisémitisme.
Cependant, l’ouvrage nous explique brillamment l’existence de divergences très fortes, en particulier sur la question raciale, l’eugénisme et les politiques d’euthanasie (condamnation de l’Aktion T4). Des prélats condamnèrent même la politique antisémite, tel le cardinal Michael von Faulhaber, archevêque de Munich, avec son ouvrage »Judentum, Christentum, Germanentum«, tandis que Mgr Clemens August von Galen, evêque de Münster, fut accusé par les nazis d’être plus enclin à défendre les »juifs de la Bible« que ses compatriotes. Les divergences étaient également très fortes sur les prérogatives de l’Église, surtout en ce qui concernait la question scolaire, des moines, des prêtres et des religieuses étant aussi des enseignants dans les régions à forte population catholique.
Dès que les nazis eurent les pleins pouvoirs en mars 1933, ils mirent la société allemande au pas (Gleichschaltung). Les catholiques, qui pensaient être protégés par la signature d’un concordat le 20 juillet 1933, la subirent également: leurs partis politiques, syndicats et presses furent interdits. Le conflit ne devient ouvert que lorsque le régime désire toucher aux prérogatives de l’Église: la liberté de confession, les écoles confessionnelles et les associations de jeunesse. Elle a relativement bien accepté l’antisémitisme et cela lui sera reproché brutalement après-guerre, comme l’expliquent les chapitres de Thomas Brechenmacher (»The Church and the Jews«) et de Karl-Joseph Hummel (»Dealing with the Past: The Debate about Guilt«).
Seuls, quelques-uns ont refusé cette politique raciale, au nom de leur foi et à titre individuel. En représailles, des responsables catholiques, tels Erich Klausener, homme politique du parti du Centre et haut-fonctionnaire, et Adalbert Probst, responsable d’une association de jeunesse catholique, furent assassinés durant la nuit des Longs couteaux, le 30 juin 1934. Les nazis interprétèrent ces critiques comme une violation du Concordat, les catholiques devant se soumettre sans condition aux lois du Troisième Reich.
De fait, l’Église catholique est attaquée dès l’avènement du régime, malgré la signature d’un concordat, qui devait protéger les catholiques allemands, minoritaires, des persécutions connues sous Bismarck: il s’agirait selon les nazis d’une dictature de droit canon, au système extravagant, à la liturgie étrangère, et surtout sous l’influence de l’étranger, de Rome. Les prélats, dont l'archevêque de Breslau, le cardinal Adolf Bertram, seront très rapidement considérés indésirables à Berlin. Dès 1935, le conflit se radicalise et ne se cessera de d’augmenter en intensité jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les autorités utilisent le prétexte de »mauvaises mœurs« (homosexualité principalement) pour ouvrir des procès contre des moines et des congrégations religieuses. Des mesures administratives contraignantes restreignent les droits, les libertés des fonctionnaires catholiques, comme l’envoi des enfants dans les écoles communautaires ou l’inscription obligatoire dans les Jeunesses hitlériennes.
À la fin de la guerre, il y avait encore 400 prêtres environ internés en camps de concentration. En outre certains nazis de premier plan, à commencer par le Führer et le chef de la SS, Heinrich Himmler, avaient abandonné la foi catholique et n’hésitaient pas à la critiquer violemment. Hitler considérait le catholicisme comme une »religion de la souffrance: faible, molle et artificielle«, une religion ayant imposé l’égalitarisme et le métissage. Il y voyait également dedans une religion juive. Ses propos devinrent de plus en plus critiques à partir de 1942, englobant le christianisme dans son ensemble, au fur et à mesure de l’évolution et de la radicalisation de la guerre. Quant à Himmler, il quitta officiellement cette religion en 1935/1936 et chercha à inventer une nouvelle religion »païenne« pour sa SS.
En novembre 1936, le cardinal Faulhaber rencontre le chancelier pour tenter d’améliorer les relations entre le régime et l’Église catholique, en vain. Les instances catholiques allemandes s’opposèrent par le biais de réfutations théologiques: les évêques réunis à Fulda pour leur conférence annuelle réfléchirent à une réponse au régime. Cette réponse sera l’encyclique »Mit brennender Sorge« de Pie XI, dont le texte est esquissé par le cardinal Faulhaber. Celle-ci fait le point sur quatre ans de concordat et résonne pour le régime comme un défi. Imprimé clandestinement, elle est lue dans les églises le 21mars 1937 par le clergé.
Le chapitre de Michael Kißener, »Is ›Resistance‹ not »the Right Word‹?«, montre d’ailleurs très bien les différents niveaux de résistance des catholiques. S’il n’y a pas de résistance de l’Église, en tant qu’institution, du fait du risque de persécution de la minorité catholique allemande, ce chapitre montre très bien l’existence d’une résistance des catholiques, sous différentes formes et de différents niveaux: allant du refus passif à la résistance armée (Kreisauer Kreis, Weiße Rose par exemple) aux prises de position publique (l’évêque de Berlin, Konrad von Preysing par exemple).
Enfin, les derniers chapitres de l’ouvrage (»Dealing with the Past: The Debate about Guilt« et »The Church in Pictures: Historical Photos as a Means of Deception«), écrits par Karl-Joseph Hummel montrent que l’accusation de complicité des catholiques allemands avec le régime national-socialiste commence à être mise en avant à partir des années 1970 et relève d’une réécriture idéologique. Surtout, le dernier chapitre met en lumière la pratique de certains éditeurs, cherchant à trouver une couverture »choc« et détournant de ce fait des photographies de prélats. Ces images sont systématiquement décontextualisées, suggérant, implicitement ou explicitement d’ailleurs, la proximité des instances catholiques avec le régime nazi.
L’ouvrage dirigé par Karl-Joseph Hummel et Michael Kißener est une somme d’érudition, mais de lecture aisée, capitale pour la compréhension de la nature des relations entre les catholiques et le national-socialisme sous le Troisième Reich. En faisant le point sur les débats et les controverses, il s’agit également d’un outil de travail indispensable et précieux pour tous ceux qui travaillent sur ces questions.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Stéphane François, Rezension von/compte rendu de: Karl-Joseph Hummel, Michael Kißener (ed.), Catholics and Third Reich. Controversies and Debates. Translated by Christof Morrisey, Paderborn (Ferdinand Schöningh) 2018, 315 p., 6 b/w, 7 col. ill., 3 maps, ISBN 978-3-506-78786-6, EUR 79,00., in: Francia-Recensio 2019/3, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66587