Parent pauvre de l’histoire culturelle, l’histoire des medias jeunes est longtemps restée un point aveugle de la recherche, en Allemagne comme dans d’autres pays, peut-être parce que le sujet semblait l’apanage des cultural studies. Les premiers travaux allemands étaient des monographies assez descriptives, encore marquées, dans les années 1960, par le poids de la théorie critique. Les médias jeunes, entendus comme les médias pour les jeunes, étaient dénoncés comme des produits commerciaux, sinon des outils de manipulation, même si, à partir des années 1970, la vision du jeune consommateur passif commença à être remise en cause. Les journaux produits par les jeunes, que ce soit au sein des mouvements de jeunesse, des syndicats, des partis ou des églises commencèrent alors à être étudiés, ouvrant la voie à des recherches davantage centrées sur le potentiel créatif et identitaire de tels médias, encore accentué par le développement d’internet. Les travaux les plus récents proposent cependant des approches globales, intégrant questions de production, réception et représentations, enjeux économiques et politiques, études macro- et microhistoriques, inscrivant dès lors l’histoire des médias jeunes au cœur d’une histoire sociale et culturelle repensée.

C’est dans cette lignée que s’inscrit l’ouvrage collectif dirigé par Aline Maldener et Clemens Zimmermann, qui offre, après une riche introduction historiographique et théorique, un panorama des recherches en cours, centrées sur un XXe siècle marqué par l’essor des médias de masse, de la radio à la télévision, en passant par les jeux vidéo. Cette diversité, qui implique d’être attentif à l’évolution des techniques, impose aussi de ne pas se limiter à l’étude des textes, mais d’intégrer les images et les sons, et donc d’engager des méthodologies interdisciplinaires, empruntées par exemple aux visual et aux sound studies.

Trois axes de réflexion sont ici proposés, qui organisent la structure de l’ouvrage. Dans un premier temps, les médias jeunes, notamment ceux issus de courants sub- ou contreculturels, sont étudiés »par en bas«, comme des instruments d’affirmation de soi et d’autonomisation. Stefan Rindlisbacher, à partir d’exemples suisse et allemand, cherche à définir dans quelle mesure les jeunes ont eu la possibilité d’influer sur la ligne éditoriale des journaux produits, au début du siècle, par les mouvements de retour à la nature comme les Wandervögel. Il montre ainsi que, si les adultes gardent le contrôle sur ces productions, les jeunes ont leur mot à dire, partageant leurs expériences de randonnée, et donnant leur avis, en particulier en Suisse, sur certaines composantes identitaires du mouvement, comme l’abstinence d’alcool. Dans l’entre-deux-guerres, un journal suisse comme »Tao«, qui cible cette fois-ci un lectorat international et un peu plus âgé, offre, à travers son courrier des lecteurs, un espace de discussion sur des questions de sexualité, mais aussi de chômage ou de dépression. Julia Gül Erdogan, quant à elle, propose une étude comparée des clubs de hackers, des subcultures jeunes presque exclusivement masculines, qui se développent, dans les années 1980, en RFA, autour du Chaos Computer Club (CCC), influencé par les alternatifs d’extrême gauche, et en RDA, autour de la Haus der jungen Talente (HdjT), lieu utilisé comme point de rencontre par les clubs de jeunes Berlinois depuis 1954, et où, du fait des restrictions aux importations, la culture du bricolage et de l’échange florissait.

Dans les deux pays, ces clubs d’amateurs, qui diffusaient des lettres d’information, truffées de conseils techniques, pouvaient être créés à l’initiative des jeunes ou de l’État, mais en RDA, l’accord de ce dernier était indispensable. La Stasi surveillait du reste certains groupes d’activistes adeptes du Zerberus-Netzwerk, un ancêtre d’Internet, tandis qu’en RFA, les hackers, suite à une affaire impliquant le KGB, commencèrent, à la fin des années 1980, à être associés à l’espionnage.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les médias jeunes sont cette fois-ci envisagés »par en haut«, comme des organes informatifs et éducatifs. Friederike Höhn présente ainsi le débat autour du rétablissement du service militaire en RFA à travers les échanges menés au sein de deux journaux confessionnels, le catholique »Wacht« et le protestant »Junge Stimme«.

Michael Kuhlmann et Christoph Hilgert analysent quant à eux les difficultés rencontrées par les radios publiques pour prendre en compte l’auditoire jeune, que ce soit en termes de programme ou même de tranche horaire. Des succès sont cependant à souligner, comme l’émission »Abend für junge Hörer«, lancée en 1954 sur le NWDR, ancêtre du NDR et du WDR actuel, et dont le concept – enregistrement en direct et en public, discussions de problèmes liés à la jeunesse – sera repris jusqu’en RDA, tandis que des DJ étrangers, comme Chris Howland et Mal Sondock, ouvrent tardivement l’ARD à la pop music. Kuhlmann montre notamment comment l’émission »Radiothek« (1973–1980) du WDR Köln parvint à croiser programme musical innovant et discussions autour de sujets politiques et sociaux.

Dans la dernière partie de l’ouvrage enfin, sont abordés les médias comme participant à la construction d’une identité collective, avec des articles relativement attendus sur le rôle joué par les fanzines dans la construction de la scène punk munichoise des années 1970–1980 (Karl Siebengartner) ou la difficile mise en place, dans les années 1980, d’une scène heavy metal en RDA, grâce aux échanges de magazines, de disques et de cassettes audio avec la RFA ou la plus libérale Hongrie, et à l’écoute de radios étrangères, même si une émission est consacrée au genre sur la radio est-allemande DT64. Largement dépendante des médias occidentaux, cette scène heavy metal est-allemande ne parvint pas, à la différence de la scène punk, à conserver son identité après la chute du Mur (Nikolai Okunew).

Deux contributions, enfin, traitent de la télévision. Andre Dechert montre d’abord comment les jeunes, dans les années 1960, se passionnent pour les séries américaines proposées dans le cadre de programmes dits »familiaux«, se mobilisant notamment pour que »Laramie«continue d’être diffusée. L’article que Michael G. Esch consacre au »Beat Club«, l’émission lancée par Radio Bremen et devenue depuis un programme culte, dans la lignée de la nostalgie rock étudiée par Simon Reynolds dans »Retromania«(2012), s’avère l’un des plus riches et intéressants du recueil, tant du point de vue méthodologique, avec une attention poussée portée aux mises en scène visuelles, comme l’introduction de go-go girls ou la disparition du public de l’écran, qu’historique, avec l’analyse du tournant politique de la rédaction, qui dénonce la commercialisation de la culture hippie à partir de 1969, mais aussi des étapes de la canonisation du rock, telle qu’elle se révèle – et est construite – dans et par l’émission.

Si quelques regrets subsistent – en dépit des déclarations d’intentions, les auteurs s’intéressent presque exclusivement aux médias allemands, la dimension genrée reste très limitée –, l’ouvrage montre les potentialités des recherches sur les médias jeunes pour l’histoire sociale et culturelle et invite à de futures comparaisons internationales.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Florence Tamagne, Rezension von/compte rendu de: Aline Maldener, Clemens Zimmermann (Hg.), Let’s historize it! Jugendmedien im 20. Jahrhundert, Köln, Wien, Weimar (Böhlau) 2018, 329 S., zahlr. Abb., ISBN 978-3-412-50893-7, EUR 27,99., in: Francia-Recensio 2019/3, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66591