Il s’agit de la version imprimée d’une thèse soutenue à l’université de Potsdam en 2016, dirigée par Michael Epkenhans, historien de l’armée, en particulier de la marine. Un ouvrage imposant qui se compose de quatre grandes parties inégales, une introduction qui fait l’état des recherches et des méthodes, une discussion pour définir la notion d’»images de la guerre« (Kriegsbilder), un rappel de l’évolution de ces images de la fondation de l’Empire des Hohenzollern à la fin du Troisième Reich, puis l’étude proprement dite, soit 300 pages sur près de 500, sur l’évolution durant les quatre décennies d’existence de la République Fédérale d’Allemagne jusqu’à l’unification de 1990.
L’auteur, durant 13 ans membre de la Bundeswehr, dont il a fréquenté l’université après son baccalauréat, avait commencé en 2003 par un mémoire de master sur le souvenir de la bataille de Verdun. Ici, il ne s’agit pas de »souvenir«, mais de la »guerre dans les têtes«, comme »horizon d’attente« durant les années de la guerre froide. L’ouvrage se fonde sur une connaissance approfondie des sources écrites et aussi sur des interviews avec les acteurs encore vivants, notamment les »inspecteurs généraux« de la Bundeswehr: il s’agit bien des »images de la guerre« dans l’armée de la RFA – non pas dans ses gouvernements – mais la dépendance structurelle de la première par rapport aux seconds apparaît bien.
La notion large de »Kriegsbild«, propre à l’allemand (RFA et RDA) est jugée scientifique et distinguée de celle de »Militärdoktrin«, notion limitée aux opérations militaires, qui existe pourtant dans les autres langues. L’historique est édifiant et effrayant, qu’il s’agisse des guerres préventives réclamées (en vain) après 1871 par Helmuth von Moltke contre le danger de la guerre sur deux fronts ou de la guerre »à outrance« et de la stratégie offensive de ses successeurs (et peu soucieuse du droit international), image conservée et intensifiée par les militaires de la république de Weimar et du Troisième Reich, avec une efficacité continentale certaine (mais limitée, comme nous le savons) et une certaine impuissance aérienne (que l’auteur impute – est-ce vraiment la raison principale? – au décès accidentel de Walther Wever en 1936).
On comprend ici peut-être mieux l’absence d’une résistance populaire à l’invasion et à l’occupation en 1945 (à l’inverse de celle de nombreux pays occupés par l’Allemagne de 1870 à 1945), l’acharnement meurtrier et suicidaire des combattants allemands de l’armée et de la SS (et leur foi en l’Endsieg) relevant en grande partie d’une discipline militaire traditionnelle. Dès les années qui suivent la »catastrophe allemande« d’anciens hauts dignitaires de la Wehrmacht, par exemple le général Hans Speidel, conseiller militaire du chancelier Konrad Adenauer, prêtent à l’URSS l’intention d’engager une guerre préventive, qui ne fut pas engagée, malgré un rapport de forces favorable, mais qui justifia le réarmement de la RFA, dont le territoire et la population étaient en quelque sorte condamnés par la conception nord-américaine d’une guerre nucléaire aérienne. Il faut noter ici l’importance de la pensée de Wolf von Baudissin, qui, face au péril nucléaire, plaide pour une image plus différenciée et graduelle de la guerre et surtout pour une compétition pacifique des systèmes politiques.
L’idée d’une »guerre limitée« (et d’une réponse flexible) fait son chemin dans les années 1960 et, à l’époque de l’Ostpolitik et de la détente, celle d’un retour à la guerre conventionnelle, la dissuasion rendant une guerre nucléaire improbable. En conclusion, l’auteur forme le vœu d’une étude de l’histoire des idées relative à la guerre au sens large (politique, mental, technique, etc.) du terme dans les différentes alliances et nations. Une étude très bien documentée, centrée sur la pensée militaire allemande, ce qui implique, de la part du lecteur, une bonne connaissance de l’histoire politique de la RFA qui est mentionnée, en passant, sans être vraiment rappelée.
Cette pensée militaire est marquée, l’auteur y insiste, par le service d’un État, autoritaire et belliciste (1871–1918 et 1933–1945). Elle n’était guère préparée à servir une république de Weimar qui n’a pas eu le temps et encore moins la possibilité, voire la volonté de »démocratiser« l’armée. En plus de quarante ans, la pensée militaire ouest-allemande, sous tutelle nord-américaine, a pu progressivement rompre avec ce passé. Définitivement? Les enjeux actuels, en particulier la nécessité d’une »européanisation« de la défense, compte tenu de l’attitude nord-américaine, et d’un effort et d’un engagement international militaires plus importants de la part de la RFA posent des problèmes nouveaux et qui n’ont plus rien à voir avec les »images de la guerre« des temps passés. Les hommes politiques et les élites militaires y sont-ils préparés? L’opinion publique en RFA? C’est un autre sujet.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
François Genton, Rezension von/compte rendu de: Florian Reichenberger, Der gedachte Krieg. Vom Wandel der Kriegsbilder in der Bundeswehr, Berlin, Boston (De Gruyter Oldenbourg) 2018, XII–498 S., zahlr. farb. Abb., Kt. (Sicherheitspolitik und Streitkräfte der Bundesrepublik Deutschland, 13), ISBN 978-3-11-046260-9, EUR 49,95., in: Francia-Recensio 2019/3, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66604