Ce huitième volume bilingue (en russe et en allemand) des publications de la Commission commune pour l’étude de l’histoire contemporaine des relations germano-russes (Mitteilungen der Gemeinsamen Kommission für die Erforschung der jüngeren Geschichte der deutsch-russischen Beziehungen) réunit dans une première partie dix contributions issues du colloque international »Empires, nations, régions: conceptions impériales en Russie et en Allemagne au début du XXe siècle«, qui a eu lieu à l’Académie des sciences de Moscou, en Russie, en 2015, ainsi que le résumé de la discussion conclusive. La seconde partie de l’ouvrage est consacrée au 20e anniversaire de la création de la Commission, fondée en 1997 à l’initiative du chancelier fédéral Helmut Kohl et du président russe Boris Eltsine, à travers deux entretiens avec ses deux présidents fondateurs, le professeur Horst Möller et le professeur Alexandre Tschubarjan ainsi que deux articles de chacun des secrétaires, Eberhard Kurt et Viktor Ischenko, relatant leur expérience au sein de la Commission. L’article de l’historien américain Daqing Yan, enfin, clôt le volume en examinant le développement des activités de la Commission et de sa collaboration avec d’autres commissions internationales d’historiens dans une perspective comparatiste, en proposant une synthèse indispensable des enjeux à l’œuvre et un panorama des commissions existantes, actuellement en activité ou l’ayant terminée.
Dans la première partie du volume, qui rassemble les contributions issues du colloque »Empires, nations, régions: conceptions impériales en Russie et en Allemagne au début du XXe siècle« (2015), les auteurs portent leur attention sur les conditions et les conceptions ayant mené à la Première Guerre mondiale ainsi que sur les circonstances générales de ce conflit, dans un sens très large: les articles abordent non seulement les relations germano-russes, mais aussi les enjeux en Europe centrale, en Asie centrale et orientale, sans oublier la question des minorités nationales. Conformément à une approche interdisciplinaire du thème du colloque, les contributions sont le fruit de différentes approches méthodologiques relevant de l’histoire, mais aussi de la sociologie et de la linguistique historique.
Les deux premières contributions proposent une approche théorique et apportent un cadre méthodologique. Dans son article portant sur »Les concepts d’›empire-nation‹ et de ›centre-périphérie‹ dans les Imperial Studies«, Velichan Mirzechanov montre que dans l’étude du langage de l’impérialisme, il est essentiel de prendre conscience de l’influence réciproque des discours nationaux et impériaux à l’ère de l’existence parallèle d’empires (austro-hongrois, ottoman, empire de Russie) et d’États-nations, lesquels se constituent à leur tour des empires coloniaux (français et britannique). Il s’agit de réexaminer les catégories historiques d’empire et d’État national, mais aussi d’analyser les relations complexes qu’entretiennent centre et périphérie, métropole et colonies. Passant en revue différents apports théoriques sur les implications des élites (locales et colonisatrices) dans la constitution des empires, Mirzechanov considère la spécificité russe, qui était de privilégier l’administration indirecte et l’implication des élites locales, comme une explication à la plus longue résistance de l’empire russe aux nationalismes et à leurs forces centrifuges.
Benedikt Stuchtey livre quant à lui un article de fond (30 pages), enrichi d’un fort appareil de notes, sur »Les réajustements des théories de l’impérialisme, thèmes et tendances de la recherche internationale récente«. Remarquant que l’intérêt actuel pour les études historiques sur l’impérialisme est dû à la pertinence du paradigme impérial à l’époque de la mondialisation, il plaide pour une réinterprétation de cette dernière à la lumière de la diversité des histoires »locales« qui décentrent le discours sur les moteurs de l’expansion.
L’historiographie contemporaine (New Imperial History) doit relier l’étude de l’histoire coloniale du XIXe siècle non seulement à la modernité, mais aussi aux premiers empires ibériques modernes, créés à partir du XVIe siècle, ainsi qu’à celui des Pays-Bas. Ainsi, entre le XVIe et le XXe siècle, les empires coloniaux doivent être envisagés en tant que cadre pour l’étude de l’histoire européenne et non-européenne, en tant que système interconnecté de nombreuses »métropoles« et »périphéries« qui, au sein du système hiérarchique de domination, ont créé les bases pour les relations dans le monde moderne.
Après avoir passé en revue les plus récents développements des études sur l’impérialisme et les empires, notamment les apports des études culturelles et des subaltern studies, l’auteur propose enfin des perspectives de recherches futures, autour desquelles l’étude des empires pourraient se structurer avec profit: l’étude des continuités (après s’être longtemps appuyé sur la césure de 1945 enclenchant le processus de décolonisation), la question de la violence coloniale (dans ses dimensions de continuité, cette fois avec les structures autoritaires réimportées en métropole ou diffusées vers d’autres empires), la question des histoires multiples, afin de rendre justice à la multiplicité des perspectives sur l’histoire impériale dans son articulation avec les histoires nationales, la question de l’espace permettant, dernière piste de recherche proposée, d’intégrer des interrogations récentes sur les traces coloniales dans l’espace de nos villes européennes, de réinterpréter les phénomènes migratoires, d’inclure et de comprendre l’articulation du global et du local (dans des phénomènes essentiels tels que l’esclavage et ses répercussions sur l’économie mondiale).
Les huit articles suivants sont consacrés à des questions spécifiques de relations bilatérales ou trilatérales au tournant du siècle (Stephan Lehnstaedt: »Der dreigeteilte Zankapfel. Deutschland und Österreich-Ungarn in Polen, 1900–1917«; Aleksandr Kadyrbaev: »Die russisch-deutschen Beziehungen in China und im Pazifik an der Wende zum 20. Jahrhundert«); aux coopérations et confrontations, y compris économiques (Günther Kronenbitter: »Grenzen des Machbaren – Russland aus der Perspektive der sicherheitspolitischen Eliten der Habsburgermonarchie am Vorabend des Ersten Weltkrieges«; Boris Kotov: »Wirtschaftliche Zusammenarbeit und Rivalität im Zeitalter des Imperialismus. Deutsch-russische Handelsbeziehungen auf dem Getreidesektor an der Wende zum 20. Jahrhundert«); au devenir de l’idée d’empire après la révolution bolchévique (Nikolaus Katzer: »Reich ohne Zaren. Imperiale Vorstellungen im russischen Antibolschewismus«; Michail Kovalev: »Die imperiale Idee in der intellektuellen Kultur der russischen Emigration«); enfin, à la minorité tzigane en Russie (Tanja Penter: »Das Wissen über die ›Zigeuner‹ (cygane) im Zarenreich«).
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Catherine Teissier, Yulia Yurchenko, Rezension von/compte rendu de: Andreas Wirsching, Aleksandr Čubar’jan (Hg.), Imperien, Nationen, Regionen/Imperii, nacii, regiony. Imperiale Konzeptionen in Deutschland und Russland zu Beginn des 20. Jahrhunderts, Berlin, Boston, MA (De Gruyter) 2018, VIII–167; VIII–176 S., 1 Tab., zahlr. Abb. (Mitteilungen der Gemeinsamen Kommission für die Erforschung der jüngeren Geschichte der deutsch-russischen Beziehungen 8), ISBN 978-3-11-055945-3, EUR 59,95., in: Francia-Recensio 2019/3, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.3.66606