De l’abbaye d’Abondance, en Savoie, qui fut à la tête d’une petite congrégation de monastères de chanoines réguliers, il reste quelques beaux bâtiments, notamment une église et un cloître orné de superbes fresques du XV^e siècle. Les archives, en revanche, ont très largement disparu. C’est donc au prix d’un vrai travail d’investigation qu’Arnaud Delerce a réussi à reconstituer, autant que faire se pouvait, le chartrier disparu. Sa principale source a été les »réductions de bénéfices«, documents rédigés par des serviteurs du duc de Savoie (sénateurs ou conseillers de la Chambre des comptes) venus dresser l’inventaire de l’abbaye à la mort d’un abbé commendataire.

Trois de ces réductions ont été conservées, datées de 1640, 1687 et 1710. Si on y ajoute un inventaire rédigé vers 1617–1621, on dispose d'une documentation certes très incomplète (tous ces documents donnent des mentions, des analyses, mais pas des transcriptions), mais c’est malheureusement souvent la seule source disponible. Une source qui de surcroît nous renseigne sur la conservation des actes: on sait ainsi que les archives d’Abondance, qui contenaient 877 actes en 1617/1621, n’en comptaient plus que 697 moins d’un siècle plus tard. Quitte à étendre un peu l’enquête, à chercher aussi des actes qui devraient se trouver dans le chartrier mais n’y sont plus, voire (notamment dans les chartriers des abbayes de la congrégation) des actes qui éclairent l’histoire d’Abondance, A. Delerce a réuni un recueil de 246 actes, dont 51 sont édités in extenso, et cela jusqu’à la fin du XIII^e siècle.

Cet ensemble permet de mieux connaître l’histoire de cette abbaye fondée au début du XII^e siècle, et en particulier de ses relations avec les abbayes de sa congrégation, Sixt ou Entremont par exemple. C’est aussi, évidemment, le temporel de l’abbaye, majoritairement situé entre l’abbaye et le lac Léman, mais avec des biens jusqu’en Jura, que l’on peut mieux connaître grâce à ces actes.

Un dossier passionnant est celui de la cession de l’ancienne abbaye de Grandvaux par Abondance à Saint-Oyend en 1244. Car cette transaction a suscité l’écriture de nombreux actes cette année-là: une charte donnée en commun par les deux abbés, une de l’archevêque de Besançon (ordinaire du lieu), une du seigneur local, dont les ancêtres avaient doté Grandvaux, une du seul abbé d’Abondance, sans compter deux lettres adressées par l’abbé d’Abondance au comte de Vienne, qui exerçait l’avouerie sur Grandvaux, pour lui demander d’approuver l’accord, préciser qu’il n’avait aucun reproche à lui faire, et lui demander de donner à l’abbé de Saint-Oyend les chartes de l’abbaye de Grandvaux: cas rare, ou rarement mentionné, de conservation des archives d’un monastère (il est vrai en pleine déliquescence) par un laïc, son avoué. La transaction entre Saint-Oyend et Abondance suscita plusieurs contestations, réglées en 1245 par un chapelain pontifical et auditeur de la curie, en 1250 et 1253 par le cardinal de Sainte-Sabine.

L’édition est globalement de bonne qualité. On déplore quelques contresens dans les analyses. Pour les actes n^o 1 et 2, l’épaule droite des gibiers abattus, n’est pas conservée par Guy de Féternes ou par les chanoines de Saint-Maurice d’Agaune, mais concédée aux chanoines d’Abondance. Par l’acte n^o 3 Girod de Neuvecelle ne reçoit pas 30 sous, il les donne au contraire à l’abbaye. Ces erreurs sont cependant très rares. La ponctuation, en revanche, est un peu trop erratique.

Cela n’empêche pas ce volume de venir très utilement fournir un bel ensemble de documents, et on remerciera Arnaud Delerce d’avoir réussi à reconstituer et mettre en valeur ce chartrier peu connu.