Jean de Wavrin est une figure connue des historiens des États bourguignons et de l’Angleterre au XVe siècle, ainsi que des historiens de la littérature et des historiens de l’art à cause de l’enlumineur (plutôt dessinateur) – génial –, qui a illustré des manuscrits qu’il a possédés. À son sujet les historiens disposaient de deux articles d’Antoinette Naber parus en 1987 et 19901 et il a connu un regain d’intérêt à partir de la fin des années 1990. Pour faire le point sur les avancées de la recherche à son sujet, Jean Devaux et Matthieu Marchal ont réuni, en 2013, 19 spécialistes. Le résultat des travaux est présenté en trois parties d’inégale importance: »Jean de Wavrin et les Anchiennes cronicques d’Engleterre« (7 contributions), »L’atelier Wavrin et l’art de la mise en prose« (9 contributions) et »L’esthétique du Maître de Wavrin ou le roman par l’image« (3 contributions).

Dans leur introduction substantielle, J. Devaux et M. Marchal rappellent la vie de Jean, bâtard de Wavrin (v. 1400–1474), fils de Robert VII de Wavrin et de Michelle de La Croix, une femme mariée, au service des Anglais et des Bourguignons, légitimé par Philippe le Bon en 1437 – ce qui lui permet de devenir chevalier – (et par Charles VII en 1447), marié à une riche veuve de Lille, Marguerite Hangouart, seigneur du Forestel (près de Hesdin) et mort vers 1474.

À la suite de son établissement, le grand projet de sa vie fut la rédaction des »Anchiennes cronicques d’Engleterre«, à l’instigation de son neveu et dédicataire de l’œuvre, Waleran de Wavrin (dont il a inclus le récit de sa campagne sur le Danube en 14452). D’autre part, ainsi que le rappellent J. Devaux et M. Marchal, Jean de Wavrin a commandé (et non pas commandité3) l’exécution ou la reproduction de manuscrits par des ateliers lillois, créant ainsi un foyer littéraire et artistique à Lille. La fin de la vie de Jean de Wavrin, de 1463 à 1474, est l’objet de la contribution de Livia Visser-Fuchs, période bien occupée par la participation à une ambassade en Italie en 1463, une autre en Angleterre en 1467, il était présent lors de la visite de Warwick en 1469, il était toujours actif jusque vers 1473.

Les »Anchiennes cronicques d’Engleterre« sont l’objet de plusieurs approches. Loïc Colella-Denis et Alexandre Grosjean s’intéressent à des prédécesseurs de Jean de Wavrin, qui auraient pu être des sources, tels Jacques du Clercq pour le premier et Jean Lefèvre de Saint-Rémy, Toison d’or, pour le second. Gilles Roques se penche sur la langue et recherche les régionalismes, qui sont des picardismes d’aire assez large, mais aussi des termes et des expressions d’une aire plus restreinte, autour de Lille, certains déjà employés par Froissart. Partant de l’étude de la représentation des trois ordres, Jonathan Dumont suggère que Jean de Wavrin participait de l’idéologie de la »chose publique« à la cour de Bourgogne. Alain Marchandisse montre que Jean de Wavrin met en exergue trois figures féminines, celles de Jeanne d’Arc, de Jacqueline de Bavière, de Marguerite d’Anjou, qu’il voit somme toute sous un aspect négatif (sauf peut-être Jeanne d’Arc). Jean Devaux s’attache aux passions politiques, aux sentiments et réactions des acteurs de l’histoire récente de l’Angleterre et conclut que l’écriture du sentiment est à rapprocher de la production romanesque de la cour, qui traduisent toutes les deux »l’âpre saveur de la vie«, pour reprendre l’expression de Johan Huizinga.

Dans la production de l’»atelier« de Jean de Wavrin, Annie Combes se pose la question d’une méthode dans le passage du vers à la prose (transposition libre, fidèle, ou contrainte), tandis que Danielle Quéruel recherche ce qui est dit de l’Angleterre (la chevalerie, l’oubli de l’histoire contemporaine, la conquête de l’Angleterre dans le roman de »Saladin«), et Anna Maria Babbi ce qui est dit de la guerre (tournois, combats singuliers, batailles, mort).

Les autres auteurs s’attachent à une ou deux œuvres: »Florimont« pour Marie-Madeleine Castellani (entre merveille et histoire: la Méditerranée) et Catherine Gaullier-Bougassas (entre histoire et fiction); le »Livre du comte d’Artois et de sa femme« pour Maria Colombo Timelli (étude des trois manuscrits); »Gilles de Chin« pour Élisabeth Gaucher-Rémond (un nouveau »chevalier au lion«?); »Blancandin et l’Orgueilleuse d’amour« pour Matthieu Marchal (existence d’un manuscrit perdu).

En ce qui concerne le Maître de Wavrin, Rosalind Brown-Grant propose qu’il y a eu une interprétation juridique de l’»Histoire de Gerard de Nevers« en rapport avec l’honneur féminin. Sandrine Hériché-Pradeau étudie les liens entre l’image (l’instant saisi sur le vif), le récit et la narration dans le »Roman de Florimont«, et Maud Pérez-Simon veut prouver que les images elles-mêmes sont narratrices, à partir du roman d’»Othovyen«.

Le recueil proposé par Jean Devaux et Matthieu Marchal fait le point sur Jean de Wavrin et son atelier, et est aussi une ouverture à de nouvelles recherches. Il est d’autant plus indispensable qu’il est muni d’une bibliographie à jour et d’un index.

1 Antoine Naber, Jean de Wavrin, un bibliophile du quinzième siècle, dans: Revue du Nord 67 (1987), p. 281–293; et Les manuscrits d’un bibliophile bourguignon du XVe siècle, Jean de Wavrin, ibid. 72 (1990), p. 23–48.
2 Cf. Jehan (sic) de Wavrin, La Croisade sur le Danube, éd. Joana Barreto, Toulouse 2019, dont la recension va bientôt être proposée dans »Francia-Recensio«.
3 »Commanditer«, »commanditaire« sont des termes en lien avec les sociétés en »commandite«, qui n’ont aucun rapport avec la commande de manuscrits ou d’œuvres d’art.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Jean Devaux, Matthieu Marchal (dir.), L’art du récit à la cour de Bourgogne. L’activité de Jean de Wavrin et de son atelier. Actes du colloque international organisé les 24 et 25 octobre 2013, Paris (Honoré Champion) 2018, 402 p. (Bibliothèque du XVe siècle, 84), ISBN 978-2-7453-4880-7, EUR 50,00., in: Francia-Recensio 2019/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68303