Les professeurs Yves Sassier et Wojciech Falkowski ont consacré un ouvrage collectif à la notion de »fides« au Moyen Âge (VIe–XVe siècle). Ce mot, comme chacun le sait, est polysémique. Le latin, classique comme médiéval, lui donne la signification de confiance, sincérité, promesse faite, bonne foi, respect dû à la parole donnée, protection … Au sens religieux, la notion de fides recouvre ce qui a été dit ou fait, entre deux personnes, de même qu’entre Dieu et l’être humain. La relation de fides qui lie les hommes doit donc être calquée sur la fides liant le croyant à Dieu, en constituant par là un prolongement. Au sens non religieux, la notion de fides recouvre l’exigence de perfection éthique. Par là, elle est omniprésente dans les relations humaines et fait partie des ressorts de la vie médiévale.

L’objectif de cet ouvrage, tiré de deux journées d’étude qui se sont tenues en 2011 et 2012 à l’Institut catholique d’études supérieures de La Roche-sur-Yon, en est de mettre en exergue les domaines de la vie sociale et politique médiévale où la fides fonde les relations interpersonnelles.

Dix-neuf contributions, empreintes de multidisciplinarité et rédigées en français comme en anglais, sont venues nourrir l’étude collective.

Hervé Oudart, tout d’abord, s’est intéressé au serment des cités des Gaules au roi mérovingien au VIe siècle. L’auteur s’interroge sur le fondement par lequel les descendants de Clovis fondent leur domination sur leur regnum et démontre que le serment fait par les cités au roi implique certes leur soumission, mais crée également pour le roi une obligation morale de protection. Le serment, en tant qu’outil garantissant la foi et la loyauté est une institution essentielle à la vie politique, militaire et administrative, dans la continuité des pratiques impériales romaines. Osamu Kano livre ensuite quelques réflexions sur les formes de la fides facta.

L’auteur démontre, à l’appui des textes juridiques (lois barbares, capitulaires, etc.) que les justiciables »font foi« (fidem facere) quand ils promettent de s’acquitter d’un impôt, de comparaître en justice, etc. La fides remplit, en effet, un rôle essentiel dans les procédures de régulation des conflits. Jean-Michel Picard s’intéresse ensuite à la fides et au foedus en Irlande au premier Moyen Âge, au prisme du texte de Giraud de Bari, »Topographie«, rédigé au XIIe siècle. L’exemple permet de comprendre la notion de fides dans toute sa complexité et ses ressorts du point de vue des mentalités médiévales. Dans une même logique, Paolo Cammarosano puise dans les »Annales des Francs« une mise en œuvre de la fides, celle de Tassilon de Bavière.

Janet Nelson livre ensuite une réflexion sur la confiance et l’absence de confiance à l’époque carolingienne. Olivier Guillot, s’intéressant de très près à l’épisode du Rotfelth (fin juin 833) étudie la fides prêtée par les grands laïcs à l’empereur Louis Le Pieux et donne de fines observations sur l’équilibre du pouvoir. Pascal Gourgues offre ensuite une étude de la fides au prisme du concept de »res publica«. Il montre entre autres les difficultés nées de la multiplication des liens de fidélité à tous les niveaux de l’organisation politique. Wendy Davies donne ensuite un exemple ibérique de l’appropriation par le pouvoir royal de la notion de fides à l’orée du Xe siècle, tandis qu’Yves Sassier mène une étude sur la fidélité telle que l’entendent Abbon de Fleury, Fulbert et Yves de Chartres. Caspar Elhers emmène ensuite son lecteur en terre saxonne pour relire la notion de fidélité au XIe siècle.

Dans une autre approche, Wojciech Falkowski livre une étude des réactions sociales dans le cadre des serments de fidélité, au prisme notamment des cérémonies publiques. Guillaume Bernard prolonge cette étude du Moyen Âge tardif en donnant une analyse des liens entre fides et royauté chez Vincent de Beauvais, moraliste du XIIIe siècle. Puis, Martin Aurell porte un regard original et accompagné de belles annexes sur la foi et la perfidie au cours de la croisière albigeoise telles que les troubadours les restituent. Gilduin Davy transporte ensuite le lecteur au sein même d’une saga nordique où l’on peut appréhender la notion de foi dans l’Islande des XIIe et XIIIe siècles. S’intéressant ensuite aux statuts des universitaires, Jacques Verger livre ici une étude très complète du serment (juramentum) et de l’engagement de fidélité (fides) qui les composent.

Thierry Dutour donne ensuite une étude du serment au sein de l’organisation de la vie publique en Espagne au Moyen Âge tardif et démontre que le serment y est une pratique quotidienne. Au prisme des relations anglo-écossaises, Frédérique Lachaud aborde la fidélité et l’allégeance en période de conflit (opposant le duc d’Aquitaine, le roi d’Angleterre et le roi de France). Mary Somers, s’intéressant de près à la polysémie du mot fides, décortique avec une grande précision et de solides exemples l’approche qu’en a eue Thomas d’Aquin. Enfin, Olivier Hanne s’intéresse à la notion de fides des sarrasins dans les deux traductions latines médiévales du Coran.

L’ouvrage est riche et varié et offrira une vue d’ensemble particulièrement stimulante sur la fides, sur la variété de ses acceptions et ses multiples mises en œuvre, en Occident comme ailleurs.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laura Viaut, Rezension von/compte rendu de: Wojciech Falkowski, Yves Sassier (dir.), Confiance, bonne foi, fidélité. La notion de »fides« dans la vie des sociétés médiévales (VIe–XVe siècles), Paris (Classiques Garnier) 2018, 389 p. (Rencontres, 364. Histoire, 4), ISBN 978-2-406-07901-9, EUR 78,00., in: Francia-Recensio 2019/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68306