Les recherches sur les artes dictaminis médiévaux, déjà anciennes puisque la première grande synthèse, celle de Rockinger, date déjà de 1863–1864, se sont intensifiées et diversifiées depuis quelques décennies. Même si bien des choses sont encore à faire, y compris en ce qui concerne les éditions critiques, une synthèse sur le sujet devenait indispensable. Florian Hartmann et Benoît Grévin ont réuni une large équipe et publient aujourd’hui une vraie summa, d’une très grande qualité. L’ampleur géographique et chronologique de la recherche, bien illustrée par la richesse de la liste des manuscrits (et des éditions incunables et postincunables), par la liste des auteurs cités, par la bibliographie, est impressionnante.

Le cœur de leur gros volume est constitué par une présentation des différents auteurs et textes, dans un ordre chronologique, mais lié aussi à des régions de contours et taille variables. On commence par le commencement, avec Albéric du Mont-Cassin, puis les villes de l’Italie septentrionale au XIIe siècle, ensuite la France à la même époque. Ce vaste tour d’horizon nous mène ainsi aux XVe–XVIe siècles, en passant par l’Angleterre, l’Italie méridionale, l’Europe médiane, la péninsule Ibérique …

Mais si riche que soit ce chapitre, il n’est qu’un élément d’un ensemble beaucoup plus ambitieux. Car l’étude des artes dictaminis pose un certain nombre de problèmes qui sont très bien présentés dans l’introduction. À commencer par la question de la définition. Si on sait qu’un ars dictaminis est un manuel pour apprendre la bonne rédaction, il y a controverse entre une définition restrictive, qui limite son champ d’application aux genres épistolaire et diplomatique, et une définition plus large, qui inclut l’ensemble des textes, y compris donc rhétorique et poésie.

Dès le Moyen Âge d’ailleurs certains auteurs d’artes dictaminis incluent dans leur ouvrage la rédaction poétique, d’autres pas. Sagement, Florian Hartmann et Benoît Grévin estiment que précisément, la manière dont les auteurs – et utilisateurs – d’artes dictaminis ont compris le périmètre de leur discipline était un objet d’étude intéressant en soi. Cette thématique, la question du rapport entre théorie et pratique, l’étude des artes sous l’angle de l’histoire de la communication, sont au cœur des recherches actuelles. Ainsi d’ailleurs, mais c’est une démarche plus traditionnelle, que l’étude des liens entre les différents artes dictaminis, de l’influence de chacun d’eux.

Une autre question importante est celle des éditions. La diversité même de ces artes (traités théoriques ou recueils de textes, formulaires élaborés dans un milieu scolaire ou en chancellerie …) interdit de fixer des règles univoques et universelles. Beaucoup de ces textes cependant ont ceci en commun qu’ils ont évolué au fil du temps, un peu comme les textes littéraires vernaculaires.

Le quatrième et dernier chapitre offre, en cinq grandes parties et sous le titre »l’Ars dictaminis entre théorie et pratique«, une synthèse de ce qu’étaient ces textes. Le premier point traité est celui des règles de rédaction des actes et des lettres telles que voulues par les artes. Il s’agit tout d’abord du découpage du texte en parties. Cicéron déjà en parlait, ainsi que la »Rhétorique à Herennius«, mais ni le nombre ni le nom des parties ne concordaient, d’autant que les auteurs médiévaux eux-mêmes n’étaient pas d’accord entre eux.

Le cursus est un thème essentiel de l’étude des lettres, des actes et des artes dictaminis. C’est vers 1180 que l’on trouve les plus anciennes mentions de cursus, et il faut souligner le rôle capital de Bernard de Bologne, ainsi que celui de ses élèves, qui ont acclimaté le cursus à la chancellerie pontificale. Par la suite, le cursus vécut sans doute surtout indépendamment de toute théorie, par la force des modèles. Mais le cursus doit avant tout être compris comme un moyen de donner du rythme à la phrase, de rendre celle-ci parfaitement fluide, dans le cadre de ce que certains appellent l’appositio. Autre élément très important, les colores rhetorici, qui sont cultivées à partir de la redécouverte de la »Rhétorique à Herennius« au XIe siècle, et qu’on trouve chez des auteurs aussi divers qu’Anselme de Besate, Albéric du Mont-Cassin, Marbode de Rennes et Onulfe de Spire. Le problème de l’application pratique des règles théoriques reste entier: car si le cursus supposait une compétence technique que seule une étude approfondie, d’après un manuel ou chez un maître, pouvait permettre, l’application des parties, et dans une moindre mesure des colores, pouvait résulter d'une simple imitation.

Où ces connaissances étaient-elles transmises? C’est le thème du chapitre suivant, qui parcourt à ce sujet toute l’Europe. Les centres d’étude de l’ars dictaminis, ce sont bien sûr les écoles supérieures, notamment épiscopales, ainsi que les universités; mais en Italie méridionale de petites écoles locales ont été importantes dans ce domaine; plus tard, les écoles humanistes; les monastères, ou du moins nombre d’entre eux, ont joué un rôle beaucoup plus important qu’on ne le suspecte parfois, comme le montre l’exemple, au XVe siècle, de l’abbaye de moniales cisterciennes de Wienhausen en Saxe; curieusement, les chancelleries, qui il est vrai n'étaient pas des centres d’étude, ne sont guère mentionnées ici.

Les artes dictaminis n’étaient pas des textes déconnectés des réalités sociétales de leur temps. On ne s’étonnera pas d’y trouver des messages politiques ou des mots amoureux, ou encore un reflet de l’ordre social. Un beau chapitre montre l’accès des femmes à l’usage des artes, ainsi que l’usage genré des formulaires, comme quand un texte explique qu’il ne sied pas à une femme écrivant à un homme de lui offrir service ou obéissance, sauf s’il est bien spécifié que c’est in Christo.

Le dernier chapitre est consacré aux liens entre les artes dictaminis et les autres disciplines. Il s’agit bien sûr des disciplines »littéraires«, comme la grammaire et la dialectique, mais aussi la musique, la poésie, l’éloquence (et donc la prédication), le droit, l’histoire, la culture …

Bref, conclut l’ouvrage, l’ars dictaminis était une discipline élastique, flexible, tenant à la fois de la théorie et de la pratique, au cœur de nombreuses autres disciplines, au centre de nombreux problèmes de société. J’ajouterais qu’elle était aussi à la fois antique par ses sources et renaissante, donc moderne, par son évolution: donc, pleinement médiévale.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Florian Hartmann, Benoît Grévin (Hg.), Ars dictaminis. Handbuch der mittelalterlichen Briefstillehre, Stuttgart (Hiersemann) 2019, 720 S. (Monographien zur Geschichte des Mittelalters, 65), ISBN 978-3-7772-1906-6, EUR 196,00., in: Francia-Recensio 2019/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68309