Sandra Hindman, professeur émérite en histoire de l’art à la Northwestern University (Evanston, Illinois) préside aux destinées de la galerie Les Enluminures (à Paris depuis 1991, à New York depuis 2012) spécialisée dans la vente de manuscrits, miniatures et bijoux du Moyen Âge et de la Renaissance. Le catalogue publié en 2011, célébrant les vingt ans de la galerie en présentant 20 manuscrits vendus et 20 manuscrits à vendre, offre un bon aperçu de leur diversité et de leur qualité1.

À l’occasion de l’exposition de 2014, centrée sur un groupe de manuscrits écrits en langue française entre 1300 et 1550, Sandra Hindman a publié, avec l’aide d’Ariane Bergeron-Foote, le catalogue »Flowering of Medieval French Literature. ›Au parler que m’aprist ma mere‹«2, et organisé à Paris, conjointement avec l’Institut national de l’histoire de l’art, un colloque portant le même titre. Les actes de ce colloque sont publiés sous un titre nouveau, »Au prisme du manuscrit«, que tente de justifier l’introduction de Deborah McGrady: »l’objet-livre [doit être considéré] comme un véritable prisme, capable à la fois d’absorber et de réfracter le savoir aussi bien que de distinguer les nuances de son spectre afin d’en permettre l’étude détaillée et approfondie.«

Deux des communications au colloque n’ont pas été publiées, celle de Géraldine Veysseyre, »Le Pèlerinage de vie humaine mis en recueil: anthologies vernaculaires et bilingues«, et celle d’Ariane Bergeron-Foote, »Toy noble candelabre et lucerne rutilante noumé Boece Avice Manilhe: Catherine d’Amboise (c. 1482–1550), lectrice de Boèce«. Quatre textes nouveaux ont été intégrés au volume: Nicholas Herman, »Le peintre et le rhétoriqueur: symétrie ou dissemblance?« (p. 34–56); Marie-Hélène Tesnière, »Les emprunts de Louis d’Anjou à la Librairie royale (octobre 1380–mai 1381)« (p. 72–106); Olga Karaskova-Hesry, »L’image de la duchesse Marie de Bourgogne (1477–1482) dans les œuvres de Jean Molinet« (p. 180–216); et Maria Colombo Timelli, »Du manuscrit à l’imprimé. Le cas des ›mises en prose‹« (p. 218–239).

La finalité implicite de ce livre étant bien de mettre en valeur les pièces vendues ou à vendre par la galerie, on ne s’étonnera pas que plusieurs des communications développent les études sur un manuscrit particulier déjà décrit dans le catalogue de 2014: Élizabeth L’Estrange, »Les Histoires Chaldéennes d’Anne de Graville« (p. 202–216): ce manuscrit, ancien Phillipps 1273, offert par Pierre de Balsac à son épouse Anne de Graville, contient une adaptation anonyme des »Histoires chaldéennes« d’Annius de Viterbe et se trouve désormais à Abu Dhabi, Louvre Abu Dhabi, LAD 2014.029 (»Au parler que m’aprist ma mere«, no 13, p. 189–201); Delphine Mercuzot, »La Pénitence d’Adam de Colard Mansion. Un texte rare à l’heure de la diffusion en série« (p. 240–268): ce manuscrit exécuté par Colard Mansion pour Louis de la Gruuthuse provient de la collection de Joost R. Ritman (191) et porte désormais la cote 759 de l’Openbare Bibliothek de Bruges (»Au parler que m’aprist ma mere«, no 15, p. 220–231); voir aussi Anne-Marie Legaré, »Au prisme du féminin. Voir autrement la culture du Moyen Âge« (p. 160–178), qui intègre dans sa revue de la »female litteracy« trois manuscrits toujours en vente: un manuscrit du »Livre de Sydrac«, illustré par Jeanne de Montbason entre 1323 et 1350, ancien Phillipps no 8353 et 116 de la collection de Joost R. Ritman (»Au parler que m’aprist ma mere«, no 1, p. 18–27), un des trois manuscrits connus de »La complainte de la dame pasmée contre Fortune« de Catherine d’Amboise (»Au parler que m’aprist ma mere«, no 12, p. 173–185) et la copie unique de la traduction par Charles Bonin de la Lettre LIV de Jérôme adressée à Furia qui a appartenu à Anne de Polignac (»Au parler que m’aprist ma mere«, no 14, p. 203–213).

D’autres communications ont étendu le champ de leur recherche à l’œuvre entière dont le manuscrit en vente à la galerie est un des témoins: Sylvie Lefèvre, »Guillaume Alecis. Une œuvre entre manuscrits et imprimés« (p. 270–287) intègre à la revue des œuvres de Guillaume Alecis le manuscrit unique du »Passe-temps de tout homme et de toute femme«, copié à partir de l' édition imprimée par Antoine Vérard en 1505 (»Au parler que m’aprist ma mere«, no 16, p. 234–249) toujours en vente. On signalera cependant que Thomas Le Gouge, »Voir la Terre. L’Image du monde de Gossuin de Metz« (p. 14–33) n’utilise pas, dans sa belle démonstration (les schémas des manuscrits de l’»Image du Monde« sont des »images« et non des illustrations scientifiques) le manuscrit ancien Phillips no 3655 et 108 de la collection de Joost R. Ritman également passé en vente à la galerie.

Les communications les plus riches sont regroupées dans la section »Bibliothèques, traduction et circulation des textes«. Deux d’entre elles concernent des bibliothèques royales et bénéficient de la connaissance intime et parfaite que les deux auteurs, conservateurs au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, ont des fonds dont ils ont la charge: Marie-Hélène Tesnière, responsable des programmes de recherches sur la librairie de Charles V, donne, dans »Les emprunts de Louis d’Anjou à la Librairie royale (octobre 1380–mai 1381)« (p. 72–106), à partir de l’inventaire du garde de la librairie, la liste des 35 livres empruntés par Louis d’Anjou avant et après son accession au trône de Naples et montre que »c’est l’amour des lettres plus que la cupidité« (p. 101) qui l’ont motivé. Maxence Hermant, commissaire de l’exposition de Blois (2015) sur la bibliothèque de François Ier et directeur de la publication de son remarquable catalogue4, et co-commissaire de l’exposition de Chantilly (2015) pour le catalogue de laquelle il a rédigé les notices de manuscrits5, revient dans »Les traductions manuscrites en français pour François Ier« (p. 138–157) sur les traductions d’auteurs antiques réalisées pour le roi, complétant ainsi les informations (et les illustrations) contenues dans les deux catalogues de 2015. Mathieu Deldicque, qui a soutenu en 2018 un doctorat en histoire de l’art sur »La commande artistique de l’amiral Louis Malet de Graville (vers 1440–1516)«, dresse dans »La passion des livres en héritage. Anne de Graville et sa bibliothèque« (p. 108–138) un portrait d’Anne de Graville à travers ses livres et fournit un premier inventaire provisoire de sa bibliothèque.

Enfin Patricia Stirnemann, »De bouche à oreille. La bibliothèque de l’écrivain« (p. 58–71) présente quatre »histoires [de manuscrits] tissées à partir de bribes de plusieurs enquêtes d’une accumulation d’observations éparses« (p. 70): les deux premières rendent compte de l’accès au »Policraticus« pour Helinand de Froidmont et Jean de Meun. La troisième lui permet de supposer que le célèbre manuscrit de fabliaux (Paris, BnF, fr. 1593) a fait partie de la bibliothèque de Charles d’Orléans. La quatrième pose la question de savoir comment les copies les plus anciennes (Paris, BnF, fr. 12786 et fr. 9345) du »Roman de la Rose« sont parvenues dans la bibliothèque de Pierre Sala.

Le volume soigneusement illustré est heureusement complété par un index des noms de personnes et de lieux, un index des œuvres et un index des manuscrits et incunables.

1 20/20: Les Enluminures 1991–2011. Introduction by Sandra Hindman, Paris, Chicago, New York 2011.
2 Sandra Hindman, Ariane Bergeron-Foote, Flowering of Medieval French Literature. »Au parler que m'aprist ma mere«, New York, Paris 2014. Désormais »Au parler que m’aprist ma mere«.
3 Paul Durrieu, Les manuscrits à peintures de la bibliothèque de sir Thomas Phillipps à Cheltenham, dans: Bibliothèque de l’École des chartes 50 (1889), p. 381–432, part. p. 408.
4 Maxence Hermant (dir.), avec la collaboration de Marie-Pierre Laffitte, Trésors royaux. La bibliothèque de François Ier, Rennes 2015.
5 Olivier Bosc, Maxence Hermant (dir.), Le siècle de François Ier. Du roi guerrier au roi mécène, Paris 2015.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Françoise Vielliard, Rezension von/compte rendu de: Sandra Hindman, Elliot Adam (dir.), Au prisme du manuscrit. Regards sur la littérature française du Moyen Âge (1300–1550), Turnhout (Brepols) 2019, 301 p., 3 ill. en n/b, 112 ill. en coul., 5 tabl. en n/b (Palaeography, Manuscript Studies & Book History), ISBN 978-2-503-56635-1, EUR 125,00., in: Francia-Recensio 2019/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68310