Consacrée aux suppliques de »femmes en détresse« à l’empereur Maximilien Ier (1493–1519), l’édition de Nadja Krajicek présente des sources issues du fonds des »Maximiliana« du Tiroler Landesarchiv (archives du land du Tyrol) à Innsbruck. Composé de plus de 900 suppliques réparties dans 41 cartons, il s’agit d’un dépôt de caractère mixte encore peu connu (p. 49). Pourtant, ce matériel représente seulement une partie des suppliques adressées à ce roi/empereur. Le fonds des »Maximiliana« de l’Österreichisches Haus-, Hof- und Staatsarchiv renferme des sources supplémentaires. L’édition de Nadja Krajicek fut établie en relation étroite avec un projet sur le système de suppliques à la cour du souverain du Saint-Empire romain germanique (1440–1493) dirigé par Christian Lackner à l’Institut für Österreichische Geschichtsforschung.

Le corpus de textes fut composé sous l’aspect de l’étude de témoignages autobiographiques (Selbstzeugnisse). Il comprend 55 suppliques de 51 femmes qui poursuivent des requêtes pour elles-mêmes ou leurs parents proches (époux, enfants, frères et sœurs) (p. 49). Quatre femmes rédigèrent plusieurs suppliques. Du point de vue géographique, la plupart des textes provient du Tyrol, des pays antérieurs habsbourgeois (habsburgische Vorlande) et de villes situées au sud et à l’ouest de l’Empire dont Nördlingen, Ulm, Augsbourg, Speyer, Worms, Donauwörth, lieux de la région de Strasbourg et de Fribourg-en-Brisgau, Überlingen et Tübingen.

Dans les parties analytiques du livre, l’auteure recourt à des questionnements développés par les études de documents autobiographiques, les egodocuments, et celles sur le genre. Le volume est réparti en neuf chapitres. L’introduction est suivie par une présentation du genre de la supplique (terminologie, évolution du système des suppliques dans le Saint Empire avec une forte croissance à partir du XVe siècle, formes de suppliques, définition du genre et de ses limites, relations avec des genres apparentés, question des auteurs/de l’authenticité, approches méthodiques et critères d’analyse).

Employée par les textes germanophones dès le XVe siècle, la notion de »Supplikation« se propagea par la chancellerie royale/impériale et celles des princes. Elle se retrouve également à plusieurs reprises dans les textes regroupés dans cette édition. Cependant, très utilisé à la Curie romaine, le genre même de la supplique est beaucoup plus ancien. Les autres parties du livre sont dédiées aux aspects suivants: la forme et les caractéristiques intérieures de la supplique, les critères de l’analyse retenus par l’auteure (structures administratives sous Maximilien Ier, rôles sociaux des femmes au seuil de l’époque moderne, rôle de la femme dans les suppliques); description du fonds des »Maximiliana« du Tiroler Landesarchiv; voies et chances d’accès des sujets à la personne de l’empereur; traitement des suppliques par la chancellerie, le Regiment d’Innsbruck et autres institutions; contenu des suppliques. Ces dernières sont publiées selon l’ordre alphabétique des prénoms de leurs rédactrices. À cet égard, on ne peut que saluer le travail accompli par l’éditrice pour identifier dans la mesure du possible ces femmes, leur entourage, le contexte des suppliques et leur destin final.

Immédiatement avant et après la partie consacrée à l’édition des sources, il y a deux résumés. Cependant, dans ses conclusions, l’auteure tire, à juste titre, un bilan quelque peu critique sur l’apport de ses sources pour l’angle d’approche retenue, l’analyse des documents autobiographiques: »À condition qu’on ne s’attende pas à trouver un curriculum vitae complet ou des informations très détaillées sur la situation personnelle de l’auteur d’une supplique, celle-ci peut servir de source pour les questionnements autobiographiques« (p. 163)1. De fait, vues sous l’aspect autobiographique, les suppliques éditées n’offrent souvent que des aperçus momentanés. Les renseignements qu’elles donnent concernent surtout l’état civil de la femme concernée, mais, dans de nombreux cas, on n’y trouve pas d’autres informations autobiographiques vraiment significatives.

Néanmoins, il s’agit d’un type de sources très important: les suppliantes sont issues de (presque) toutes les couches sociales de la société médiévale. Pour cette raison, leurs requêtes fournissent des informations précieuses – même sur des personnes issues de milieux où l’on ne sait ni lire ni écrire voire sur des marginaux. En général, les suppliques furent mises par écrit par des scribes professionnels tels qu'avocats, notaires, membres du clergé, procurateurs, maîtres d’école, greffiers urbains, prévôts – ou par le personnel des chancelleries et de la cour.

De cette manière, ces textes reflètent également le savoir-faire et les connaissances de ces tiers. Par ce moyen, ils furent adaptés aux usages de chancellerie et aux exigences de forme. Ainsi, ils témoignent des connaissances sur le déroulement de procédures juridiques et renvoient fréquemment à des litiges en cours.

Les origines sociales des auteures sont extrêmement variées: une femme bannie de la ville impériale d’Ulm (probablement condamnée pour proxénétisme, elle avait déjà adressé une supplique à Bianca Maria Sforza, l’épouse de Maximilien), citoyennes de villes impériales, veuves nobles qui essayèrent de récupérer des héritages familiaux, la maîtresse d’une école pour jeunes filles de Hall en Tyrol, femmes engagées dans divers commerces et investissements liés à l’exploitation minière de Schwaz, une juive qui, après une promesse de mariage rompue, essaie de rétablir son honneur et requiert que sa cause soit transférée à un tribunal urbain, une orpheline recueillie par une dame d’honneur portugaise de l’ancienne impératrice Éléonore de Portugal, la veuve du chancelier savant du Tyrol, la mère du célèbre Franz von Sickingen, etc.

Beaucoup de ces femmes se réfèrent aux rôles féminins traditionnels de leur temps: elles soulignent leur faiblesse et s’adressent à Maximilien en tant que protecteur des veuves et des orphelins. Faute d’informations détaillées, une partie considérable des textes ne se prête pas particulièrement à une analyse autobiographique, mais offre des possibilités fort intéressantes pour une approche d’histoire juridique. Il y est question des procès d’appellation, des difficultés ou de l’impossibilité d’obtenir l’exécution des arrêts (par exemple arrêts des Hofgerichte de Rottweil et d’Ensisheim en Alsace), la requête de fournir des commissaires ou d’intervenir pour accélérer des procédures juridiques ou administratives bloquées, etc.

Les textes édités sont très intéressants et se prêtent à des approches multiples, aussi bien du point de vue de l’histoire sociale que de l’histoire juridique ou urbaine. Pour arriver à des résultats représentatifs, pour certains domaines d’études, il faudrait disposer d’un matériel plus étendu et d’un nombre de cas plus important. Ainsi, on ne peut que souscrire entièrement au constat de Christian Lackner, qu’en vue d’une appréciation, contextualisation et interprétation adéquate des suppliques, une transcription et édition intégrale (volltextliche Wiedergabe) est absolument souhaitable (p. 7). Une poursuite de l’entreprise d’édition de ce genre de sources et leur numérisation seront très bienvenues.

1 »Die Supplik kann als Quelle für autobiografische Fragestellungen herangezogen werden, sofern man keine Erwartungen eines vollständigen Lebenslaufes oder umfassenden Einblicks in die Lebenswelten eines Supplikanten, einer Supplikantin an die Quelle heranträgt« (p. 163).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Gisela Naegle, Rezension von/compte rendu de: Nadja Krajicek, Frauen in Notlagen. Suppliken an Maximilian I. als Selbstzeugnisse, Wien (Böhlau) 2018, 198 S. (Quelleneditionen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung, 17), ISBN 978-3-205-20845-7, EUR 39,00., in: Francia-Recensio 2019/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68311