L’apprentissage au Moyen Âge a donné naissance à une quantité phénoménale d’ouvrages abordant tantôt les universités, tantôt la transmission de savoirs au sein des guildes et corps de métier, tantôt les écoles monastiques et bien d’autres. Toutes ces formes d’enseignement relativement bien connues ont pour point commun leur verticalité et leur formalisme. À l’inverse, l’»apprentissage horizontal« – c’est-à-dire la transmission et l’acquisition de savoirs de façon informelle – n’a été que très peu abordé par les chercheurs, notamment par les historiens.
Les éditeurs de ce volume ont donc cherché à défricher ce champ de recherche presque vierge. Or, celui-ci est particulièrement complexe à circonscrire du fait justement de son manque de formalisme. Ce dernier élément explique, par ailleurs, que la base documentaire à disposition des contributeurs de l’ouvrage était particulièrement étique et disparate. Loin de se laisser décourager par ces écueils épistémologique et heuristique, les éditeurs du livre ont choisi d’appréhender leur objet d’étude au travers de deux approches complémentaires.
La première est obvie: elle aborde les transferts de connaissances entre individus. Le second axe d’analyse envisage les communautés médiévales et la façon dont les nouveaux entrants en leur sein en devenaient progressivement des membres à part entière du fait d’un processus d’apprentissage et d’intériorisation des normes, pratiques et discours les régissant. Dans ce contexte, l’»apprentissage horizontal« peut être considéré comme le processus de socialisation au travers duquel les membres d’une communauté construisent ensemble ce qui les unit, par le simple fait d’interagir. Cette double approche procure à l’ouvrage une cohérence réelle dont un survol rapide de la table des matières aurait pu faire douter. Mais il lui apporte aussi un intérêt tout particulier, permettant des niveaux d’appréhension divers et complémentaires.
Désireux d’étudier les interactions entre individus dans le cadre spécifique d’une communauté, les éditeurs de l’ouvrage ont opté pour les communautés monastiques du Moyen Âge central. Deux motifs ont justifié ce choix somme toute cohérent: la – relative – abondance de sources, résultant de l’expansion de l’usage de l’écrit, et la diversité des formes de religiosité qui a attiré l’attention de nombreux chercheurs désireux d’identifier la nature communautaire spécifique de chacune d’elles et les modes de socialisation qui y étaient liés.
Les deux premières contributions de l’ouvrage font en quelques sortes office de longue introduction puisqu’elles posent un cadre conceptuel et théorique particulièrement bienvenu. La première, rédigée par Tjamke Snijders, permet d’expliciter la notion de communauté et le traitement historiographique qui lui a été réservé, tout en proposant une nouvelle approche pour appréhender le phénomène communautaire. Dans la deuxième, Micol Long évoque la manière dont on peut retrouver des traces d’»apprentissage horizontal« dans les sources monastiques avant d’étudier la place de ce processus au sein des abbayes médiévales.
Les textes suivants sont d’une nature différente en ce sens qu’ils abordent des problématiques plus spécifiques. Cédric Giraud analyse la manière dont trois textes spirituels du XIIIe siècle enseignaient aux moines ou chanoines à vivre avec eux-mêmes, avec leurs frères et avec un »ami spirituel«. Jay Diehl, quant à lui, analyse ensuite deux manuscrits traitant du mensonge et démontre que l’attachement à la vérité n’était pas uniquement le résultat d’une bonne pédagogie mais était une forme de pédagogie en soi. Marc Saurette, lui, porte son regard sur certains textes clunisiens mettant en scène les bâtiments claustraux comme instruments d’enseignement et d’inculcation de la discipline monastique. Karl Patrick Kinsella partage cet intérêt pour l’architecture monastique. Au travers de l’analyse de la description d’une église par Honorius Augustodunensis, celui-ci montre comment le XIIe siècle vit le développement d’une pédagogie cherchant à s’ancrer dans le réel pour appréhender des concepts abstraits. La contribution suivante, fruit du travail de C. Stephen Jaeger, est consacrée à un poème didactique qu’Hermann de Reichenau rédigea à l’attention de ses élèves de sexe féminin. Dans la première partie du poème, rédigée sur un ton d’une rare familiarité, ces dernières jouent un rôle particulièrement actif dans leur relation avec Hermann, témoignage précieux d’une forme d’horizontalité, d’autant plus étonnante qu’elle se manifeste dans un contexte genré. La contribution de Babette Hellemans aborde, elle aussi, les problématiques de genre. Celle-ci étudie la correspondance échangée par Héloïse, Abélard, Bernard de Clairvaux et Pierre le Vénérable et décèle dans leur contenu une forme d’horizontalité. Nicolangelo D’Acunto, pour sa part, aborde les relations informelles liant l’»élite monastique« de Saint-Gall. Le processus de socialisation interne au monastère se faisait alors au travers de ces relations interpersonnelles autant que dans l’école monastique. Neslihan Şenocak concentre, quant à elle, son attention sur le monde canonial, soulignant l’importance de la vie en commun pour l’acquisition de nouveaux savoirs et l’intériorisation des normes inhérentes à la vie canoniale. Les conclusions de l’ouvrage sont tirées par Sita Steckel. Celle-ci s’efforce, avec succès, de montrer tout le potentiel du concept d’»apprentissage horizontal« dans la réinterprétation de certains paradigmes liés à l’historiographie du phénomène communautaire et de l’enseignement médiéval.
Ce survol rapide des diverses contributions fait éclater au grand jour l’un des problèmes majeurs de l’ouvrage qu’est la difficulté qu’ont éprouvée ses éditeurs à circonscrire clairement leur objet d’étude. En effet, certains textes abordent in fine des relations interpersonnelles somme toutes »normales«. Il est évident qu’interagir avec quelqu'un sur un pied d’égalité permet l’acquisition et la construction de nouveaux savoirs par les divers protagonistes. La conceptualisation de ce type de relations sous la forme d’un »apprentissage horizontal« peut dès lors paraître quelque peu forcée. Le livre n’en perd pas pour autant son intérêt, loin de là.
Cet ouvrage – très fortement ancrée dans une historiographique »anglo-saxonne« – adopte donc une approche conceptualisante qui peut parfois dérouter et sembler déconnectée des réalités concrètes. Il n’empêche que le concept d’»apprentissage horizontal« est susceptible de jeter un regard neuf sur l’étude de la notion de communauté, si importante pour appréhender non seulement le monachisme médiéval mais aussi la société du Moyen Âge dans son ensemble. Il s’agit donc de partager les espoirs des éditeurs et contributeurs du livre qui ne demandent qu’à voir les historiens se saisir de ce concept pour en éprouver l’intérêt.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jérôme Verdoot, Rezension von/compte rendu de: Micol Long, Tjamke Snijders, Steven Vanderputten (ed.), Horizontal Learning in the High Middle Ages. Peer-to-Peer Knowledge Transfer in Religious Communities, Amsterdam (Amsterdam University Press) 2019, 301 p., 2 b/w ill. (Knowledge Communities, 7), ISBN 978-94-6298-294-9, EUR 99,00., in: Francia-Recensio 2019/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68314