Il y a 25 ans, Daniel Chaubet a donné une vue d’ensemble de l’écriture de l’histoire en Savoie1. Aujourd’hui, Laurent Ripart a rassemblé dix auteurs spécialistes pour en donner les facettes par rapport au pouvoir. Dans son introduction qui est aussi une présentation du contenu du volume, il rappelle que cette historiographie est née quand Amédée VIII a acquis le titre ducal (1416) et qu’il a chargé le Picard Jean, dit Cabaret, d’Orville de rédiger la chronique de sa maison (éditée par D. Chaubet en 2006), mais restée secrète pendant plusieurs décennies, et reprise ou complétée dans la seconde moitié du siècle par Jean Servion ou Perrinet Dupin. Au XVIe siècle, fut créée la charge d’historiographe dont le plus illustre représentant fut Samuel Guichenon (né à Mâcon et non Bourg-en-Bresse en 1607 et mort à Bourg-en-Bresse en 1664) avec sa monumentale »Histoire généalogique de la royale Maison de Savoye« (1660). On distingue une évolution entre la chronique médiévale avec une insistance sur les rituels chevaleresques et l’historiographie moderne plus encline aux aspects cérémoniels. Dans les États de Savoie, écrire l’histoire n’était pas limité à la maison régnante, mais aussi à des milieux ecclésiastiques.

Pour reprendre les contributions dans un ordre plus ou moins chronologique des événements, Laurent Ripart s’intéresse à la »Chronique« latine dite »de Hautecombe« (abbaye cistercienne qui a accueilli les dépouilles mortelles des comtes puis ducs de Savoie à partir du XIIe siècle), datant du XIVe siècle et offrant une généalogie des comtes de Savoie, à ses copies, à son idéologie princière, à ses continuations et en offre une nouvelle édition (S. 129–176). Deux auteurs s’intéressent à Perrinet Dupin, natif de La Rochelle (tous les chemins menaient en Savoie!), cronicarum compositor à la cour de Savoie, mais d’abord auteur du roman »Philippe de Madien« dédié à la duchesse Anne de Chypre (1448), et surtout célèbre pour son questionnaire de 1476 à la duchesse Yolande de France sur le duc Amédée VIII. Il a laissé les chroniques des comtes Amédée III, Humbert III, Thomas Ier (de 1103 à 1233), Amédée VII le Rouge et, sous forme de fragments, Amédée VIII (de 1383 à 1440).

Isabelle Cotteret montre que la »Chronique du Comte Rouge« (de 1383 à 1391), rédigée pour Yolande de France, exalte les relations entre la Savoie et la France et donne un modèle princier pour la maison de Savoie (p. 27–39). Pour Alessandro Barbero, Perrinet Dupin, qui occupe une fonction officielle, se trouve dans un monde parallèle à celui des archives et le but de ces deux mondes est de préserver une mémoire d’État (S. 19-26). Guido Castelnuovo étudie, dans la chronique chevaleresque (1419) de Cabaret d’Orville l’émergence d’un intérêt pour le fait urbain (Chambéry, Turin, Ivrée, Biella, Chieri, Cuneo, et d’autres hors de Savoie), indice que le pouvoir savoyard entendait s’approprier la ville (p. 41-54).

Luisa Clotilde Gentile et Thalia Brero tracent les grands traits des chroniques aux XVe et XVIe siècles. La première montre que les chroniques médiévales sont un catalogue d’exempla chevaleresques de ses ancêtres pour le prince régnant, avec une insistance sur le rituel et les cérémonies, dont l’adoubement (S. 73–86). La seconde parle, pour l’historiographie moderne d’un nouveau genre littéraire, notamment sous le duc Charles II (de 1503 à 1554), en étudiant les stratégies de représentation du pouvoir princier, au moyen des récits de cérémonie – entrées, tournois, baptêmes, funérailles (S. 87–115).

En ce qui concerne les chroniques particulières, Daniela Cereia met au jour une »Chronique de la rébellion de Philippe de Savoie, dit Philippe sans Terre«, en 1462–1464 contre son père Louis Ier (de 1440 à 1465), chronique judiciaire à valeur officielle, même si elle n’est conservée que par une mauvaise copie (S. 177–192). Clémence Critin s’interroge sur la »Chronica latina Sabaudae« (des origines de la dynastie à 1496). Par l’étude des centres d’intérêt de l’auteur, elle suggère d’y voir les »Annales« d’Étienne de Morel, proche de Philippe de Bresse (sans Terre), abbé d’Ambronay en 1482, évêque de Maurienne en 1483, mort en 1497 (p. 117–128).

Laurent Perrillat s’attache à faire revivre la figure de Philibert de Pingon (1525–1582), qui n’est devenu actif qu’à la fin de sa vie, avec des ouvrages (tous en latin) sur l’histoire de la maison de Savoie et aussi sur la religion (dont un sur le Saint Suaire). Il est également l’auteur d’une autobiographie, aussi en latin, de sa naissance à 1567 (p. 55–72). Enfin, Jean-Yves Champeley se penche sur un épisode curieux et mal connu, l’entrée du roi Henri II à Saint-Jean-de-Maurienne en 1548, à partir d’une vie du maréchal de France Jean de Scépeaux de Vielleville (p. 193–207).

Le recueil publié par les soins de Laurent Ripart nous montre la vitalité de l’historiographie savoyarde et qu’il ne faut pas la cantonner dans le champ de l’histoire régionale. Deux regrets cependant: il n’est rien dit des chroniques familiales (on pense immédiatement à celle des Challant), et il manque un index.

1 Daniel Chaubet, L’Historiographie savoyarde, vol. 1: Moyen Âge et Renaissance, Genève, Paris 1994; vol. 2: 1550–1650, Genève, Paris 1995.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Laurent Ripart (dir.), Écrire l’histoire, penser le pouvoir. États de Savoie, XVe–XVIe siècles, Chambéry (Éditions de l’université de Savoie) 2018, 208 p., nombr. ill. et tabl. genéal. (Sociétés, Religions, Politiques, 44), ISBN 978-2-919-732-86-9, EUR 20,00., in: Francia-Recensio 2019/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68318