Ce volume regroupe les actes du colloque organisé le 22 août 2016 à la Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften en l’honneur du quatre-vingtième anniversaire de Rudolf Bentzinger. L’objectif de ces dix contributions est de traiter de problèmes actuels relatifs à l’édition de textes médiévaux en s’appuyant sur certains projets en cours. Ces dix textes sont précédés d’une introduction dans laquelle R. Bentzinger revient sur son expérience au sein de la collection »Deutsche Texte des Mittelalters« qu’il a dirigée pendant deux décennies. Il évoque notamment le recours actuel au principe du manuscrit de base.

La première contribution, rédigée par Jürgen Wolf, est consacrée aux difficultés liées à l’édition de la »Kaiserchronik«, texte sans doute écrit par un clerc de Ratisbonne vers 1150. Cette chronique, existant sous trois versions différentes (à la version la plus ancienne viennent s’ajouter deux remaniements composés vers 1200 et 1250), témoigne de la grande variabilité des textes médiévaux. En effet, ces trois versions principales présentent des divergences allant par endroits de 30 à 100% de l’œuvre. S’appuyant sur le projet d’édition piloté par les universités de Marbourg et de Cambridge et visant à publier pour la première fois l’ensemble des trois versions, J. Wolf évoque les nombreuses difficultés d’une telle entreprise: l’éditeur moderne doit non seulement prendre en compte les trois versions différentes mais aussi les interventions des rédacteurs, des scribes ainsi que des lecteurs telles qu’elles apparaissent dans les différents manuscrits. Seule une combinaison de différents supports (supports papier et numérisés) permet de rendre compte de l’ensemble des témoins.

L’article de Gundolf Keil est consacré à son projet d’édition du »Breslauer Arzneibuch«. Ce compendium, conservé dans deux manuscrits achevés vers 1300, regroupe trois traités médiévaux de médecines largement répandus. Partant de ces trois traités, G. Keil analyse en détail la technique utilisée par le compilateur afin de les intégrer à son nouvel ensemble (par exemple, par la suppression de certains segments de la version allemande du »Macer floridus«).

Martin Schubert s’intéresse quant à lui à l’œuvre laissée par le clerc anonyme que l’on a coutume d’appeler »Österreichischer Bibelübersetzer« et qui est l’un des plus grands traducteurs et commentateurs allemands de la Bible avant Luther. Son œuvre fait aujourd’hui l’objet d’un projet d’édition financé par l’Union der Akademien der Wissenschaft. Dans sa contribution M. Schubert aborde un passage tiré de l’»Evangelienwerk«, une harmonie des Évangiles. Il étudie avec minutie la façon dont ce traducteur anonyme, aspirant à la plus grande exhaustivité, a intégré dans ses gloses du procès de Jésus par Ponce-Pilate des sources étrangères au Nouveau Testament, notamment des éléments présents dans l’Évangile apocryphe de Nicodème.

La contribution d’Elke Zinsmeister est consacrée au »Vingt-quatre Anciens« d’Otto de Passau, livre faisant référence à un passage de l’Apocalypse (Ap 4,4). L’auteure démontre qu’Otto de Passau ne cherche pas à fournir à ces lecteurs ou lectrices un matériau nouveau ni à les amener à penser de manière novatrice. Il veut transmettre des idées déjà connues en donnant la parole successivement aux vingt-quatre Anciens, ce qui non seulement confère au texte une légitimité et une autorité mais permet aussi de le structurer. Cette quête de structure se retrouve dans le registre indiquant, dans les différents manuscrits, le contenu de chaque chapitre et les numéros de pages correspondant aux débuts de chapitres.

Prenant le cas de six vers composés par Oswald von Wolkenstein tels qu’ils apparaissent dans quatre éditions différentes, Norbert Richard Wolf pose, quant à lui, la question de savoir si l’on peut renoncer aux graphies historiques. Pour ce faire il part des différences existant entre la langue du poète – une langue littéraire qui, même si elle est teintée de régionalismes, demeure compréhensible au-delà de la Bavière – et la langue des différents scribes qui ont mis les chansons d’Oswald par écrit. Or certains de ces scribes utilisaient un dialecte souabe différent de celui de l’auteur, ce qui explique que certains éditeurs modernes aient supprimé ces marques dialectales souabes. L’auteur de l’article exprime, sans doute à juste titre, son scepticisme vis-à-vis de telles tentatives de normalisation. En effet, une édition scientifique moderne, plutôt que de tenter de manière hypothétique de reconstituer la langue du poète, doit plutôt prendre en compte la situation dans laquelle ces textes ont été fixés par écrit et sont ainsi parvenus jusqu’à nous.

Les trois communications suivantes abordent la tradition des maître-chanteurs, traitant de la question de l’art véritable à travers certaines chansons (Judith Lange), du concept de mouvance en s’appuyant sur une chanson de Hans Sachs (Sandra Hofert) et du culte marial dans le »Langer Ton«, composé de 23 vers par strophe, de Regenbogen, notamment du rapport existant entre Marie et l’idée de Trinité à laquelle la Vierge se trouve étroitement associée (Eva Rothenberger).

Enfin, l’article de Lydia Wegener porte sur la compilation du »Probate spiritus«, traité ayant pour thème le discernement des esprits (discretio spirituum), c’est-à-dire la manière de déterminer les forces qui agissent sur la volonté humaine et incitent l’homme à faire le bien ou le mal. Ce texte, adapté du »De quattuor instinctibus« de Heinrich von Friemar, montre à quel point le travail de traduction et le discours théologique sont intimement liés.

Pour conclure, il convient de souligner que ce volume contient indubitablement des contributions importantes et donne un aperçu très utile des projets d’édition de textes médiévaux en cours, dont plusieurs sont soutenus par la Deutsche Forschungsgemeinschaft. À l’instar de la question de la mouvance, les problèmes posés sont actuels et les réponses apportées en matière de critères à employer pour l’édition de textes médiévaux paraissent tout à fait convaincantes. On peut bien entendu regretter le manque d’unité des articles, mais ce défaut est inhérent à un tel ouvrage qui permet à chaque participant de présenter les aspects de sa propre recherche et du projet dans lequel il est impliqué.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Patrick del Duca, Rezension von/compte rendu de: Eva Rothenberger, Martin Schubert, Elke Zinsmeister (Hg.), Editionen deutscher Texte des Mittelalters. Aktuelle Projekte. Beiträge des Festkolloquiums zum 80. Geburtstag von Rudolf Bentzinger am 22. August 2016, Stuttgart (Franz Steiner Verlag) 2019, 205 S. (Akademie gemeinnütziger Wissenschaften zu Erfurt. Sonderschriften, 50), ISBN 978-3-515-12316-7, EUR 28,00., in: Francia-Recensio 2019/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68319