Le recenseur doit avouer qu’il n’attendait pas grand-chose initialement de ce livre. À quoi bon, en effet, revenir sur l’action de Pierre Zwicker après les lumineux travaux que lui avait consacrés Peter Biller? Mais son scepticisme a fondu comme neige au soleil devant l’acribie et la finesse du jeune historien finlandais Reima Välimäki.
Du Célestin, on savait d’ores et déjà qu’il fut l’artisan majeur de l’effondrement que subit le valdéisme germanophone à la toute fin du XIVe siècle. Les protocoles des interrogatoires menés sous sa supervision à Stettin, en Poméranie, et son traité polémique »Cum dormirent homines« (1395) étaient bien connus de l’historiographie. Ils nous avaient familiarisés avec cet inquisiteur tout terrain fort singulier, dont la capacité d’adaptation à ses interlocuteurs et l’intime compréhension des enjeux doctrinaux sous-jacents firent l’efficacité. Mais il nous manquait encore bien des éléments textuels et contextuels pour prendre la mesure de son influence. R. Välimäki y parvient avec brio, en élargissant l’enquête à des sources négligées jusque-là.
Premier apport: l’auteur démontre, à la lumière de critères internes et externes, que la »Refutatio errorum« émane de la plume de Zwicker et représente une première version, encore touffue et peu aboutie, de son futur chef d’œuvre »Cum dormirent homines«. Deuxième découverte: il attire l’attention sur le manuscrit Sankt-Florian XI 234, dont il établit qu’il recueille un pot-pourri d’actes inquisitoriaux composés et révisés, sinon par le Célestin lui-même, du moins dans son entourage immédiat. Troisièmement, l’auteur déchiffre les traces de la réception de l’œuvre de Zwicker tant à Vienne, où Ulrich de Pottenstein en traduisit rapidement de copieux passages, qu’à Prague, où elle influença le prédicateur Johlín de Vodňany. Il en ressort ce que R. Välimäki appelle une »pastoralisation de l’hérésie vaudoise«. Entendons par là que le discours hérésiologique a alors cessé d’être le domaine réservé de quelques inquisiteurs professionnels, mais a été considéré comme un vade-mecum indispensable pour apprendre aux clercs et même aux simples fidèles à reconnaître les déviants et à s’en écarter.
Encore cette plate énumération ne rend-elle pas justice aux richesses d’analyse dont l’ouvrage gratifie, au fil de ces pages passionnantes, le lecteur. À titre d’exemple, relevons les développements traitant des altérations qui ont progressivement changé la fonction et le genre des pièces inquisitoriales (p. 149–164); ou encore comment la citation des suspects d’hérésie faisait l’objet de lectures publiques en langue vulgaire dans les paroisses (p. 184–194), ce dont l’historiographie des rituels de communication devra tenir compte; ou enfin l’importance croissante attachée par les controversistes à la récitation de l’»Ave Maria« et aux images de la Vierge, en lien avec le développement concomitant du culte marial (p. 218–225).
D’autres hypothèses interprétatives donneront davantage matière à discussion. Les connexions qui sont proposées entre l’activité inquisitoriale de Zwicker et le milieu pragois dans lequel il gravitait sont séduisantes, mais pourront parfois paraître forcées ou insuffisamment documentées. Ainsi Matthias de Janov n’a-t-il pas pratiqué un biblicisme aussi strict que celui que R. Välimäki lui attribue (p. 79): il utilise largement les Pères et les scolastiques dans son plaidoyer en faveur de la communion fréquente, de sorte qu’il n’a guère pu inspirer l’inquisiteur à cet égard. Quant à l’absence de référence au Grand Schisme dans les écrits anti-vaudois de Zwicker, faut-il l’interpréter comme l’indice de son embarras, voire de sa détresse intérieure (p. 243–256)? Peut-être. Rappelons cependant que l’Europe centrale avait massivement pris le parti du pape de Rome et que la division de la chrétienté n’y présentait pas la même acuité que dans des zones frontières des deux obédiences, comme les Pays-Bas.
Pour un coup d’essai, ce livre est en tout cas un coup de maître, qui enrichit l’excellente collection »Heresy and Inquisition in the Middle Ages« d’un nouveau fleuron et qui rend d’autant plus impatient de découvrir l’édition critique du »De vita et conversacione Valdensium« annoncée par l’auteur.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Olivier Marin, Rezension von/compte rendu de: Reima Välimäki, Heresy in Late Medieval Germany. The Inquisitor Petrus Zwicker and the Waldensians, Rochester, NY (York Medieval Press) 2019, XV–356 p., 1 b/w ill. (Heresy and Inquisition in the Middle Ages, 6), ISBN 978-1-90315-386-4, GBP 75,00., in: Francia-Recensio 2019/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68327