L’ouvrage de l’archiviste Norbert Haag force d’emblée le respect. Par sa masse, tout d’abord: 2170 pages, réparties en trois volumes, le troisième regroupant table des matières, bibliographie (1982 entrées) et index. Par son ambition, ensuite: fournir une analyse de l’évolution politique et institutionnelle, confessionnelle et culturelle, de toutes les principautés ecclésiastiques du Saint Empire, entre le Concordat de Vienne (1448) et la paix de Westphalie (1648). Et pour ce faire, éclairer cette évolution à la lumière de trois filtres: social (permanence du rôle joué par la noblesse et mainmise progressive des dynasties princières); religieux (réponses apportées en matière de réformes, depuis les attentes du Moyen Âge tardif, en passant par la Réformation, jusqu’au processus de confessionnalisation, à l’œuvre dès le premier tiers du XVIe siècle et redynamisé dans le dernier quart de ce siècle); spatial (diversité des évolutions de ces ensembles spatiaux que sont les principautés ecclésiastiques et articulation de ces évolutions avec celles de l’Empire). Par la clarté de sa présentation, enfin.
Celle-ci est ordonnée en quatre parties qui suivent un fil chronologique assez lâche, distinguant la seconde moitié du XVe siècle (1ère partie), les enjeux de la Réformation (2ème partie) et de la première confessionnalisation (3e partie) et les rejeux confessionnels (en gros des lendemains de la paix d’Augsbourg (1555) et du concile de Trente, achevé en 1563, à la paix de Westphalie en 1648, 4e partie). Ce parcours dans le temps est aussi l’occasion de dégager les problématiques propres à chaque période, de jouer sur les différentes échelles d’analyse (régions, Empire, chrétienté latine) pour mettre en évidence les spécificités des divers ensembles régionaux. En une quarantaine de pages et soixante-quinze thèses, un ultime chapitre résume l’ensemble de cet ouvrage qu’on peut ainsi lire d’une traite sans la moindre lassitude.
Pour répondre à l’attente de réformes, le »conciliarisme« apparaissait à l’échelle de la chrétienté latine, au XVe siècle, comme l’une des réponses possibles. Pour certains, notamment dans l’Empire, c’était même la meilleure. Le concile de Bâle (1431–1437) en souligna la vigueur. Dans l’Empire, le concordat de Vienne marqua la fin de l’intervention des princes-électeurs (Kurfürsten) dans l’organisation de l’Église impériale. Le thème des »Gravamina germanicae nationis« s’imposa rapidement et durablement au milieu du siècle, tandis que l’échec des conciles de Pise et de Latran V, au début du XVIe siècle, contribua à discréditer le recours au concile. Le concordat profita aux dynasties déjà installées: les maisons d’Autriche (Brixen, Trente), de Bavière (Salzbourg, Augsbourg, Bamberg, Eichstätt, Freising, Passau, Ratisbonne, Wurzbourg), la branche rhénane des Wittelsbach (Spire, Worms), les princes-électeurs de Saxe (Meißen, Merseburg, Naumbourg) et de Brandebourg (Brandenbourg, Havelberg, Lebus), ou encore les maisons ducales de Lorraine, de Mecklembourg et de Poméranie, ainsi que celles des margraves de Bade et des Welf. Les perdants furent les lignages comtaux, particulièrement en Basse-Saxe et en Westphalie. Seigneurs territoriaux, les princes ecclésiastiques jouaient un rôle important, tels les princes-électeurs de Mayence, Cologne et Trèves ou les titulaires des sièges épiscopaux de Brême, Magdebourg et Salzbourg. Dans de nombreux cas, ils étaient les promoteurs des réformes religieuses, notamment celles conduites dans les monastères et les couvents.
Malgré le caractère radical de la Réformation (remise en cause des ordres religieux par ailleurs dépossédés de leurs biens, évolution de la fonction épiscopale, organisation territoriale de l’Église), celle-ci fut moins une rupture qu’un »catalyseur« du processus de Dynastisierung. À ses débuts, elle est d’ailleurs un »événement saxon«. Dans les territoires confessionnellement stables – Souabe, Bavière, Autriche – les rivalités dynastiques jouent à plein. Dans les régions plus incertaines, comme la basse Rhénanie et notamment l’électorat de Cologne, le processus réformateur peut prendre une forme originale (Hermann von Wied) et le processus dynastique (au bénéfice des Wittelsbach) être retardé (échec en 1567 et, à nouveau, en 1577).
Globalement, la confessionnalisation joua en faveur du processus dynastique. L’élection d’Ernst von Bayern sur le siège de Cologne, en 1583, en est d’ailleurs un exemple tardif mais significatif. Les familles comtales du Wetterau en firent les frais. Trois dynasties témoignent de ce lien entre confessionnalisation et politique impériale: les Habsbourg, les Wettin et les Wittelsbach. Fortement marquée à ses débuts par son enracinement territorial, la causa Lutheri fut aussi très rapidement un événement impérial, de l’élection de Charles Quint, en 1519, jusqu’à l’édit de Worms (1521) qui souligne l’autorité impériale. Au milieu du XVIe siècle, les »colloques« religieux témoignent encore d’une volonté commune de surmonter la scission. Malgré la victoire remportée par Charles Quint durant la guerre de Smalkalde, la politique religieuse de l’empereur aboutit à un échec, que scelle la paix d’Augsbourg (1555), tandis que le concile de Trente jette les bases d’une autre forme de confessionnalisation catholique.
La paix d’Augsbourg n’était du reste opératoire que si, de part et d’autre, un climat de confiance était maintenu. Ce fut le cas jusqu’au tournant des années 1580 qui inaugure une »reconfessionnalisation« de la vie politique. L’arrivée d’un Wittelsbach sur le siège épiscopal (et électoral) de Cologne et la guerre qui s’ensuivit peuvent servir de point de repère. La neutralité des institutions judiciaires de l’Empire (avant tout le Reichskammergericht) devint un enjeu d’autant plus décisif que l’empereur n’hésitait plus à favoriser le camp catholique (affaire d’Aix-la-Chapelle, conflit autour du droit de vote de l’administrateur protestant de Magdebourg). Les positions se durcirent entre 1603 et 1617, favorisant la mise en place de coalitions: Bund protestant et Ligue catholique, prête à l’affrontement armé sous l’impulsion de la Bavière. L’importance du facteur confessionnel variait encore selon les groupes sociaux, tant sur le terrain des attentes qu’en matière de comportements. À l’issue de la guerre, l’empereur retrouva une position dominante, qu’il devait pour une part à sa politique dynastique en matière d’évêchés. Les princes-électeurs, les trois ecclésiastiques plus particulièrement, avaient, eux, fini de perdre la leur. En revanche, une bonne vingtaine de sièges épiscopaux demeurait attractive et une bonne cinquantaine de familles appartenant à la chevalerie d’Empire (Reichsritterschaft) continuait de contrôler plus d’une dizaine de prébendes, conservant ainsi une position stratégique.
Stimulante relecture de la vie religieuse, des institutions politiques et des réalités socio-culturelles de l’Empire durant deux siècles, cet ouvrage est, à l’évidence, susceptible de devenir un précieux instrument de travail, au même titre que les dictionnaires des évêques et des évêchés récemment établis par Erwin Gatz. Une autre lecture possible. Tout aussi profitable.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Gérald Chaix, Rezension von/compte rendu de: Norbert Haag, Dynastie, Region, Konfession. Die Hochstifte des Heiligen Römischen Reiches Deutscher Nation zwischen Dynastisierung und Konfessionalisierung (1448–1648), Münster (Aschendorff) 2018, 2240 S. (Reformationsgeschichtliche Studien und Texte, 166), ISBN 978-3-402-11595-4, EUR 239,00., in: Francia-Recensio 2019/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68449