Cet ouvrage se propose de présenter sous un très petit volume l’histoire des huguenots, c’est-à-dire des protestants français, depuis les débuts de la Réforme jusqu’à nos jours, d’abord en France puis au Refuge. Son propos est à la fois de communiquer des données factuelles, de faire le point sur les aspects polémiques et de placer les études huguenotes dans le champ de la recherche contemporaine. Il y parvient globalement fort bien, même si le volume réduit de l’ouvrage conduit parfois à des approches synthétiques pouvant entraîner certaines approximations.
L’ouvrage se divise en six chapitres. Dans le premier, l’auteur donne un panorama de la »France protestante« au XVIe siècle, fait un point terminologique sur les différentes hypothèses concernant l’origine du nom »huguenot« et remarque fort justement que les protestants n’utilisaient pas eux-mêmes ce vocable, considéré comme péjoratif. Suit un point historiographique bref mais bienvenu, allant des premiers ouvrages hagiographiques jusqu’aux perspectives globalisantes contemporaines. Le second chapitre dépeint de façon claire et synthétique les grandes étapes de l’évolution de la place du protestantisme en France: durcissement progressif de François Ier par rapport à la Réforme en dépit de l’influence de sa sœur Marguerite de Navarre, débuts de Calvin et son départ pour la Suisse, affaire des Placards (1534), influence croissante du calvinisme qui aurait touché vers 1560 environ 1/10e des Français (1,5 à 2 millions), passage à la Réforme de villes entières, établissement progressif de structures (consistoires, synodes) permettant des contacts à l’échelon provincial ou territorial. En dépit des tensions, les recherches récentes indiquent, pour le milieu du XVIe siècle, encore de nombreux exemples de cohabitation pacifique entre les religions.
Le chapitre 3 résume de façon pertinente les différentes phases des guerres de Religion, expose les enjeux et les théories en présence (monarchomaques …), fait le point sur la Saint-Barthélemy et le siège de La Rochelle et montre comment, lors de la huitième guerre de Religion (guerre des Trois-Henri), les protestants perdirent l’essentiel de leurs acquis, avant que l’arrivée au trône d’Henri IV ne changeât la donne. Les combats du roi avant de parvenir à entrer dans Paris sont un peu vite abordés. Quant à l’édit de Nantes, en un temps où l’idée de tolérance religieuse, comme valeur positive, n’existait pas, il est fort justement défini comme »une fixation temporaire par écrit de la coexistence religieuse en attendant le retour à une confession unique dans le royaume de France« (p. 42). La fin du chapitre met l’accent sur les prolongements internationaux des conflits religieux en France, avec le poids de l’Espagne, de l’Angleterre et de Guillaume d’Orange.
Dans le chapitre 4, l’auteur parvient à couvrir tout le XVIIe siècle, riche en bouleversements pour le protestantisme français: assassinat d’Henri IV, relative stabilisation sous le régime de l’édit de Nantes, politique étrangère mue par des intérêts souvent autres que confessionnels (concurrence avec les Habsbourg); dynamisme des académies protestantes, avec leurs divergences théologiques, les plus modérées (Saumur, Sedan) avec des pasteurs tels que Jacques Lenfant ou Jean Leclerc ouvrant la voie aux Lumières. Mais la royauté française n’avait pas renoncé à l’objectif de l’unité religieuse: tentatives de »mission intérieure«, entrée des armées de Louis XIII en Béarn, siège et chute de La Rochelle (1628). Pourtant, sous le jeune roi Louis XIV, lors de la Fronde, les nobles protestants soutinrent fidèlement la royauté et plus tard les financiers protestants apportèrent leur appui à la politique de Colbert. Sous le règne personnel de Louis XIV à partir de 1661, l’étau se resserre: destruction de temples, »majorité religieuse« des enfants à l’âge de sept ans, dragonnades et enfin l’édit de révocation de Fontainebleau (1685).
L’auteur met en relief comment les succès militaires de Louis le Grand (guerres de Hollande, paix de Nimègue, conquête de Strasbourg) contribuèrent à renforcer son désir d’homogénéiser religieusement le pays. Selon l’auteur, l’émigration ou les conversions nombreuses dans la noblesse peuvent avoir contribué à fragiliser les couches populaires, désormais cibles principales, et peuvent expliquer partiellement les guerres des Camisards. L’édit de Fontainebleau, c’est clairement dit, n’autorisait l’émigration que des pasteurs, tous les autres protestants devant se convertir.
Le chiffre de l’émigration indiqué pour l’époque de l’édit (150 000 à 200 000 personnes) correspond aux estimations actuelles, mais l’auteur sous-estime le nombre de ceux qui restèrent, probablement quatre fois plus (et non pas trois). Suit une description du »désert«, du soutien apporté de l’étranger (»lettres pastorales« de Jurieu), des mouvements prophétiques en Languedoc, des efforts d’Antoine Court, après la mort de Louis XIV, pour reconstituer une Église protestante. Vient ensuite un point sur les modalités de l’émigration, souvent plus pensée et organisée qu’on ne l’a dit, sur les quelque 1500 »galériens pour la foi«, et un bref bilan, nuancé, des pertes infligées à la France par la migration des protestants, d’où il ressort »qu’on ne peut avancer de jugements globaux« (pauschal) (p. 67).
Le chapitre 5, consacré au Refuge, est le plus volumineux de l’ouvrage. Il s’ouvre sur des perspectives intéressantes sur les liens entre le Premier et le Grand Refuge, sur le rôle de »plaque tournante« (Michelle Magdelaine) de Francfort-sur-le-Main et sur la complexité de ce grand phénomène migratoire, marqué par bien des errances et aussi, plus qu’on ne l’a dit, par des retours en France. Les motivations des gouvernants réformés sont explicitées: au-delà de la compassion pour les frères en religion, l’accent est mis sur les considérations de politique de peuplement et les espoirs de développement économique. L’auteur revient ensuite sur les chemins du Refuge, qui menèrent aux Pays-Bas, en Suisse et dans le Saint-Empire; la complexité du phénomène, avec ses »migrations secondaires« est illustrée par l’exemple de Mannheim et des »Palatins«, dont beaucoup arrivèrent finalement en Prusse.
La suite est plus confuse. Il y est question de l’installation des huguenots en Allemagne, de l’accueil en pays luthériens et en particulier de l’attitude des piétistes, des résistances à l’accueil au Brandebourg-Bayreuth ou en Wurtemberg. Puis l’auteur s’étend sur le Brandebourg-Prusse. On ne peut qu’approuver l’évaluation prudente des résultats du Refuge dans ce pays qui n’aurait été »un succès total« ni sur le plan religieux (renforcer le calvinisme professé par la Maison royale) ni sur le plan économique (repeupler et développer le pays). Sont présentés quelques points marquants: les constructions du quartier de la Friedrichstadt, qui s’inséraient dans les projets de développements urbains de l’époque baroque, l’installation de nombreuses colonies rurales dans l’Uckermark au nord de Berlin, le développement des structures caritatives par les Églises, la pratique générale (et même internationale) des collectes.
Un point est fait sur l’usage du mot »colonies« dans ses diverses acceptions, ainsi que sur l’insertion de la colonie française dans l’administration de l’État (grand directoire et consistoire supérieur) au prix du renoncement aux synodes. La suite élargit à nouveau le spectre à toute l’aire allemande, insistant sur la diversité sociale des réfugiés, souvent moins qualifiés et surtout moins riches que ne l’espéraient les puissances accueillantes, sur les quelques villes ou quartiers dédiés dans d’autres principautés allemandes (la nouvelle ville d’Erlangen, [Bad] Karlshafen). L’examen des différentes couches sociales du Refuge fait la part belle aux intellectuels et à leurs débats (Jurieu/Bayle, Abbadie, Barbeyrac, etc.), évoque le nombre important de pasteurs, les conflits des artisans avec les corporations et l’importance des commerçants réfugiés à Hambourg/Altona (et leur rôle dans le commerce d’esclaves), s’intéresse rapidement au monde paysan ainsi qu’aux pauvres, assistés pris en charge par les institutions.
En revanche, seul un très court paragraphe est consacré à la place des descendants de réfugiés dans le développement des manufactures au XVIIIe siècle (p. 89–90), sur laquelle la littérature est abondante et sur laquelle il aurait été intéressant de faire le point. La page sur le rôle particulier des femmes au Refuge, à qui il revenait de »cultiver les contacts familiaux et de stabiliser les familles« (p. 95) et le titre de ce paragraphe, qui annonce une analyse des »relations entre les sexes« (Geschlechterverhältnisse) paraissent peu convaincants.
Il est dommage que le phénomène de l’intégration culturelle ne soit pas plus nettement circonscrit et traité. Certes il est noté que les groupes arrivés de France, venant de diverses régions et parlant différents dialectes, ne devinrent Français, en quelque sorte, qu’au Refuge. Mais la suite de l’évolution au XVIIIe siècle est traitée de façon un peu schématique et confuse: effets de l’histoire hagiographique sur la construction identitaire, francophilie de Frédéric le Grand, remarques peu amènes de Voltaire sur la qualité du »français réfugié«, correspondances internationales en langue française, mariages mixtes, entrée de non-Français dans la colonie, Wahlbürgerrecht1, suppression des institutions civiles de la colonie en 1809: tout cela paraît bien court et imprécis pour dépeindre un siècle de lente acculturation, phénomène complexe s’il en est2.
L’assertion selon laquelle »l’exil français dans l’Europe du XVIIIe siècle ne se réduit pas aux protestants« (p. 99) ne convainc pas non plus. S’il est exact que des protestants se convertirent en France pour faire ensuite amende honorable au Refuge, ils ne sauraient être confondus avec un personnage original comme Mathurin Veyssière de la Croze, lettré sans origines huguenotes. Quant aux ouvriers lyonnais venus en Prusse à la demande des manufacturiers (huguenots ou non) avec la bénédiction de Frédéric II, si certains pouvaient intégrer la colonie, cela restait un phénomène marginal. Il paraît excessif d’affirmer la disparition de la dimension protestante du Refuge au XVIIIe siècle (p. 102). Même si les chiffres sont modestes, les Églises réformées françaises existaient encore et tenaient à leur fonctionnement spécifique (et bien souvent à leur culte en français), même en milieu rural, jusqu’à des dates tardives du XVIIIe siècle.
Le chapitre 6 traite de la vaste diaspora huguenote à travers le monde, en particulier sur la côte atlantique, à laquelle sont consacrées plusieurs pages, mais aussi jusqu’à l’île Bourbon (Réunion) et au continent asiatique. On comprend mal pourquoi l’auteur revient ici sur les premiers temps du Refuge aux Pays-Bas et en Angleterre ainsi que sur la tentative de créer une colonie française en Irlande (Portarlington). Sont évoqués ici aussi le Refuge dans les pays nordiques, en Russie et jusqu’à Constantinople.
La dernière partie brosse une esquisse de l’historiographie et des destinées du Refuge du XVIIe siècle à nos jours. La situation à la fin du XVIIIe siècle (Révolution française et droit au retour, attitude des »Français de Prusse« lors de l’occupation napoléonienne, engagement dans les guerres de libération de 1813) demanderait un traitement plus différencié. Quelques notations sur la renaissance historiographique du XIXe siècle et la création des diverses sociétés huguenotes en France et dans de nombreux pays viennent clore cette partie. La bibliographie, forcément très réduite (une page), cite cependant l’essentiel des auteurs spécialistes du sujet.
Au total, et en dépit des quelques réserves émises, le petit livre d’Alexander Schunka est un ouvrage utile, de qualité, une bonne synthèse du sujet sur le plan factuel, qui met le champ traité dans la perspective des recherches les plus récentes.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Viviane Rosen-Prest, Rezension von/compte rendu de: Alexander Schunka, Die Hugenotten. Geschichte, Religion, Kultur, München (C. H. Beck) 2019, 128 S., 2 Kt. (C. H. Beck Wissen, 2892), ISBN 978-3-406-73431-1, EUR 9,95., in: Francia-Recensio 2019/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68461