Dans sa thèse de doctorat dirigée par le Manfred Rudersdorf, dont le présent volumineux ouvrage est la publication, Alexander Zirr étudie l’occupation suédoise de Leipzig pendant la guerre de Trente Ans, entre novembre 1642 et juin 1650. Le sujet présente l’intérêt de combler plusieurs déficits historiographiques. Tout d’abord, à l’échelle de la guerre de Trente Ans, les historiens se sont principalement intéressés à l’épopée de Gustave Adolphe et aux négociations des paix de Westphalie. Ensuite, l’on manque d’une synthèse sur le devenir de la Saxe électorale pendant cette guerre. Enfin, au plan local, la ville de Leipzig n’a guère intéressé, alors que des batailles importantes de cette guerre se sont déroulées à ses portes.
Par nature, la démarche d’Alexander Zirr est au carrefour de deux approches, l’histoire militaire et l’histoire urbaine. Du point de vue militaire, la question est posée du rôle de l’occupation de Leipzig pour la conduite suédoise de la guerre. Du point de vue urbain, il s’agit de déterminer les effets de cette occupation dans l’histoire de la ville de Leipzig. Pour cela, l’auteur utilise toutes les sources disponibles, qu’elles soient conservées à Leipzig, à Dresde, à Magdebourg ou à Stockholm: chroniques, actes juridiques, correspondances, actes administratifs, registres administratifs, etc. sans oublier les sources iconographiques.
Le plan adopté par l’auteur est chronologique. Tableau de la situation initiale (I), un chapitre introductif présente d’une part l’état de la ville et de la Saxe électorale jusqu’à l’automne 1642, et d’autre part, l’état de l’armée suédoise en 1641–1642. Cela permet d’étudier précisément (II) la prise de Leipzig par les Suédois: après un siège de six semaines, la ville est livrée par les Saxons aux Suédois le 26 novembre 1642. L’administration suédoise de Leipzig se met alors en place (III): celle-ci est confiée au gouverneur Axel Lillie, qui a sous ses ordres dix compagnies suédoises et quatre compagnies allemandes, soit environ un millier de soldats dans la ville de Leipzig.
Les Suédois prennent le contrôle des octrois, de la poste et de la justice. Il leur faut également établir des magasins militaires et fortifier la ville, afin de résister à une éventuelle attaque saxonne. Le changement de souveraineté ne se fait toutefois pas sans heurts, pour des raisons à la fois symboliques (prières publiques pour la reine de Suède), politiques et fiscales. Le maintien de l’administration militaire suédoise comporte des dimensions bien concrètes (IV): il faut payer la solde des militaires de la garnison, assurer l’approvisionnement de la ville en eau, en nourriture (pour les hommes comme pour les chevaux), en bois, en tissus. C’est chez l’habitant que sont logés les soldats et les officiers, alors qu’ils peuvent avoir une épouse, des enfants et des domestiques. Les soldats doivent également être nourris au spirituel et être soignés de leurs blessures et de leurs maladies. Tout cela a évidemment un coût et est source de conflits entre la garnison suédoise et les habitants de Leipzig, même si certains de ces derniers y trouvent une source de profit.
C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre le rôle de la ville occupée dans les derniers événements de la guerre (1644–1645) (V): en janvier 1644, les Impériaux entrent en Saxe et menacent Leipzig. Alexander Zirr étudie alors comment les Suédois tentent de conserver la ville malgré leurs pertes en Saxe électorale. De fait, à la trêve de Kötzschenbroda (27 août 1645), les Suédois gardent Leipzig. La ville reste donc occupée jusqu’à la signature des traités de Westphalie (VI). Toutefois, les conditions de l’occupation changent, pour les affaires tant civiles que militaires. Il en va de même pour l’occupation de Leipzig après la signature des traités de Westphalie (1648–1650) (VII): c’est seulement après la négociation de l’exécution de ces traités, et notamment de la compensation pour la Saxe de l’occupation de son territoire, que les Suédois quittent Leipzig, le 30 juin 1650.
Alexander Zirr conclut son étude en avançant douze thèses. (1) La faiblesse de l’armée suédoise à l’automne 1642 fait de la prise de Leipzig une occasion unique pour poursuivre la guerre de manière avantageuse. (2) Cette occupation est réglée par le droit, par les accords qui précèdent la prise de la ville (occupation par une armée victorieuse), par les trêves de Kötzschenbroda et d’Eilenbourg (accord bilatéral) et par les traités de Westphalie (situation ambiguë). (3) L’administration militaire de Leipzig est globale: elle se fonde sur l’association étroite des civils et des militaires. (4) Son fondement est une garnison assez forte. (5) Elle a pu durer grâce à la réussite du financement et de l’approvisionnement. (6) Par sa spécificité, Leipzig occupée par les Suédois est un nœud de communications, notamment politiques et militaires.
(7) À Leipzig, les Suédois se réservent toute la souveraineté (auctoritas): c’est un cas typique de la dernière phase de la guerre de Trente Ans, qui se distingue des occupations militaires du début des années 1630. (8) C’est la garnison qui exerce la potestas; toutefois, les Suédois ne transgressent pas les bornes de ce qui est légitime et ne recourent que peu à la contrainte. (9) Il n’en reste pas moins que l’occupation représente une charge lourde pour la ville de Leipzig. (10) D’un point de vue militaire, l’occupation suédoise de Leipzig, ville riche et puissante, est une catastrophe pour la Saxe électorale. (11) Toutefois, aux négociations des traités de Westphalie, Leipzig ne joue guère de rôle: c’est seulement lors du congrès de Nuremberg pour l’exécution des traités que Leipzig prend de l’importance. (12) L’occupation suédoise de Leipzig, quoique lourde, n’est cependant pas un événement traumatisant dans la mémoire collective.
Au total, il faut saluer le travail d’Alexander Zirr, au moins pour deux raisons méthodologiques. Tout d’abord, il ne restreint pas à un aspect de la question, mais il cherche une vision globale, presque totale, des événements. Ensuite, il fait la part belle à la dimension concrète de l’histoire: l’occupation d’une ville se fait par des hommes, avec des finances, dans un cadre juridique, etc. De ce point de vue, un manque historiographique est vraiment comblé.
Deux légères critiques peuvent toutefois être formulées. D’une part, pour le lecteur peu familier de la Saxe et de la guerre de Trente Ans, il manque une carte de la Saxe et un plan de Leipzig, tandis que la chronologie pourrait comporter plus que douze dates. D’autre part, les thèses posées en conclusion proposent des comparaisons avec d’autres occupations militaires, qui ne sont finalement que peu argumentées. Il n’en reste pas moins que cette monographie ouvre la voie à d’autres recherches analogues, au double niveau de la guerre de Trente Ans et de l’Europe des XVIIe–XVIIIe siècles.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Philippe Saudraix, Rezension von/compte rendu de: Alexander Zirr, Die Schweden in Leipzig. Die Besetzung der Stadt im Dreißigjährigen Krieg (1642–1650), Leipzig (Leipziger Universitätsverlag) 2017, 939 S. (Quellen und Forschungen zur Geschichte der Stadt Leipzig, 14), ISBN 978-3-96023-169-1, EUR 98,00., in: Francia-Recensio 2019/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68467