Cet ouvrage collectif inventorie les dernières tendances de la recherche sur la transition entre république de Weimar et dictature nazie. Il examine les rôles, perceptions et réactions de divers acteurs et milieux lors de ce basculement, de la nomination de Papen à la chancellerie en juin 1932 au putsch de Röhm en juillet 1934. Il apporte une contribution au débat le plus commenté de l’histoire contemporaine: l’établissement de l’État nazi fut-il un accident ou le résultat d’une évolution longue? Ce titre, qui offre une synthèse sur des sujets centraux, plaide pour une histoire politique mettant l’accent sur les acteurs et leur marge de manœuvre. Les éléments avancés pour expliquer l’établissement rapide de l’État nazi sont la peur, l’excès de zèle pour plaire à sa hiérarchie et le pragmatisme d’une population à la culture éthique vidée de sa substance.
Les premiers chapitres analysent les décisions d’acteurs éminents pendant les derniers mois de la République. Le controversé Kurt von Schleicher, dernier chancelier avant Adolf Hitler, espérait que l’exercice du pouvoir »domestiquerait« Hitler. Il jugeait l’entrée des nazis au gouvernement nécessaire à la réforme du système constitutionnel. C’est pourquoi il s’isola dans le camp républicain (Larry Eugene Jones). Carl Schmitt, longtemps paria de l’historiographie weimarienne, aujourd’hui l’un des penseurs du droit les plus étudiés, s’opposa à la neutralisation de la République et à la nomination d’Hitler à la chancellerie. Il théorisa le système présidentiel et l’état d’urgence, remparts à l’accession nazie au pouvoir (Joseph W. Bendersky).
Le bilan de Ludwig Kaas, chef méconnu du Zentrum catholique de 1928 à 1933, doit être réévalué. Malgré ses absences pour maladie, Kaas dirigea efficacement le parti. Il plaida jusqu’en 1933 pour un »rassemblement« républicain et un cordon sanitaire autour de l’extrême-droite. Sous sa direction, le parti prit néanmoins part à la rédaction de la loi des pleins pouvoirs. Kaas souhaitait probablement liquider le Zentrum pour intégrer les catholiques au nouvel État et protéger l’Église (Martin Menke). Les autorités bavaroises et le Parti populaire-bavarois se révélèrent impuissants à défendre la souveraineté bavaroise en mars 1933. Bien que le NSDAP n’ait jamais obtenu la majorité absolue en Bavière, le NSDAP parvint à neutraliser le Land par l’application du décret de l’incendie du Reichstag, la désinformation et l’intimidation. L’opinion bavaroise fit alors preuve d’une étonnante léthargie (Winfried Becker).
Un deuxième volet porte sur les milieux en 1933–1934. Pris de court en janvier 1933, les milieux d’affaires contribuèrent à financer la campagne du NSDAP en mars 1933. La neutralisation du monde économique fut réalisée par les NS-Betriebszellenorganisationen (NSBO, surnommées les »SA des usines«), qui exigèrent le licenciement des employés juifs. L’industrie allemande capitula au printemps 1933 face au harcèlement. Le NSDAP relâcha la pression sur le monde des affaires dans la deuxième moitié de 1933. Aucun front commun ne se forma contre la persécution des juifs, certainement pour des motifs opportunistes (Peter Hayes).
Un autre fil rouge est le rôle joué par la violence en 1933–1934. Omniprésente dès janvier 1933, la violence antisémite fut d’abord dirigée contre les juifs de l’Est. Fuyant les persécutions en Russie et Galicie à partir des années 1880, ils étaient plus vulnérables car étrangers. Ils furent victimes de violences très diverses: spoliations, humiliations, assassinats. Les victimes qui portaient plainte étaient tenues, par les autorités, pour responsables des violences qu’elles avaient subies. Les violences antisémites visaient à intimider tous les opposants potentiels (Hermann Beck).
La mobilisation de la SA agit comme un moteur de la mise au pas. L’organisation déploya au début de 1933 un degré intense de violence, qui résultait d’une politique intentionnelle de ses dirigeants, mais aussi du surmenage et des problèmes psycho-sociaux de ses membres. Le discours auto-victimaire diffusé par la SA alimenta sa brutalité. Les purges de 1934 visaient à éloigner les éléments les plus incontrôlables (Bruce B. Campbell).
L’attitude des syndicats et de la gauche fait aussi l’objet d’articles. La montée du nationalisme généra des divisions au sein du SPD. Le cercle entourant le journal »Neue Blätter für den Sozialismus« plaidait pour une révision nationaliste des idées sociales-démocrates. Son ambivalence face aux éléments anticapitalistes du programme nazi empêcha une partie du SPD de mener une stratégie efficace face au nazisme (Stefan Vogt). Les syndicats réagirent de façon contrastée à la dissolution de Weimar. Syndicats sociaux-démocrates, chrétiens et libéraux avaient en vain conjugué leurs efforts pour résorber la crise via un plan de relance de l’emploi. Les syndicats sociaux-démocrates et chrétiens appelèrent à former un front commun contre l’essor du nazisme. Les leaders syndicaux n’en furent pas moins soulagés de la nomination d’Hitler à la chancellerie. La participation nazie au gouvernement leur laissait espérer une sortie de crise. La dissolution des syndicats et la création du Front allemand du travail furent une cinglante désillusion. De nombreux chefs des syndicats libres furent alors emprisonnés (William L. Patch, Jr.).
Plusieurs articles portent sur les Églises. Suivant le dogme de soumission à l’État en vigueur depuis sa création, l’Église protestante allemande s’accommoda du régime. Au début de 1933, le nouvel État procéda à l’unification des églises des Länder en une Église du Reich. Une prière pour les autorités fut introduite en avril 1933. L’État nazi cessa ensuite de s’intéresser à l’Église. Le projet de mettre fin à tout soutien public aux Églises fut différé à la fin de la guerre (Rainer Hering). Le pasteur luthérien Friedrich von Bodelschwingh, dont l’historiographie exagère le courage, voulait éviter toute rupture définitive entre Église et État. Antisémite et antimarxiste, il soutint la dictature et fut, pour quelques mois, évêque du Reich désigné au printemps 1933 (Edward Snyder).
Les catholiques ne partagèrent pas l’enthousiasme protestant pour la »révolution nationale«. Seule une petite minorité conservatrice autour de Papen chercha à jeter des ponts entre catholiques et État nazi. Cette minorité, réunie en une Alliance des Allemands catholiques, voulait une réorganisation corporatiste de l’État et une restauration de la monarchie. Isolée, elle ne parvint pas à rallier l’épiscopat et la jeunesse catholique. Ses buts semblèrent atteints par le concordat. Elle fut finalement dissoute en septembre 1933 (Larry Eugen Jones/Kevin P. Spicer).
La jeunesse donne lieu à deux contributions. Les organisations de jeunesse pâtirent de l’attraction très forte des jeunesses hitlériennes auprès des jeunes allemands. Toutes les associations de jeunes durent se positionner en 1933: celles de gauche furent interdites; les autres durent rejoindre les jeunesses hitlériennes ou disparaître. À partir de 1935, les adhésions aux jeunesses hitlériennes stagnèrent. Elles devinrent obligatoires en 1939 (André Postert). La réforme de l’école primaire lors de la prise du pouvoir consista à supprimer les symboles républicains et à créer un récit nazi dans les manuels scolaires. Des initiatives émanèrent des Länder, qui improvisèrent des programmes sans coordination nationale (Katharine Kennedy).
En conclusion, cet ouvrage restitue, pour un public anglophone et de façon synthétique, la complexité des trajectoires individuelles d’acteurs de premier plan et la confusion qui s’empara de différents milieux professionnels publics et privés lors de la mise au pas.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Agathe Bernier-Monod, Rezension von/compte rendu de: Hermann Beck, Larry Eugene Jones (ed.), From Weimar to Hitler. Studies in the Dissolution of the Weimar Republic and the Establishment of the Third Reich, 1932–1934, New York, Oxford (Berghahn) 2019, 455 p., ISBN 978-1-78533-917-2, GBP 100,00., in: Francia-Recensio 2019/4, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68520