Chantal Meyer-Plantureux, professeure d’arts du spectacle, étudie à travers le théâtre et le cinéma la présence de l’antisémitisme et de l’homophobie en France, de la dernière partie du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Le mérite de cet ouvrage est de faire un retour sur des sources françaises d’un antisémitisme français1. Son auteure pointe la popularité de certains textes emblématiques, notamment »La France juive« d’Édouard Drumont, qui a connu pas moins de 114 éditions en un an (p. 26). Elle relève les attaques antisémites qu’ont subies certains artistes, dont la comédienne Sarah Bernhardt (1844–1923). Celle-ci revendiquait une liberté totale, pratiquant d’autres arts, tels que la peinture, et transgressant l’ordre social établi (p. 40). L’hostilité aux juifs s’observe également au théâtre.

L’auteure cite »Le Prince d’Aurec« d’Henri Lavedan: face à un aristocrate endetté apparaît un banquier »évidemment juif« (p. 71). Dans cette pièce, Henri Lavedan exploite le stéréotype du lien entre les juifs et l’argent2. Albert Guinon (1863–1923) fait de même dans sa pièce »Décadence«, qui met face à face aristocratie et »finance juive« et dans laquelle évoluent des personnages aux origines indéfinies ayant réussi dans la finance3. On assiste ici à la construction d’un personnage de type existentiel. Le sentiment antijuif devient un antisémitisme racial4 qui s’accompagne d’une description de caractéristiques physiques (p. 95).

Cet antisémitisme viscéral, Chantal Meyer-Plantureux l’illustre avec le cas d’Henri de Rothschild (1872–1947). Cet auteur dramatique, qui fut par ailleurs docteur en médecine, dut subir hostilités et malveillance. Au moment de l’affaire Dreyfus, la production de pièces prenant la défense du capitaine Alfred Dreyfus donna lieu à des violences verbales, voire physiques. On aurait pu penser que le patriotisme de la communauté juive lors de la Première Guerre mondiale aboutirait à déconstruire un antisémitisme virulent. Pourtant, les clichés et les préjugés antisémites résistent durant l’entre-deux-guerres.

L’auteure mentionne la mise en scène du »Marchand de Venise« par Firmin Gémier (1869–1933), en 1917. Shylock y est représenté selon les préjugés antisémites de l’époque, tant sur le plan des caractéristiques physiques (nez recourbé, doigts crochus, ...) que sur celui des mœurs notamment sa sexualité dévoyée (p. 136–137). Est aussi cité le film muet »L’Argent«, réalisé par Marcel L’Herbier (1888–1979) d’après le roman d’Émile Zola (1840–1902), qui, là encore, met en scène le personnage récurrent du banquier juif (p. 138–139). Dans les années trente apparaît la figure du juif révolutionnaire, perçu comme élément de division dans son propre pays (p. 154–155).Les chapitres 16, 17 et 18 exposent la remontée de l’antisémitisme, alimenté par la publicité donnée à l’affaire Stavisky, du nom du financier d’origine juive russe Serge-Alexandre Stavisky (1886–1934), accusé de détournements de fonds5. Ce scandale donne lieu à un regain d’antisémitisme. L’auteure relève que le metteur en scène Charles Dullin (1885–1949) a activement participé à la diffusion de l’antisémitisme à cette époque (p. 182–183).

Parallèlement, Chantal Meyer-Plantureux étudie le personnage de l’homosexuel comme autre étranger6 et étrange, mettant en regard sentiment antisémite et sentiment homophobe, qui participent l’un et l’autre de la culture du bouc émissaire7. L’homosexualité masculine est toujours reliée à des personnages historiques extravagants, voire tragiques, comme l’empereur assassiné Héliogabale (p. 203–222), présenté comme un homosexuel efféminé. Il devient emblématique d’une forme de décadence liée à l’homosexualité (p. 46). Héliogabale fera l’objet de deux films en 1910 et 1911 (p. 51). Il faut souligner ici certains travaux de psychiatrie légale, en particulier ceux menés par Richard von Krafft-Ebing (1840–1902), qui a assimilé l’homosexualité à un stigmate fonctionnel de dégénérescence8.

L’auteure mentionne l’écrivain Jean Lorrain (1855–1906), qui, assumant son homosexualité, devint emblématique du Paris du vice (p. 60–61). Le personnage de la folle sera abondamment utilisé jusqu’au film »La Cage aux folles«, sorti en 1978. Au cours de l’entre-deux-guerres, l’homosexuel est représenté comme agent d’une pathologie grave et corrupteur de la jeunesse9. Comme le souligne l’auteure, l’homophobie continuera à avoir cours après 1945 au sein de la société française.

Cet ouvrage analyse deux figures de l’altérité, le juif et l’homosexuel, dans les arts du spectacle depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Il expose les interpénétrations entre ces deux figures, qu’illustre le cas emblématique d’Édouard de Max (1869–1924, p. 42–43). Au cours de la période étudiée, on assiste à une essentialisation de ces deux personnages. S’agissant du juif, l’antisémitisme bascule vers un antisémitisme racial. Quant à l’homosexuel, pour reprendre l’analyse de Michel Foucault (1926–1984), il devient un personnage et une nature10.

1 L’historien Zeev Sternhell démontre à quel point la France fut un foyer de l’idéologie fasciste. Voir Zeev Sternhell, La Droite révolutionnaire (1885–1914). Les origines françaises du fascisme, Paris 1998.
3 Ibid., p. 76–77.
4 Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, tome 2: L’âge de la science, Paris 1991 (Point histoire), p. 284–307 ou voir Hannah Arendt, Sur l’antisémitisme, Paris 2005.
5 Paul Jankowski, Cette vilaine affaire Stavisky. Histoire d'un scandale politique. Paris 2000.
6 L’homosexualité présentée comme vice italien auparavant devient vice allemand au moment de l’affaire Eulenburg, du nom de Philipp zu Eulenburg (1847–1921). Cette affaire lors d’une campagne de presse menée de 1907 à 1909 fit scandale en révélant l’entourage prétendument homosexuel de l’empereur Guillaume II (1859–1941).
7 Le bouc émissaire comme rite d’expiation, voir: René Girard, Le Bouc émissaire, Paris 1982.
8 Richard von Krafft-Ebing, Psychopathia sexualis, Stuttgart 1886.
9 En 1960, un député, Paul Mirguet, fera adopter un amendement le 18 juillet 1960 afin de réprimer l’homosexualité classée désormais comme fléau social. Il sera abrogé en décembre 1980.
10 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, tome 1: La volonté de savoir, Paris 1994, p. 59.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Thierry Pastorello, Rezension von/compte rendu de: Chantal Meyer-Plantureux, Antisémitisme et homophobie. Clichés en scène et à l’écran, XIXe–XXe siècles. Préface de Pascal Ory, Paris (CNRS Éditions) 2019, 408 p., ISBN 978-2-271-11801-1, EUR 25,00., in: Francia-Recensio 2019/4, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.4.68651