Ce livre réunit les contributions du 54e colloque de Fanjeaux, qui s’est tenu en juillet 2018. Les rapports entre Église et violence y sont envisagés en un sens très large: les tentatives de régulation de la violence par l’Église, l’usage de la force armée par les prélats, la violence telle qu’elle est perçue par les clercs, représentée dans les sanctuaires comme sur les enseignes de pèlerinage, ou encore la place qu’elle tient dans les discours, des sermons des religieux mendiants aux lettres d’Innocent III.

On remarquera en particulier l’article de Sébastien Fray, »Supérieurs bénédictins et conduites guerrières dans le Sud-Ouest de la Gaule (Xe–XIIIe siècles)«, qui met en évidence des comportements belliqueux parmi les abbés bénédictins du Moyen Âge central, conduites encore trop souvent attribuées aux seuls évêques d’Empire. Cet article, ainsi que des travaux récents comme celui de Daniel Gerrard sur l’Angleterre1, démontrent qu’ils étaient assez répandus dans d’autres parties de l’Europe, même après la Réforme grégorienne, et remettent en question leur caractère déviant. Toujours sur l’activité guerrière des prélats, Xavier Hélary et François Arbelet étudient la question du service militaire que les officiers du roi de France tentent d’imposer, sans succès, aux évêques de Languedoc au XIIIe siècle.

Dominique Barthélémy revient sur le thème des »paix de Dieu« ou »paix diocésaines«, dont il met en évidence le caractère »souvent martial« (p. 32), parce que reposant sur l’existence d’une »armée de paix«, généralement nommée »commune« dans les sources, et dont la mission était de réprimer les violateurs du pacte de paix, si les censures ecclésiastiques ne suffisaient pas. Damien Carraz analyse quant à lui l’intégration de la lutte contre les hérésies et toute autre forme de dissidence à ces paix diocésaines à partir du concile de Montpellier de 1215, au cours duquel les prélats assemblés sous l’égide du légat pontifical tentèrent d’œuvrer à une remise en ordre du Midi, suite à ce qui semblait alors être la victoire des croisés. Celle-ci s’accompagna d’un développement sans précédent des pouvoirs de coercition, qu’ils fussent ecclésiastiques ou princiers; une évolution qui, si elle avait pour objectif le maintien de la paix, exacerba dans le Midi les tensions déjà présentes au sein des villes et alimenta la violence communale, selon Simone Balossino.

Les idées qui sous-tendaient cet usage de la force armée et de la répression pour défendre l’ordre voulu par la »théocratie pontificale« sont abordées (entre autres) dans un second groupe de contributions, consacrées à la perception de la violence par les gens d’Église. Il s’agit d’abord de la justification du recours à la violence par les autorités ecclésiastiques, notamment Innocent III lors de la croisade de Languedoc (contribution de Françoise Durand). Guy Lobrichon montre comment le discours de l’Église et des clercs savants au sujet des hérétiques a évolué du IXe au XIIIe siècle, les arguments vétéro-testamentaires perdant peu à peu de leur importance au sujet du droit romain, qui permettait d’associer l’hérésie au crime de lèse-majesté et de justifier pleinement la persécution de toute pratique déviante. D’autres études concernant la place de la violence dans l’hagiographie, l’iconographie des églises, ou encore les exempla des prédicateurs complètent le dossier.

On note en particulier celle d’Esther Dehoux, qui à travers l’examen d’enseignes de pèlerinage à l’effigie de saint Guilhem de Gellone, révèle la concurrence qui pouvait exister entre saints militaires, et la manière dont les établissements religieux pouvaient faire évoluer l’image de leur saint patron pour s’adapter aux goûts nouveaux et maintenir sa popularité; en somme un aspect bien concret de la religiosité médiévale. John France explore un autre aspect de la piété populaire, en retraçant les liens de filiation entre les idées des mystiques de la première croisade (Pierre Barthélémy par exemple) et les mouvements hérétiques des XIIe et XIIIe siècles: la méfiance des évêques aurait conduit peu à peu à les classer dans l’hétérodoxie.

Enfin, comme il se doit dans un recueil consacré au Languedoc, une série de contributions est consacrée spécifiquement à la croisade de 1209–1229 et à la répression qui l’accompagna puis la suivit. Outre les exemples déjà cités, sont étudiées les violences de la croisade et leur résonance, à travers le plus que célèbre massacre de Béziers en 1209 (Jean-Louis Biget); ou encore la critique des évêques justifiant la guerre sainte par l’Anonyme de la croisade (Georges Passerat). De même, l’analyse du discours de saint Dominique par Nicole Bériou et Bernard Hodel permet de relativiser l’opposition entre l’idéal de prédication de celui-ci et la répression voulue par Innocent III: le frère mendiant semble bien avoir considéré la croisade comme un châtiment mérité pour les impénitents. Voilà qui annonce déjà la forte présence des Dominicains dans l’Inquisition.

Dans l’ensemble, cet ouvrage collectif présente des points de vue variés et nuancés. Certaines contributions défrichent des terrains qui, sans être totalement inexplorés, sont encore assez vierges de recherches, en France particulièrement. Tels que ces actes le laissent voir, les rapports entre Église et violence sont complexes, ils évoluent avec le temps, en fonction du développement des pouvoirs ecclésiastiques, et en réaction aux événements. L’analyse de la perception de la violence par le clergé nous invite à considérer les discours et les actes des ecclésiastiques comme partie prenante d’une société dans laquelle les rapports de force et la coercition sont des éléments omniprésents, voire structurants. Au delà des généralités, des spécificités propres au Languedoc se dégagent: comme le rappelle Dominique Barthélémy dans les conclusions, le développement des hérésies, ainsi que l’éloignement du pouvoir royal, même après la prise en main de la région par les Capétiens, favorisent plus qu’ailleurs en France une implication forte des dignitaires de l’Église dans les affaires de maintien de la paix, et donc de répression.

1 Daniel Gerrard, The Church at War. The Military Activities of Bishops, Abbots, and Other Clergy in England, c. 900–1200, Londres, New York 2017.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Fabien Roucole, Rezension von/compte rendu de: Daniel Le Blévec, Dominique Barthélemy, Michelle Fournié (dir.), L’Église et la violence (Xe–XIIIe siècle), Toulouse (Éditions Privat) 2019, 449 p. (Cahiers de Fanjeaux, 54), ISBN 978-2-7089-3459-7, EUR 35,50., in: Francia-Recensio 2020/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.1.71480