Issue d’une thèse soutenue à l’université de Fribourg de 2014, la monographie de Heinrich Speich est consacrée au sujet du Burgrecht. Dans la langue allemande et la terminologie historiographique, cette notion se prête facilement à des confusions et à des malentendus. Dans sa préface, l’auteur en cite un exemple et constate que, suite à l’emploi très variable de ce mot par les sources médiévales, il serait impossible d’en donner une définition précise. D’après lui, la fluidité de la terminologie et son caractère insaisissable représentent l’essence même de ce type de sources (p. 13–14). Ainsi, au début, H. Speich présente d’abord l’histoire terminologique et la carrière historiographique du terme et il explique ses significations multiples. Il annonce que, dans son étude, il utilisera le concept de Burgrecht comme chiffre pour décrire toutes les formes de naturalisation et d’acceptation comme citoyen d’une ville qui furent soumises à des conditions particulières (»stellvertretend für alle städtischen Einbürgerungen unter Sonderkonditionen«, p. 33. »Burgrechte waren Einbürgerungen unter Sonderkonditionen«, p. 274).

Cet instrument juridique fut appliqué à des personnes et à des collectivités (autres villes, monastères, institutions religieuses, communautés de vallées, communes rurales, etc.). Le mot Burgrecht renvoie à des connotations diverses: à des agglomérations fortifiées/châteaux (Burgen) et leur droit, aux traductions latines burgari, cives, burgensia, burgesia et françaises dont combourgeoisie (par exemple en traduction du latin concivilitas du Burgrecht latin d’Aymon de Savoye à Berne en 1330), dans des textes médiévaux produits dans l’espace de la Suisse romande, et, particulièrement, dans le contexte des relations entre Fribourg et Berne, des villes qui conclurent plusieurs traités de combourgeoisie1.

Depuis 1518, pour décrire leurs relations, Berne, Fribourg, Soleure et Besançon parlèrent également de civilège (p. 35). L’institution juridique et sa terminologie présentent de nombreuses variantes. En dehors de l’espace suisse, par exemple en Souabe, pour désigner un accord, un pacte ou un traité qui fixe des conditions particulières pour l’entrée dans la citoyenneté urbaine, on trouve également les termes Gedingbürgerschaft, Pakt- ou Satzbürgerschaft. Il s’agit de conditions et d’exigences qui ne correspondent pas au contenu habituel statutaire de l’entrée dans la bourgeoisie de ces villes en question. H. Speich classifie ces textes souabes parmi les Burgrechte au plein sens du terme (p. 36–37) et mentionne exemples de Cologne et de Francfort-sur-le-Main. En général, d’après lui, pour ce type particulier de sources, la phénoménologie et la terminologie floue, de même que le caractère variable des obligations retenues rendent impossible le recours aux instruments traditionnels de la catégorisation des types d’alliances, et la notion se dérobe aux classifications de l’histoire constitutionnelle (p. 43).

Néanmoins, la comparaison avec les résultats de l’historiographie urbaine générale et germanophone montrerait que le cas des Burgrechte en Suisse n’était ni isolé ni exceptionnel. Dès le XIIIe siècle, leur genèse fut liée à l’idée du mouvement des Landfrieden (alliances de paix territoriales) et des ligues urbaines. Après une introduction générale méthodique et la présentation de la situation de sources, l’étude présente un plan en trois chapitres principaux, suivi de perspectives pour recherches futures, de conclusions, d’une partie bibliographique et d’une annexe avec l’édition de 17 exemples de Burgrechtsverträge et de textes similaires liés à ce genre de sources. Le livre finit avec 16 images en couleur (représentations de serments d’entrée en bourgeoisie dans des chroniques, photos de plusieurs Burgrechte et traités d’alliance et de combourgeoisies – dont ceux des exemples particulièrement marquants des traités conclus entre Fribourg et Berne (1243–1403).

Les trois grandes sections thématiques se réfèrent aux aspects suivants:

1. La notion de Burgrecht et ses facettes (terminologie, variantes régionales, différences du contenu, débat terminologique, évolution géographique et chronologique, histoire de l’historiographie, liens avec l’historiographie sur l’Empire médiéval, débats et vicissitudes de l’historiographie nationale suisse et de l’interprétation patriotique téléologique de la genèse de l’ Eidgenossenschaft, la Confédération suisse (mouvement de la geistige Landesverteidigung), tendances de l’historiographie régionale et locale, état actuel de la recherche);

2. Le fonctionnement des Burg- et Landrechte (du droit des bourgeoisies urbaines et des entités territoriales rurales et seigneuriales). Cette partie est centrée sur les acteurs: la ville et ses citoyens, la noblesse et l’Église avec ses évêques, monastères et autres formes d’institutions religieuses et son clergé, le clergé urbain, les communautés rurales, des groupes particuliers dont le statut ne pouvait pas être bien couvert par le droit urbain général comme femmes, juifs, Lombards et artisans spécialisés; genèse des documents, contenu des Burgrechte (serments, obligations militaires et fiscales, délimitation géographique de l’espace d’application des dispositions, relations avec les unions de paix territoriales [Landfriedensordnungen], procédures d’arbitrage, durée de validité, renouvellement, etc.);

3. Un »modèle à succès avec des effets secondaires«, titre quelque peu évocateur. Cette partie du livre présente les chances et risques de l’instrumentalisation politique du Burgrecht et les structures complexes du paysage compliqué d’alliances de l’espace suisse. Ces problèmes sont illustrés par plusieurs études de cas: la coopération et la concurrence entre Fribourg et Berne (depuis le XIIIe siècle jusqu’à l’époque de la Réforme); les relations de Berne avec Saanen et les comtes de Gruyère; la querelle à propos des Raron en Valais (1419) en tant que »guerre par procuration« des grandes puissances suisses, le rôle des Burg- et Landrechte dans la guerre de Zurich (Alter Zürichkrieg, 1436–1450) et au cours du Flumserhandel (1428).

Ces derniers exemples montrent les conséquences ambivalentes du Burgrecht: il pouvait fonctionner comme instrument de protection, moyen d’assouvir les ambitions territoriales et politiques de villes puissantes telles que Berne, Zurich et Lucerne et des cantons campagnards (Länderorte) Uri, Schwytz, Obwald, Nidwald, Glaris et Appenzell et, mi-urbain, de Zoug ainsi que celles d’élites rurales dynamiques. Ce droit pouvait protéger et favoriser l’accès aux marchés et au crédit urbain, mais également créer des dépendances et faire éclater des conflits violents et des guerres. De leur côté, les négociations de paix aboutirent parfois à de nouveaux Burgrechte.

L’étude s’appuie sur la méthode de la nouvelle histoire culturelle du politique (»Kulturgeschichte des Politischen«) qui porte bien des fruits. Elle incite à la réflexion sur la culture des ligues, associations et instruments collectifs de sécurité et de paix, ainsi que sur ses risques. Certains aspects de ce sujet important paraissent encore très flous et attendent leur concrétisation. Ce livre très riche est effectivement une invitation au débat et au dialogue entre l’historiographie suisse et celle consacrée à des phénomènes voisins et à l’Empire médiéval, à la juxtaposition d’approches qui restent souvent trop cloisonnées dans leur propre espace respectif. L’étude générale des acteurs collectifs de l’histoire médiévale, des ligues, alliances et autres instruments juridiques en profiterait largement.

1 Heinrich Speich renvoie également à la définition suivante: https://www.cnrtl.fr/definition/combourgeois (consulté le 16/02/2020). Parmi les définitions de combourgeoisie figure la suivante: »Droit de bourgeoisie attribué anciennement en Suisse aux citoyens de villes associées dans la défense de leurs intérêts communs« accompagné du renvoi à Genève, Fribourg et Berne.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Gisela Naegle, Rezension von/compte rendu de: Heinrich Speich, Burgrecht. Von der Einbürgerung zum politischen Bündnis im Spätmittelalter, Ostfildern (Jan Thorbecke Verlag) 2019, 419 S., 16 farb. Abb., 5 s/w Tab. (Vorträge und Forschungen. Sonderband, 59), ISBN 978-3-7995-6769-5, EUR 52,00., in: Francia-Recensio 2020/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.1.71486