Les 15–16 avril 2013 s’est tenu au Corpus Christi College à Cambridge le premier colloque entièrement consacré à Herbert de Bosham. Il était organisé par Michael Staunton et Christophe de Hamel et la plupart des interventions ont été réunies dans un livre qui, en attendant une synthèse complète, aujourd’hui prématurée, fournit du moins un panorama très riche, très instructif et très vivant des études sur ce »deuxième rôle« de premier ordre que fut Herbert de Bosham. En introduction, l’un des organisateurs, Michael Staunton, résume ce qu’on peut savoir sur sa vie, qui débute vers 1120; sur sa carrière, au service surtout de Thomas Becket († 1170); et sur ses œuvres d’une grande variété: révision de la »Magna glosatura«, c’est-à-dire la glose de son ancien maître Pierre Lombard sur le Psautier et les épîtres de saint Paul; »Historia«, c’est-à-dire une vie de saint Thomas Becket, évêque et martyr, qui forme, avec le »Liber Melorum« (où sont méthodiquement présentées les ressemblances entre Becket et le Christ), ainsi qu’une »Homélie sur saint Thomas« et les »Constitutions de Clarendon«, un volume unique consacré à Thomas, que Herbert, jouant sur les mots, intitule »Thomus«; une collection de 47 lettres, conservée dans Cambridge, Corpus Christi Coll. 123, f. 1r–64v; un commentaire des Psaumes selon le sens littéral, qui révèle des compétences d’hébraïste sans égal à travers tout le Moyen Âge.

Les deux études qui suivent sont consacrées aux relations de Herbert avec les deux personnages qui ont le plus compté pour lui: Thomas Becket et Pierre Lombard. Anne J. Duggan, qui a édité la correspondance du premier, examine les rôles d’ambassadeur, de conseiller, d’érudit, de secrétaire et de confident loyal qu’exerça Herbert de Bosham auprès de l’archevêque de Cantorbéry, en compagnie de Jean de Salisbury (p. 29–54). Matthew Doyle, auteur d’un livre sur »Pierre Lombard et ses étudiants«, s’intéresse aux aspects de l’œuvre de Herbert qui marquent sa dépendance envers le Maître des Sentences, dont il a suivi les cours à Paris des années 1140 jusqu’au milieu des années 1150: cet enseignement transparaît dans les écrits de Herbert, et surtout dans son choix d’éditer dans quatre volumes, dont on reparle ci-dessous, le commentaire de Pierre sur les Psaumes et les épîtres de Paul (p. 55–63). Laura Cleaver, historienne d’art, s’intéresse à ces quatre manuscrits minutieusement glosés, abondamment corrigés et splendidement enluminés: Herbert de Bosham en a suivi de près la production, souhaitant les dédier à Thomas Becket, et même si l’assassinat de ce dernier l’a conduit ensuite à choisir un autre dédicataire, les choix iconographiques se ressentent de cette destination première (p. 66–86).

Julie Barrau, spécialiste des collections de lettres à l’époque de Thomas Becket, étudie celle constituée par Herbert lui-même: leur ton passionné, vindicatif même, et leur érudition, en particulier l’usage de la typologie biblique pour rattacher à l’histoire sainte les événements du présent, servent les buts et reflètent la personnalité d’un savant et activiste entièrement dévoué à la personne de Thomas Becket (p. 87–103). Michael Staunton, spécialiste de l’historiographie et de l’hagiographie médiévale, étudie la vie de Thomas Becket par Herbert, vie que ce dernier nomme lui-même »Historia«, pour y étudier les thèmes du temps et du changement et montrer comment, aux yeux de Herbert, toutes les ruptures et transformations, dans la vie de Thomas, convergent vers sa fin glorieuse (p. 104–126).

Nicholas Vincent, qui a travaillé sur la »Magna Carta« et les actes royaux anglais, consacre sa contribution à l’édition des opera de Herbert par John Allen Giles (1808–1884), parue en 1845–1846 et reprise en 1854 par Migne, ainsi qu’aux circonstances dramatiques et aux limites scientifiques de ce travail: hâtive et incomplète, elle n’en a pas moins permis l’essor des études sur Herbert (p. 127–155). Sabina Flanagan, spécialiste de Hildegarde de Bingen et de littérature religieuse, surtout dans la seconde moitié du XIIe siècle, raconte la destinée rocambolesque des membra disjecta du manuscrit Arras, bibl. mun., 649, qui contient la vie de Thomas Becket par Herbert: un bibliothécaire frauduleux du nom de Caron y découpa pour les vendre une vingtaine environ de feuillets, dont une partie fut rachetée par Sir Thomas Phillipps et s’égara dans sa bibliothèque avant d’être retrouvée et acquise par la Lambeth Palace Library, tandis qu’une autre partie, revendue par Phillipps à un autre collectionneur, parvint à la bibliothèque de Calais où elle brûla au cours de la première guerre mondiale (p. 156–167).

Christopher de Hamel, un des organisateurs du colloque, bien connu des historiens d’art pour ses travaux sur les bibles glosées et les manuscrits enluminés, raconte plaisamment ses rencontres avec Herbert, c’est-à-dire comment divers hasards lui ont fait rencontrer ou acquérir, d’abord à son insu, plusieurs fragments de ses manuscrits (p. 168–183). Enfin, une lettre de Herbert récemment découverte, est en appendice introduite, éditée (à partir du cartulaire de Sainte-Geneviève, manuscrit Paris, bibl. Sainte-Geneviève, 356, p. 224) et traduite par Nicholas Vincent. Herbert y confirme avoir été présent à la séance où le cardinal légat Pierre de Pavie met fin à un conflit opposant l’abbaye de Sainte-Geneviève à deux hommes de Vanves, Thibaut et Eudes du Val (plutôt que »de Val«). L’un des intérêts de cette lettre est qu’elle confirme – s’il en était besoin – la vive piété de Herbert envers l’archevêque qu’il a servi: lui-même s’y présente comme »Herbert de Boseham, clerc de notre glorieux martyr saint Thomas« (p. 184–187).

L’ensemble forme donc un ouvrage d’une grande qualité, qui plus est d’une lecture agréable. En outre, il est à ce jour l’unique monographie sur un personnage longtemps sous-étudié, mais dont l’importance est clairement confirmée par les auteurs: non seulement comme témoin et acteur dans le conflit qui opposa Thomas Becket à Henri II, mais encore comme écrivain et penseur original, et encore comme hébraïste exceptionnel et connaisseur des Écritures. Deux limites cependant font espérer que des travaux ultérieurs complèteront celui-ci, pionnier. D’abord, le choix des contributeurs (excellents), venus du Royaume-Uni, d’Irlande, d’Australie et du Canada, se cantonne strictement au monde académique anglophone. Or la personnalité littéraire et intellectuelle de Herbert, formé à Paris par des maîtres venus d’Italie et probablement de Saxe, puis qui n’a cessé d’aller et venir entre l’Angleterre et le Continent, vaudrait aussi d’être étudiée, plus largement, dans des universités et centres de recherche de langue allemande, française, italienne, que sais-je.

D’autre part le Herbert étudié, hormis l’introduction plus générale de Michael Staunton, se concentre sur quelques aspects parmi bien d’autres de la personnalité littéraire et intellectuelle de Herbert. Par exemple, sa langue au vaste lexique, son écriture vigoureuse et travaillée, la structure originale de ses travaux sur Thomas Becket, son riche éventail de sources, en particulier classiques, son exceptionnelle connaissance de l’hébreu (probablement la plus étonnante de ses aptitudes), sa pensée enfin formée à l’école du Lombard mais aussi à Saint-Victor, mériteraient aussi d’être explorées: on souhaite donc que le présent ouvrage en suscite d’autres, qui le prolongent et le complètent. On s’excusera pour finir de mentionner quelques approximations en histoire intellectuelle (Pierre Lombard n’a jamais été condamné comme hérétique p. VIII, confusion entre theologia mystica et »mysticism« p. 3) et quelques peccadilles en latin (intueabar p. 11, nequaquam confondu avec numquam p 57). De même l’édition princeps en appendice n’est pas vraisemblable quand, sous la plume d’un fin lettré comme Herbert, elle écrit: »Quod vidimus et audiuimus hec testamur«; d’autre part les graphies Genouese (p. 186), surtout dans un manuscrit produit à Sainte-Geneviève même, doivent bien sûr être corrigées en Genouefe.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Dominique Poirel, Rezension von/compte rendu de: Michael Staunton (ed.), Herbert of Bosham. A Medieval Polymath, Rochester, NY (York Medieval Press) 2019, 217 p., 13 col. ill., ISBN 978-1-903153-88-8, USD 99,00., in: Francia-Recensio 2020/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.1.71487