Craig Taylor est un spécialiste de la chevalerie à la fin du Moyen Âge1, et il a traduit, avec Jane H. M. Taylor, la vie de Boucicaut2. Il était donc destiné à écrire un livre sur le maréchal Boucicaut, dont la biographie a été publiée par Denis Lalande en 19883.

L’auteur se propose de relire cette biographie dans le contexte du débat sur la chevalerie vers 1400, tout en la remettant dans son contexte. Son premier chapitre (»The Life of Jean II Le Meingre, dit Boucicaut [1366–1421]«, p. 11–47) est d’ailleurs consacré à la vie de Boucicaut, reprenant Denis Lalande, tout en le complétant par des sources que celui-ci n’avait pas vues ou par des travaux publiés depuis la parution de son livre. L’auteur présente sa famille (son père homonyme de nom et de sobriquet, déjà maréchal de France) et ses débuts, son élévation au maréchalat en 1391 (à 25 ans), l’expédition de Nicopolis en 1396, le secours à Constantinople en 1399, les »communautés chevaleresques« en 1400–1401 (Boucicaut ayant fondé son ordre de la Dame blanche à l’écu vert le 11 avril 14004), le gouvernat de Gênes de 1401 à 1410 et la tentative de résoudre le Grand Schisme, le retour en France, Azincourt, la captivité et la mort.

Après la vie, vient l’étude du récit de cette vie, objet du deuxième chapitre (»The Livre des fais du bon messire Jehan le Maingre«, p. 48–73). Le »Livre« fut rédigé du vivant même de Boucicaut (ce qui était inhabituel), fut achevé le 9 avril 1409 et est conservé en un seul manuscrit (BnF, ms. fr. 11 432, publié par Denis Lalande en 19855), où l’on a laissé des espaces libres pour des miniatures. L’auteur en est anonyme et déclare écrire à la demande de plusieurs chevaliers proches du maréchal depuis sa jeunesse afin que ne périssent pas »le nom et bienfait de si vaillant preudomme«6. Cependant, le »Livre« a été achevé dans la hâte, ce qui incite Craig Taylor à penser que le public visé était la cour de France (notamment les princes du sang), où l’on médisait du gouverneur de Gênes. Le problème non résolu est celui de l’auteur. Hélène Millet a proposé Nicolas de Gonesse, qui aurait été chapelain de Boucicaut à partir de 1405. Si l’on pouvait lui attribuer la quatrième partie sur les vertus et bonnes mœurs du maréchal, tout ce qui concerne sa vie propre ne pourrait venir que d’un compagnon d’armes, Jean de Châteaumorand, ou Jean d’Ogny (et non d’Ony) qui a la préférence de Craig Taylor.

Le »Livre des fais« étant avant tout une défense de Boucicaut, Craig Taylor revient, dans son troisième chapitre (»Defending the Marshal«, p. 74–99), sur différents épisodes de sa vie qui ont été des échecs et qui ont suscité des critiques: ses démarches afin de mettre fin au schisme entre le pape d’Avignon Benoît XIII (qu’il soutenait) et le pape de Rome Grégoire XII, sa vente de Pise à Florence en 1405, sa conduite inconséquente à Nicopolis, sa défaite navale face aux Vénitiens à Modon en 1403, sa gestion de Gênes, qui a entraîné un soulèvement contre lui.

Craig Taylor passe ensuite, dans le quatrième chapitre (»A Flower of Knighthood«, p. 100–129), aux valeurs incarnées par Boucicaut et qui en ont fait un parangon de chevalerie: la prouesse et le courage, la loyauté, la fidélité et le service, l’honneur et la vertu, toutes illustrées par des exemples rapportés dans le »Livre des fais«.

Enfin, dans un dernier chapitre (»The Virtues, the Good Habits and the Good Disposition of the Marshal«, p. 130–158), Craig Taylor s’intéresse plus particulièrement à la quatrième partie du »Livre des fais«, en replaçant les thèmes développés dans le contexte de la cour de France à la fin du XIVe et au début du XVe siècle, notamment par la traduction française des »Faits et dits mémorables« de Valère Maxime par Simon de Hesdin, achevée par Nicolas de Gonesse et les écrits de Christine de Pizan: la vertu et la fortune, la piété et la charité, la discipline personnelle, la justice l’éloquence et la sagesse.

Dans sa conclusion, l’auteur revient sur le thème principal de son livre: le »Livre des fais« est un ouvrage de défense du maréchal Boucicaut, qui s’inscrit dans le débat sur la chevalerie à la cour de France vers 1400. L’ouvrage est précédé par une chronologie (p. XII–XIII) et est complété par une copieuse bibliographie et un index.

L’on aurait aimé que Craig Taylor s’intéressât plus aux zones d’ombre de Jean II Le Meingre (un piètre stratège, un homme avide d’argent bien qu’il ne fût pas le seul), mais il nous offre un livre indispensable sur Boucicaut et sa biographie, le »Livre des fais«7.

1 Cf. Craig Taylor, Chivalry and the Ideals of Knighthood in France during the Hundred Years War, Cambridge 2013.
2 Id., Jane H. M. Taylor (transl.), The Chivalric Biography of Boucicaut, Jean II Le Meingre, Woodbridge 2016.
3 Denis Lalande, Jean II le Meingre, dit Boucicaut: 1366–1421. Étude d’une biographie héroïque, Genève 1988 (Publications romanes et françaises, 184).
4 Pour le contexte, je me permets de citer mon étude Ordres, devises, sociétés chevaleresques et la cour, vers 1400, dans: Murielle Gaude-Ferragu, Bruno Laurioux, Jacques Paviot (dir.), La cour du Prince. Cour de France, cours d’Europe, XIIe–XVe siècle, Paris 2011 (Études d’histoire médiévale, 13), p. 271–280.
5 Denis Lalande (éd.), Le Livre des fais du bon messire Jehan le Maingre, dit Bouciquaut, mareschal de France et gouverneur de Jennes, Genève 1985 (Textes littéraires français, 331).
6 Ibid., p. 10.
7 L’ouvrage aurait mérité une relecture: p. 26 et 32, il faut identifier les lieux et indiquer leur nom actuel (Rive, orthographié Rove p. 69, est Riva, Girol Yoros, Candelore Alanya); p. 34, Amédée VIII de Savoie n’était pas encore duc en 1408; p. 107, »hardement« et »vaillance« ne sont pas des adjectifs mais des noms; p. 127, le fondateur de l’ordre de l’Arbre d’or n’est pas Jean sans Peur mais Philippe le Hardi (ce qui est indiqué en note); tout au long du texte, ce n’est pas »Philippe Le Hardi« ou »Jean Sans Peur«, mais Philippe le Hardi et Jean sans Peur; on ne cite pas des personnes par le nom, qui peut n’être que celui de leur lieu d’origine: Gonesse, Hesdin, Pizan (Pizzano); enfin l’auteur a un problème avec la lettre é: le chartiste éditeur de textes est Henri Moranvillé et non »Moranville«, le jeune historien Fabien Levy non »Lévy«, et, p. 160, n. 6, c’est »né«: Boucicaut est né et non »ne« à Tours.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Craig Taylor, A Virtuous Knight. Defending Marshal Boucicaut (Jean II Le Meingre, 1366–1421), Rochester, NY (York Medieval Press) 2019, XIV–203 p., 1 b/w, 3 line ill., ISBN 978-1-903153-91-8, USD 99,00., in: Francia-Recensio 2020/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.1.71489