Les historiens du Proche-Orient au XIIe siècle connaissent le rapport de Burchard, un clerc que l’empereur Frédéric Ier Barberousse a envoyé en mission auprès de Saladin en 1175. Sa relation est assez courte, 17 demi-pages (l’autre moitié étant occupée par les variantes), pour lesquelles Christiane M. Thomsen propose plus de cinq cents pages de commentaire! Ceci dit, son travail est passionnant, et sa longueur est expliquée par le fait qu’il s’agit de la publication d’une thèse présentée à l’université Humboldt de Berlin dans le semestre d’hiver 2015–2016.

La plus ancienne édition du texte a été faite par Arnold de Lubeck qui l’a introduit dans sa »Chronica« en 1209, en l’attribuant erronément à un Gerardus. D’autres témoins et indications montrent qu’il était connu à la fin du Moyen Âge.

Après une introduction où elle présente l’état de la question, sa démarche et le plan de son travail (p. 1–19), C. M. Thomsen s’intéresse d’abord à la forme et à la fonction du texte (p. 20–66), qui est une prima materia, un matériau historique dont elle définit le genre, relation de voyage, avant d’en étudier la forme et la structure, entre exordium et narratio, la langue et la fonction communicative.

Le deuxième chapitre, énorme (p. 67–310) et qui est le cœur du travail, est consacré au rapport à la réalité et à l’actualité de la relation de Burchard. C. M. Thomsen suit en détail l’ambassade de Frédéric Ier: le voyage par mer de Gênes (6 septembre) à Alexandrie (23 octobre 1175), à bord d’un navire marchand, par la Corse, la Sicile, l’Ifriqiya (Tunisie) et la »Barbarie« (Libye), puis le delta du Nil, »Babylone« et Le Caire avec les pyramides et le jardin du Baume, du Caire à Damas via Bosra (donc en évitant les États latins) en 20 étapes, et avec le pèlerinage à Saidnaya, et le retour de Damas à Fustat, avec le pèlerinage aux Lieux saints (via Acre à Jérusalem, puis Ascalon). Non seulement elle suit l’ambassade, mais elle donne aussi toutes les informations concernant la géographie, l’histoire et l’activité économique des places traversées. Elle présente ensuite les habitants rencontrés ou dont Burchard a entendu parler: les Assassins, les musulmans, mais sans s’arrêter aux chrétiens orientaux.

Le troisième chapitre (p. 311–341) est un excursus sur l’image européenne de l’Égypte au XIIe siècle, et dont les thèmes sont la connaissance qu’en avaient les Anciens (mais dont beaucoup étaient inconnus au XIIe siècle), la connaissance biblique et religieuse, de nouvelles connaissances (avec un point d’interrogation) dans la littérature médiévale.

C. M. Thomsen aborde seulement dans le quatrième chapitre (p. 342–402) l’ambassade et les ambassadeurs, après avoir montré dans les chapitres précédents l’historicité et l’authenticité du récit de Burchard. Elle fait d’abord le point sur les relations entre les Staufen et les Ayyoubides entre 1172 et 1189: en 1172–1173, l’envoi par Saladin, d’un messager, Abu Tahir, en profitant d’une ambassade génoise du consul Lanfranco Alberico (plutôt qu’Albericus Lanfrancus), en vue d’une union matrimoniale, le contexte de ces relations, enfin l’envoi de l’ambassade de Burchard, dont le but n’est pas clair, n’étant pas dévoilé dans son récit (il ne dit rien non plus de ses rencontres), mais intervenant après la prise de la Syrie par Saladin à la mort de Nûr al-Dîn, la mort du roi de Jérusalem Amaury et l’avènement du roi lépreux Baudouin IV, et en Europe après la paix de Montebello avec les Lombards, ce qui créait des possibilités d’intervention au Proche-Orient: Burchard aurait pu être envoyé pour rassembler des renseignements. Celui-ci se présente comme »Burchard, vidame de Strasbourg« et pourrait être aussi le notaire impérial et le chapelain homonymes contemporains; il serait le fils de Nicolas abbé de Siegburg, né à Cologne.

Enfin, C. M. Thomsen présente une étude de la réception et de l’histoire du texte (p. 402–472): son intégration dans la chronique d’Arnold de Lubeck, dans une compilation sur la Terre sainte en tant que récit de pèlerinage, cité par le pèlerin Thietmar en 1217 et Jacques de Vitry († 1240) dans son »Historia Orientalis«.

Après une courte conclusion (p. 472–477), elle offre l’édition du texte, selon tous les critères philologiques (p. 478–530). Suivent une très copieuse bibliographie (p. 531–648) et un index malheureusement sélectif (p. 649–654).

Christiane M. Thomsen nous donne un magnifique volume, qui peut faire la fierté de la philologie et de l’érudition allemande. C’est une somme encyclopédique que toute historienne et tout historien du XIIe siècle méditerranéen se doit de posséder.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Christiane M. Thomsen, Burchards Bericht über den Orient. Reiseerfahrungen eines staufischen Gesandten im Reich Saladins 1175/1176, Berlin, Boston (De Gruyter Oldenbourg) 2018, X–654 S., 25 Abb. (Europa im Mittelalter. Abhandlungen und Beiträge zur historischen Komparatistik, 29), ISBN 978-3-11-055355-0, EUR 109,95., in: Francia-Recensio 2020/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.1.71489