Ilko-Sascha Kowalczuk est loin d’être un inconnu. Né en 1967 en RDA, il s’est engagé aux côtés des mouvements de citoyens. En 1989, ce passé lui a assuré un bon départ pour les études d’histoire qu’il décida d’entreprendre après la chute de la dictature. Depuis, historien renommé, il a largement contribué au travail de retour sur le passé de la RDA dans différentes commissions. Son excellente connaissance des mécanismes en usage en RDA l’a fait recruter pour travailler sur la Stasi au BStU (Administration fédérale chargée d’administrer les archives de la Stasi) et à la Robert-Havemann-Gesellschaft.

Depuis 2018, il dispose d’une décharge totale de ses obligations professionnelles pour travailler à une biographie de Walter Ulbricht. Le présent ouvrage se veut un bilan du processus d’unification allemande au bout de trente ans. Le titre provocateur, »Die Übernahme« (c’est-à-dire plus ou moins »la reprise«) contient une forte distanciation puisqu’il signifie que l’unification allemande se serait effectuée au seul profit de l’Ouest. Ilko-Sascha Kowalczuk ne va pas pour autant jusqu’à affirmer qu’il s’est agi d’une colonisation de l’Allemagne de l’Est.

Ajoutons qu’il présente son ouvrage comme un essai, ce qui lui laisse une grande liberté pour traiter les sujets qui l’intéressent de manière subjective et sans justifier ses allégations en s’appuyant sur des sources. Le rappel des faits marquants est incontestable et peut être très utile à des lecteurs peu ou mal informés ou servir d’ouvrage de référence à des non-spécialistes, sans apport nouveau notoire. C’est une raison de son succès puisqu’il en est à sa quatrième réédition en quelques mois.

Le ton est souvent très personnel quand Ilko-Sascha Kowalczuk fait état de la colère qu’il a pu ressentir après 1990. Ainsi, on apprend dès les premières pages que son propre père, génération de 1934, membre du SED, a été licencié en 1990 alors qu’il n’occupait pas de position politique. Quant à son beau-père, il est tombé gravement malade, victime d’une politique économique qui lui imposait de payer sur les bénéfices de son entreprise ses »dettes« encourues par le passé (Altschulden) auprès de la RDA alors que les entrepreneurs de l’Ouest en étaient dispensés. C’était déjà, ressenti au plus profond de la sphère familiale, l’inégalité de traitement pour les citoyens originaires de l’Est. Dans les milieux de la presse, de l’université, les personnes arrivant de l’Ouest étaient privilégiées pour l’attribution de postes, ce qui leur permettait d’occuper d’emblée des positions clés et a – selon lui – perduré pendant les trente dernières années.

Ilko-Sascha Kowalczuk en a conclu – un peu comme Daniela Dahn – que les Allemands de l’Est ont été et demeurent des »citoyens de deuxième classe«, majoritairement touchés par le chômage après les fermetures d’entreprises. Les personnes engagées dans le mouvement des citoyens, responsable de la chute de la RDA, n’ont guère été écoutées et leurs revendications mal prises en compte dans le processus d’unification allemande, une »construction artificielle« privilégiant au pas de course l’union monétaire, certes réclamée par une majorité de citoyens de la RDA peu au fait des conséquences. En contrepartie, ils ont perdu nombre des avantages de leur système social (crèches, gratuité de l’éducation, prise en charge des associations culturelles, des vacances et soutien étroit des retraités). Si Ilko-Sascha Kowalczuk n’est pas un nostalgique de la RDA qui nie les libertés acquises, il insiste beaucoup sur un programme déstabilisant pour beaucoup de personnes, insécurisées par la perte de leur identité.

Dans plusieurs chapitres, Ilko-Sascha Kowalczuk revient sur les erreurs commises au cours de l’unification allemande, en particulier la »justice des vainqueurs«. Il estime que la place de la Stasi en RDA a été exagérée à l’Ouest. Il regrette vivement que le projet de »nouvelle constitution allemande« soit demeuré lettre morte en dépit des promesses faites en 1990. À son avis, la réflexion lancée sur un sujet de cette importance aurait permis et permettrait encore de renforcer le sentiment évanescent d’appartenance à une même nation démocratique. Il faudrait également trouver un nouvel hymne national que l’on puisse chanter en commun.

Voilà en conclusion quelques propositions optimistes pour pallier aux dangers qu’implique la montée de l’AfD (Alternative für Deutschland) qui se nourrit de ces rancœurs.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Anne-Marie Corbin, Rezension von/compte rendu de: Ilko-Sascha Kowalczuk, Die Übernahme. Wie Ostdeutschland Teil der Bundesrepublik wurde, München (C. H. Beck) 2019, 319 p., ISBN 978-3-406-74020-6, EUR 16,95., in: Francia-Recensio 2020/1, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.1.71650