Le présent ouvrage est la version allemande remaniée et raccourcie de la thèse de Bérénice Zunino soutenue en 2014 dans le cadre d’une cotutelle entre l’université de Paris-Sorbonne (Paris IV) et la Freie Universität Berlin. L’ouvrage interroge la mobilisation des enfants pendant la Première Guerre mondiale en Allemagne au moyen de la culture de guerre et de la littérature de guerre pour enfants. Le corpus se compose principalement d’albums illustrés produits par des maisons d’éditions spécialisées. À cela s’ajoute un échantillon de livres pertinents pour cette étude composé de livres et de journaux pour enfants illustrés. Cette étude qualitative a été menée dans environ 20 bibliothèques, musées et centres d’archives dont certains parcours de fabrications ont pu être reconstruits (p. 47–49). Le livre, clair et bien construit, se décline en quatre chapitres suivant un schéma chronologique.

Le premier chapitre présente les images canoniques traditionnellement utilisées dans la culture de guerre enfantine avant 1914. En effet, la littérature de guerre enfantine reflète l’héroïsme des guerres du XIXe°siècle qui fait partie de la culture de mémoire de l’Empire allemand. L’iconographie est »héroïque« (p. 64), les scènes illustrées représentent généralement un chef triomphant sur son cheval au premier plan d’un champ de bataille (p. 67–81). La flotte marine est également mise en avant, elle qui fait la fierté du régime de Guillaume II, mettant ainsi en avant la technique et la modernité de la guerre.

Enfin, le centenaire de la »bataille des Nations« en 1913 renforce d’autant plus l’image canonique de l’héroïsme guerrier et utilise la littérature pour enfant comme instrument politique agressif et nationaliste (p. 97). Si la littérature pour enfant se concentre à cette période sur les figures héroïques, les images d’ennemis sont évincées et laissent place à une légitimation de la nation allemande. En maintenant le prestige, cette culture de la mémoire a une fonction de stabilisation. Néanmoins, l’auteure rappelle que l’accès à cette littérature reste restreint car les livres ont un coût que seul 10% de la population peuvent s’offrir à cette époque (p. 59).

Après avoir contextualisé la période qui précède la Grande Guerre, Bérénice Zunino entre dans le vif du sujet en nous proposant une analyse de l’apparition progressive de la littérature pour enfants tout au long de la Première Guerre mondiale. En effet le début de la guerre a des conséquences importantes à la fois sur les maisons d’éditions, mais aussi sur les stratégies de mobilisation des enfants au niveau visuel. Le marché du livre est bouleversé subitement par la guerre: tandis que certaines maisons d’éditions s’adaptent en produisant de la littérature de guerre, d’autres arrêtent complétement la production le temps de la guerre. Quant aux stratégies visuelles mises en place, elles sont, au début de la guerre du moins, en continuité avec la culture de mémoire d’avant-guerre, c’est-à-dire toujours centrées sur l’iconographie héroïque traditionnelle. En effet, le répertoire d’image n’a pas changé, on retrouve les mêmes stéréotypes avec des généraux triomphants sur leur cheval, maintenant l’illusion d’une guerre de mouvement bien que la Grande Guerre soit une guerre de tranchées. Cette idéalisation de la guerre de mouvement, et des images canoniques semble plus adaptée aux enfants, et permet d’ignorer les terribles conditions de vie dans les tranchées.

Le troisième chapitre s’attèle à la mobilisation psychologique des jeunes enfants. Dans ce but les albums illustrés diffusent une iconographie politique, au moyen de caricatures aux allures enfantines et de l’Hurrakitsch1. La guerre s’adapte aux enfants et les livres pour enfants représentent désormais la figure de l’ennemi. Le but est de mettre l’accent sur l’origine des ennemis et de les dépeindre comme les seuls déclencheurs de la guerre (p. 168–173).

Néanmoins Bérénice Zunino soutient que, les caricatures ont avant tout un but de distraction, plutôt que d’incitation à la haine, comme cela a pu être le cas en France à l’égard des Allemands. Pendant la guerre, la mobilisation des enfants s’étend même aux enfants en bas âge, qui ne vont pas encore à l’école. Les personnages dans les caricatures ont des allures enfantines, des visages ronds, certains ont même le sourire aux lèvres. S’il est difficile d’évaluer l’ampleur du phénomène de cette mobilisation psychologique, Bérénice Zunino affirme que celle-ci a été voulue par différents acteurs, que ce soient les éducateurs et pédagogues, mais aussi les parents et le personnel administratif des écoles (p. 190).

À partir de 1916, la mobilisation des enfants, n’est plus seulement psychologique, mais devient également matérielle, c’est l’objet du quatrième et dernier chapitre. D’un côté, Bérénice Zunino nous présente le mythe des »enfants héroïques« (p. 193), s’engageant dans la guerre, pratiquant le sabotage, ou parcourant les champs de bataille pour aider les soldats blessés. Entre mythe et réalité, des images mettent en scène ces »enfants-héros«, mais s’inspirent aussi de faits réels, telle Rosa Zenoch, fillette amputée d’un pied après avoir porté secours à des soldats au front (p. 196).

D’un autre côté, les livres pour enfants encouragent la mobilisation matérielle en représentant des enfants participant à des collectes de déchets, de plantes sauvages, ou encore de divers métaux (p. 207). Vers la fin de la guerre la mobilisation s’oriente surtout vers la diffusion de la valeur du sacrifice pour tenter de minimiser la fatigue de guerre et la famine. Enfin, Bérénice Zunino montre le désintérêt progressif à partir de 1916 de la culture de guerre dans les livres pour enfants jusqu’au silence d’après-guerre à cause de cette victoire promise qui n’est jamais venue (p. 234).

Bérénice Zunino conclut l’ouvrage sur un point très pertinent: l’influence de ces livres sur les enfants qui grandiront plus tard dans le régime nazi. La culture de guerre prégnante chez les enfants pendant la Première Guerre mondiale aurait joué un rôle dans la reconstruction de ce passé secoué. L’auteure offre aux lecteurs une étude claire, bien menée et convaincante et contribue ainsi à l’histoire de l’enfance en guerre, et à l’histoire culturelle et sociale de la Première Guerre mondiale.

1 Terme qui définit un mouvement iconographique lié au patriotisme allemand dès 1860–1870 mettant en avant des caractéristiques »kitsch« de la guerre. Voir: Hans-Dieter Gelfert, Was ist Kitsch?, Göttingen 2000, p. 58–59.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Gwendoline Cicottini, Rezension von/compte rendu de: Bérénice Zunino, Die Mobilmachung der Kinder im Ersten Weltkrieg. Kriegskultur und illustrierte Kriegskinderliteratur im Deutschen Kaiserreich (1911–1918), Frankfurt a. M. (Peter Lang Edition) 2019, 322 S., 44 s/w Abb. (Zivilisationen und Geschichte, 56), ISBN 978-3-631-66392-9, CHF 65,40., in: Francia-Recensio 2020/1, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.1.71661