Ce volume de 464 pages s’ouvre sur une biographie de Christian Guilleré, »homme d’archives et d’entreprises«, suivie d’une bibliographie raisonnée de ses travaux; il illustre son rayonnement d’administrateur et d’animateur au-delà du pré carré des médiévistes et des universités de sa région, et partant, malgré le plaisir que nous avons eu à les lire, nous avouons notre incompétence à faire le compte rendu de travaux d’histoire ancienne: Fabrice Delrieux, »La représentation des montagnes dans les monnaies grecques d’Asie occidentale«; François Kayser, »Sur quelques inscriptions latines de Haute-Égypte«; François Bertrandy, »Vibia Aurelia, filles de Marc-Aurèle, de Rome à la Numidie«, ou concernant l’époque moderne: Michel Bauer, »François de Sales entre France et Savoie«; Alain Becchia, »Chers mariages? ... Analyses des contrats dotaux du bureau d’enregistrement de Chambéry au milieu du XVIIIe siècle«; Frédéric Meyer, »La cave de l’archevêque de Lyon au XVIIIe siècle«; Jean-Yves Champeley, »Le vin et les finances de la communauté urbaine de Romans à la fin de l’Ancien Régime (1775–1780)«.

Cela vaut a fortiori pour les contributions:

- d’histoire contemporaine: Éric Brunat, »Éléments d’histoire économique et de théorie de la régionalisation et des territoires en URSS«;

- de sémantique: Dominique Lagorgette, »›C’est le plus chouette!‹: étude diachronique de l’axiologie d’un nom d’oiseau«;

- de littérature: Patrick Longuet, »Valeur de la voie dévoyée, valeur de l’histoire vécue«; Michel Kohlhauer, »L’histoire à vif: André Malraux et la guerre d’Espagne«; Massimo Lucarelli, »Gadda et le roman de formation: indices intertextuels, procédés éthico-stylistiques et autres notes autour de ›Saint Georges chez les Brocchi‹«; Susanne Berthier-Foglar, »Fiction expérimentale amérindienne et affirmation culturelle: l’exemple de ›The Bird is Gone‹ de Stephen Graham Jones (2003); Claude Cavallero, »Lorand Gaspar, itinéraire d’une errance poétique«; Jean-Pol Madou, »Imaginaire des îles, poétique des archipels. Le Clézio et Glissant«;

- d’arts et humanités numériques (Marc Veyrat, »Supernature. Pour une stratégie hypermédia ≠1«.

La moitié des articles sont du module courant d’une quinzaine de pages, les responsables du volume ont eu la bonne idée d’accorder plus d’espace au dossier numismatique déjà évoqué et à l’étude de Laurent Guichard intitulée »Les deux baptêmes de Constantin: enquête historiographique sur les pas d’Henri Valois et de Lenain de Tillemont«. On suit avec une précision exemplaire comment le récit historique de la »Vita Constantini« d’Eusèbe de Césarée, situant le baptême de Constantin à Nicomédie, se trouve progressivement supplanté par la légende du baptême romain véhiculée par l’»Actus Sylvestri«, sans être jamais totalement oblitéré.

La remise en cause de la »Donation de Constantin« avec l’humanisme et la Réforme et aussi une familiarité renouvelée avec les textes grecs remettent au premier plan la version d’Eusèbe, rendue accessible par l’imprimeur Robert Estienne en 1544. L’édition annotée d’Henri Valois (1659) consacre le ralliement des savants catholiques à la version eusébienne, quoique les catholiques français intransigeants livrent encore à ce sujet un combat d’arrière-garde virulent vers 1840–1860. Restait la question du catéchuménat de Constantin qu’une note de la version latine de Valois faisait commencer à Helenopolis, juste avant son baptême, cas inhabituel. Tout tient à un adverbe (πρϖιον/primum).

Lenain de Tillemont, »gêné par l’image d’un Constantin si longtemps extérieur à l’Église«, s’interrogeait en 1697 sur l’interprétation de ce mot par Valois. L’enquête minutieuse de Laurent Guichard montre comment l’autorité pérenne de l’édition Valois et le rejet par les historiens romanistes de la thèse d’un baptême romain (précédé alors d’un catéchuménat assez long) ont escamoté un débat qui mériterait d’être repris et pourrait déboucher sur une vision plus complexe de la conversion de l’empereur.

Les médiévistes pourront aussi faire leur profit de deux articles touchant à la période des XVe–XVIe siècles. D’abord, l’étude de Jean-Pierre Perrot sur »La fabrique d’un manuscrit de mystère: le cas de l’Histoire de la vie de Sainct Martin jouée à Saint-Martin-la-Porte en 1565«. L’examen paléographique et codicologique du texte, des didascalies et de deux séries de révisions, ainsi que l’analyse de leur contenu montrent qu’il s’agit d’un manuscrit de type »D« (selon la classification de Graham A. Runnals), c’est-à-dire d’un livret révisé en vue d’une seconde représentation.

Andreas Nijenhuis-Bescher, conduit le lecteur dans un puzzle politique et confessionnel avec »Entre Savoie et Corps helvétique. L’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune au temps de l’introduction de la Réforme«. Cartes (hélas un peu petites) à l’appui, on voit comment la progression de l’influence bernoise (et avec elle de la Réforme) ainsi que l’effacement de la Savoie, placent une grande partie des dépendances de l’antique abbaye en zone protestante.

La territorialité des religions aboutit à transformer des églises en temples, mais dans le respect des prérogatives seigneuriales de l’abbaye, le cas le plus étonnant étant celui d’Oron où les catholiques gardent le chœur tandis que les protestants utilisent la nef. Dans le contexte local, les abbés ont d’abord souvent joué le compromis, voire l’alliance, avec Berne mais, placée aux frontières du monde catholique et passée à partir de 1571 sous la tutelle de l’évêque de Sion, l’abbaye finit par devenir un bastion de la défense du catholicisme aux dépens de ses droits.

Ce volume riche et divers mérite le détour.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

François Lainé, Rezension von/compte rendu de: Laurent Ripart, Dominique Lagorgette (dir.), Les bons comptes font les bons amis, Chambéry (Université Savoie-Mont-Blanc) 2017, 464 p., nombr. ill., cartes, tabl. (Mélanges offerts à Christian Guilleré, 2. Sociétés, religions, politiques, 37), ISBN 978-2-919732-61-6, EUR 25,00., in: Francia-Recensio 2020/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.1.71799