Fruit d’un programme collectif de recherche, ce volume est porté par l’ambition de promouvoir le champ des études diplomatico-littéraires, ou diplo-literary studies, en tirant parti des travaux conduits récemment au croisement de ces deux domaines. La période concernée est le XVIe et le XVIIe siècle, à une exception près, relative au XVIIIe siècle. La littérature est entendue dans un sens très large, comme »writing, and associated qualities, that involved imaginative, formal, and rhetorical shaping of material«. Cette définition permet d’inclure dans le spectre des œuvres examinées des écrits juridiques ou politiques (Gentili, Vitoria, Milton), des œuvres dramatiques (Shakespeare, Calderón, Davenant), des compositions poétiques (Camões, Tuberville, Du Bartas, le roi Jacques VI), un roman (Sidney), des histoires (Paruta, Morosini), des manuels (Vera, Bragaccia, Howell) et enfin des écrits de la pratique diplomatique, dus soit à des ambassadeurs (Randolph en Russie et Girardin à Constantinople) soit à des chancelleries (de la reine Élisabeth et des villes impériales allemandes).

Les contributions sont regroupées autour de quatre thèmes correspondant à autant de parties dont la première est intitulée »Literary Engagements«. À partir de l’examen d’écrits relatifs à l’ambassadeur, Joanna Craigwood analyse le thème de l’invention à la fois originelle et simultanée de la diplomatie et de l’éloquence, ainsi indissolublement liées. Timothy Hampton aborde la relation entre diplomatie et espace dans des œuvres dramatiques: prise en main, d’une part, de l’espace théâtral et national par le pouvoir royal (Henri VIII) au détriment d’un pouvoir universel (le légat Wolsey); mise en scène, d’autre part, de la résistance de l’espace domestique ou de celui de la vie spirituelle face à l’éventuelle intrusion des ambassadeurs des princes.

Mark Netzloff met en relief les contradictions entre la pratique diplomatique qui, en Amérique, faisait une place à des alliances entre Européens et communautés de Marrons, et l’élaboration juridique et dramatique qui excluait de tels accords, réservait le bénéfice du droit des gens à la seule Europe et en retournait tragiquement les dispositions contre les populations se trouvant au-delà des lignes d’amitié, c’est-à-dire à l’ouest des Canaries et au sud du tropique du Cancer. Enfin John Watkins illustre le pathos avec lequel Gentili et Sidney enregistraient la distance entre les espoirs de paix attachés à la conclusion des traités et les réalités d’un monde où la parole des princes ne les engageait jamais longtemps et où, pour cette raison, tout accord restait précaire.

Un deuxième volet est consacré à la traduction. Dans un texte où les développements théoriques occupent une place significative, José María Pérez Fernández s’attache à montrer comment »the diplomat, the translator, the editor, and the translated artefacts – textual and otherwise – create and inhabit third spaces between the communities they bring in contact« (p. 92). Catarina Fouto présente plusieurs traductions des Lusiades: en Espagne sous Philippe II, dans un esprit d’appropriation consécutif à l’union des deux monarchies; par l’Anglais Fanshawe, dans une veine littéraire et royaliste, mais sans autre conséquence diplomatique que de susciter son ultérieure nomination comme ambassadeur au Portugal; et enfin par le Gênois Carlo Antonio Paggi, consul à Lisbonne, dans le cadre d’une stratégie où la traduction se fait instrument de la diplomatie. Dans une troisième contribution, Peter Auger met en valeur l’intensité et les implications des échanges poétiques entre Du Bartas et Jacques VI. Leur convergence poétique, exprimée à travers la traduction réciproque de leurs compositions, ne servit pas seulement à forger entre eux une identité littéraire partagée: elle contribua aussi, souligne Auger, à la formation idéologique du protestantisme international.

Troisième thème envisagé, la dissémination des écrits diplomatiques est abordée à travers plusieurs exemples. Joad Raymond suit les tribulations de la »Defensio« rédigée par Milton contre Saumaise, au lendemain de l’exécution de Charles Ier: son naufrage aux Provinces-Unies, en raison de la guerre bientôt déclarée avec l’Angleterre; mais aussi son succès inattendu en Suède, tant auprès de la reine que dans un public plus large, au point d’inciter Milton à tenir compte de ces lecteurs inespérés dans la deuxième édition de son texte. András Kiséry montre comment, en Angleterre, l’information diplomatique se trouvait diffusée à la fois sur la scène théâtrale et via la publication de correspondances comme celle de Walsingham par Dudley Digges (»The Compleat Ambassador«, 1655) et comment l’intérêt pour cette information procédait, avant tout, d’un désir de valorisation sociale de la part de qui, ainsi, accédait à un capital symbolique source de prestige. Fabio Antonini, pour sa part, traite des archives diplomatiques conservées à la chancellerie de Venise et spécialement de leur compilation à partir du XVIe siècle sous forme d’»annali« qui à la fois facilitèrent et conditionnèrent le travail d’historiens tels que Paruta ou Morosini.

Dans la dernière partie du volume, intitulée »Diplomatic Documents«, Jan Hennings confronte deux textes issus de la même ambassade anglaise en Russie: l’un, poétique, mettait l’accent sur le fossé culturel qui séparait les Russes des Anglais, en prenant pour guides Pétrarque et Ovide; l’autre, technique, permit à l’ambassadeur de rendre compte de façon factuelle de l’exécution de ses instructions en matière de cérémonial, sans toutefois qu’il y fasse référence à la »barbarie« de ses interlocuteurs, car ce n’était pas ce qu’appelait ce genre de rapport. À partir des dépêches des ambassadeurs de Louis XIV à Constantinople, Christine Vogel analyse la fonction sociale d’autopromotion remplie par ces correspondances, au service de personnages qui étaient moins des bureaucrates que des aristocrates engagés dans des liens de dépendance personnelle et qui, en outre, étaient soucieux de faire de l’information transmise l’instrument de leur valorisation.

Tracey A. Sowerby souligne les enjeux attachés à la matérialité des lettres diplomatiques que les princes – en l’espèce les souverains anglais – échangeaient avec leurs pairs: écrire de main propre à des souverains européens, ou envoyer hors d’Europe des courriers ornés de somptueuses décorations, permettait d’afficher de bonnes dispositions auxquelles le destinataire répondrait, s’il le souhaitait, en manifestant lors de la réception de ces courriers le prix qu’il leur attachait. André Krischer apporte un dernier éclairage, au sujet des cités impériales du Saint-Empire: il croise leur aspiration à la reconnaissance diplomatique, que les conditions du moment n’excluait pas, mais que leur statut imparfait rendait toujours incertaine, avec le soin qu’elles prenaient à ouvrir et tenir des livres des cérémonies dans lesquels le traitement réservé à leurs envoyés, ou concédé par des visiteurs de marque, était soigneusement consigné.

L’un des points forts du volume est de réunir dans un même projet des littéraires et des historiens. Toutefois le plan, qui sépare nettement ce qui relève des »literary engagements« et ce qui est de l’ordre des »diplomatic documents«, conduit à juxtaposer, plutôt qu’à faire interagir, des études de textes littéraires – y inclus des écrits juridiques ou politiques – conduites par des littéraires et des analyses de documents de la pratique diplomatique menées par des historiens et des historiennes. De ce fait, à la question initialement posée »What can literary perspectives contribute to our understanding of diplomatic documents?« (p. 18), il n’est pas entièrement apporté de réponse. Le titre de la quatrième partie (»Diplomatic documents«) peut d’ailleurs paraître un peu inapproprié: il fait penser que seuls les documents les plus traditionnellement associés à l’étude de la diplomatie sont des documents diplomatiques, et ce alors que l’un des buts du volume est, au contraire, de faire valoir le statut diplomatique des textes – à première vue »non diplomatiques« – examinés dans les autres parties: par exemple la traduction des »Lusiades«par Carlo Antonio Paggi, ou les traductions poétiques de Du Bartas.

Dans l’ensemble, le volume ne marque peut-être pas, comme le font espérer ses responsables, une étape décisive dans la formation de »new frameworks for understanding the relationship between early modern literature and diplomacy« (p. 11). Cependant, il fournit un intéressant éventail d’analyses de cas, dans le sillage des études impulsées aux États-Unis par Timothy Hampton et des recherches conduites, notamment en Allemagne et en Suisse, dans le cadre de la nouvelle histoire de la diplomatie. Il constitue ainsi un important jalon dans une dynamique désormais en marche, et qu’il faut souhaiter voir se développer.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jean-Claude Waquet, Rezension von/compte rendu de: Tracey A. Sowerby, Joanna Craigwood (ed.), Cultures of Diplomacy and Literary Writing in the Early Modern World, Oxford (Oxford University Press) 2019, XVI–283 p., 9 b/w ill., ISBN 978-0-19-883569-1, EUR 67,94., in: Francia-Recensio 2020/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.1.71809